Le prix d’achat d’un cercueil? Entre 100 et 1.000 euros, selon le modèle. Pourtant, les pompes funèbres les facturent parfois 5.000 euros. © BELGAIMAGE

Mort business, les pratiques douteuses des pompes funèbres: «Un cercueil coûte de 100 à 1.000 euros. Or dans le commerce, il se vend jusqu’à 5.000 euros» (enquête)

Le Vif

La compétition fait rage dans le business des pompes funèbres. Entre groupes émergents qui veulent se tailler une part de marché mais aussi entre petits indépendants qui tentent de se maintenir. Pour les familles, le deuil se fera-t-il mieux ou moins bien demain?


En Brabant wallon, où sa famille exploite une entreprise de pompes funèbres depuis plusieurs générations, Quentin Jadot a le sentiment d’appartenir à une espèce en voie d’extinction. «On reste une poignée d’indépendants. Tous les autres ont été repris par des grands groupes», regrette-t-il. Lui aussi, d’ailleurs, s’est vu proposer un rachat à plusieurs occasions. «Ils font miroiter qu’ils vont sortir un paquet d’argent. Un responsable est même venu en personne avec une proposition.» Mais pour cet entrepreneur qui a toujours été son propre patron, pas question de céder sa liberté au plus offrant.

La mort n’échappe pas aux lois du capital, et le secteur des services qui l’entourent est en pleine consolidation. Ici, les parts de marché se calculent en nombre de funérailles, et les pays peuvent être jugés «prometteurs», comme on le dit de l’Allemagne, ou déjà «matures», comme la France. Dans l’Hexagone, des groupes géants se taillent la part du lion, notamment OGF, détenu par un fonds de pension canadien.

En Belgique, environ 115.000 personnes meurent chaque année, et «on sait très bien que d’ici 20 ou 25 ans, avec le baby-boom, on passera à 140.000 décès, pointe un entrepreneur en pompes funèbres. Il y a des financiers que cela intéresse.» Exemplifiant ce constat, tenu par beaucoup d’observateurs, deux groupes ont levé récemment des capitaux pour soutenir la croissance rapide d’un modèle basé sur la mutualisation des ressources (administration, comptabilité, logistique, etc.). Fondé en 2016, Sereni rachète activement des pompes funèbres indépendantes, au rythme d’une dizaine par an. En quelques années, ce groupe, détenu notamment par Michel Verhaeren, issu du secteur de la construction (ViaBuild), et Amaury Hendrickx, cofondateur de la chaîne de hamburgers Ellis, est parvenu à gérer près de 10% des funérailles en Belgique. Il espère atteindre 20%, en plus d’un développement à l’international.

Ginkgho, créé en 2019, connaît lui aussi une croissance soutenue. Ce groupe a fait entrer dans son capital le géant français Funecap, qui en deviendra probablement l’actionnaire de référence dans le futur. Mais le leader du marché belge reste pour l’heure un groupe coopératif néerlandais: Dela, qui domine déjà le secteur des assurances obsèques, avec près d’un million d’assurés, et continue de faire croître son activité de pompes funèbres, aujourd’hui en charge de plus de 11% des funérailles belges. «L’ADN de notre organisation est d’aider le plus de familles possibles autour de la mort. Nous voulons rendre ce service au plus de gens possible, justifie Wim Delplace, directeur de la branche funérailles du groupe. Chez nous, les bénéfices ne sont pas une fin en soi, ils sont réinvestis dans le service. Je ne peux imaginer qu’il en aille ainsi pour d’autres acteurs, issus du private equity (NDLR: capital-investissement), où l’objectif financier est beaucoup plus important.»

«Notre rôle est d’informer, pour que les gens deviennent exigeants.»

Le cimetière, c’est mort

Derrière les grands du secteur, d’autres groupes de moindre importance se forment, à l’instar d’A&G Funeral. La logique affichée est partout identique: en mutualisant les ressources, on peut dégager du temps pour mieux s’occuper des familles. Car celles-ci sont en droit d’attendre un service de qualité, insiste Charles Greindl, le fondateur d’A&G: «Il y a 20 ans, quand on voulait manger de la viande, on achetait un steak au supermarché. Personne ne se posait la question de la provenance. Et puis, on est devenu exigeant sur le choix du produit. Pour le funéraire, on allait chez les pompes funèbres près de l’église ou du cimetière, on ne se posait pas de questions. […] Notre rôle est d’informer sur ce qu’il est possible de faire pour que les gens deviennent exigeants.»

Après avoir été gérant d’une entreprise qu’il a fini par racheter, Charles Greindl entend révolutionner un secteur «un peu poussiéreux». «Quand on me demande ce que je fais, je dis qu’on est « dans le dernier voyage ». On parle de customer journey dans tous les secteurs. Ici, ce n’est pas un service de fin de vie, c’est un service d’accompagnement de la vie.» A&G aussi, vise la croissance: «Mon ambition n’est pas d’accompagner que les voisins. C’est que tout le monde puisse bénéficier d’un service digne.»

Nombreux sont les entrepreneurs épuisés, en fin de carrière ou sans successeur qui finissent par revendre à ces groupes émergents. Pour les petits indépendants qui subsistent, les affaires peuvent être difficiles, d’autant qu’«on a moins de possibilités de gagner sa vie», constate Jean Geeurickx, président de la fédération wallonne du secteur (Funewal). «La crémation réduit fortement les frais. Les monuments funéraires, les caveaux, il n’y en a plus. Tout au plus, parfois, un columbarium. On choisit la crémation. Le cimetière n’est plus dans l’air du temps», se désole cet entrepreneur à la retraite, resté actif à la fédération.

«Les monuments funéraires, les caveaux, il n’y en a plus. Parfois, un columbarium», regrette un spécialiste du service mortuaire. © Getty Images

Deuil point zéro

Que les traditions s’érodent ne signifie pas nécessairement la fin des affaires, au contraire. Plusieurs entrepreneurs s’organisent pour offrir des funérailles davantage dans l’air du temps, par exemple en dispersant les cendres dans la forêt de Soleilmont (Hainaut) ou en transportant le cercueil en «corbicyclette», comme le propose la société Aeternia/Alveus. Les services d’accompagnement postmortuaire sont aussi en développement. Charles Greindl imagine un avenir où l’on pourra faire revivre un proche grâce à l’intelligence artificielle. De nouveaux métiers font leur apparition, comme celui de thanadoula, consistant à accompagner les personnes en fin de vie et les proches endeuillés. Le secteur, longtemps dominé par les hommes, tend en outre à se féminiser. Cléo Duponcheel (Croque-Madame), parmi d’autres, entend «offrir quelque chose de différent, de la légèreté, la possibilité d’être soi».

La «corbicyclette» plutôt que le corbillard, une manière de dépoussiérer les funérailles.

Si les groupes affirment être en mesure de dégager du temps pour s’occuper mieux des familles endeuillées, les petits indépendants en doute. «Comment voulez-vous que les choses se passent bien quand vous avez cinq ou six enterrements au cours de la même journée?», interroge Jean-François Michel, un indépendant qui assure, lui, accompagner les familles «de A à Z». Jean Geeurickx, de la fédération, tente une analogie: «Prenez un petit hôtel géré par des patrons, mari et femme, il sera plus cosy, tandis que l’autre, un Ibis, par exemple, sera certes très bien géré, très beau, mais vous n’aurez pas le même accompagnement.»

Des marges excessives

La concurrence ne se joue pas uniquement sur la qualité du service. Le prix est un facteur central, d’autant plus que la facture des funérailles se chiffre en milliers d’euros, et dépasse même parfois la dizaine de milliers d’euros –entre le soin du corps, le cercueil, le transport et la pierre tombale. Or, une inspection récente auprès de 216 entreprises de pompes funèbres a révélé qu’elles «n’indiquent pas clairement les prix», selon le SPF Economie. Près de trois quarts des entreprises contrôlées étaient en infraction, parce que le prix n’était pas affiché clairement sur le site Web ou en magasin, comme le prévoit la législation.

Cédric Van Horenbeke, le patron de la coopérative funéraire Alveus, va plus loin et dénonce des marges parfois très excessives. «Le prix d’achat des cercueils oscille de 100 euros pour le moins cher à 1.000 euros pour le modèle le plus coûteux. Or, dans le commerce, vous en trouverez à 2.000, 3.000, 4.000 voire même 5.000 euros. La différence, c’est la marge», calcule-t-il.

Face à des prix jugés abusifs, lui et d’autres essaient de proposer des funérailles à prix plancher, avec cercueil en sapin polonais et sans fioritures. Tout au bout de la gamme, le Pax Funèbre assure offrir des funérailles philanthropiques à prix coûtant, moyennant l’intervention de bénévoles. Cette asbl est l’une des 120 entités adossées au «Mouvement Clanic», une plateforme d’éducation citoyenne aux accents mystiques.

«J’ai vécu ça comme un kidnapping de corps mort.»

Enveloppes mortelles

Le code de déontologie des pompes funèbres impose aux membres un devoir de collégialité. «Les entrepreneurs doivent entretenir entre eux des rapports de bonne collégialité et se prêter assistance, lit-on au chapitre 6. Il est interdit de calomnier un confrère, de médire, de lui ou de se faire l’écho de propos de nature à lui faire du tort dans l’exercice de sa profession.» Pourtant, une fois surmontée la discrétion d’usage chez les croque-morts, les langues se délient pour dénoncer des moyens peu honnêtes mis en place par des concurrents. En particulier les arrangements plus ou moins formels passés avec les institutions pourvoyeuses de morts –les homes et les hôpitaux.

Tatiana a fait les frais de ces pratiques. Quand son père est décédé dans un home, en 2019, cette Bruxelloise a eu la mauvaise surprise de s’entendre annoncer que le corps avait été transféré, sans son accord, à une maison de pompes funèbres, alors qu’elle avait pris des dispositions auprès d’un autre entrepreneur moins cher. La jeune femme affirme s’être vu présenter une facture importante pour le transport, mais aussi pour une toilette mortuaire qu’elle n’avait pas sollicitée. L’entrepreneur aurait ensuite refusé de transférer le corps à son confrère tant que la facture ne serait pas payée, avant de céder. «J’ai vécu ça comme un kidnapping de corps mort», affirme Tatiana.

Interrogé, l’entrepreneur en question affirme ne pas se souvenir de l’épisode. Il confirme néanmoins avoir des accords avec des maisons ne disposant pas de morgue, afin d’enlever les corps des résidents décédés. Les familles peuvent ensuite opter pour d’autres pompes funèbres, mais «la seule chose qu’on demande, c’est d’honorer la prestation» notamment le transport et la toilette funéraire. «Cela a-t-il été sollicité? Non, c’est vrai, mais j’estime qu’il faut présenter le corps correctement. D’ailleurs, précise-t-il, il est rare que les familles choisissent un autre prestataire.»

Cette absence de choix est précisément ce qui met en colère cet autre entrepreneur. «Nonante pour cent des décès qui se déroulent dans 90% des homes à Bruxelles sont déjà répartis à l’avance entre certaines entreprises de pompes funèbres qui, ainsi, ont une clientèle sans rien foutre», s’indigne-t-il.

La pratique semble surtout contraire à la déontologie du métier, qui précise que «toute tentative de détournement direct ou indirect de clientèle, par contrat verbal ou écrit et sous toutes formes que ce soit, est interdite». Malgré les remontrances occasionnelles de la fédération, les arrangements subsistent, selon certains. Ils semblent même être la norme du côté des hôpitaux et des maisons de retraite qui ne disposent pas de leur propre morgue. Tout ne repose pas en paix dans le secteur des pompes funèbres…

115.000

personnes meurent chaque année en Belgique.

Eric Walravens

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