Aux Pays-Bas, certains comportements du roi Willem-Alexander et de la reine Maxima ont fait chuter leur cote de popularité. Mais elle a déjà remonté. © belga image

Monarchies européennes: plus visibles mais pas forcément plus modernes

Le Vif

Admirées ou tolérées, selon les époques ou l’aura de la tête couronnée, les familles royales européennes résistent contre vents et marées. Certaines se montrent plus modernes, en apparence.

Elles ne sont plus qu’une poignée sur le sol européen mais restent solidement fixées à leur socle doré. Belgique, Espagne, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Norvège, Danemark, Monaco, Liechtenstein, ces monarchies héréditaires – qu’elles soient royales, princières ou grand- ducales – ne jouissent pourtant que de modestes prérogatives. On n’attend plus guère de Sa Majesté que l’accomplissement d’un devoir de représentation, une présence symbolique ponctuée de discours officiels et de visites royales. Un petit coup de pouce pour les missions économiques, à la rigueur.

Quasiment toutes les monarchies ont modifié la loi successorale en faveur de la primogéniture absolue, donnant ainsi aux descen- dantes d’autres perspectives que de vivre dans l’ombre d’un roi. Nombreuses sont d’ailleurs les nations qui, au cours de leur histoire, ont connu le règne d’une femme. En abolissant la loi salique en 1991 seulement, la Belgique n’a pas vraiment fait figure d’Etat avant-gardiste…

Anachronismes

Outre ce bouleversement notable, peut-on affirmer que les maisons régnantes se sont réellement modernisées, qu’elles sont aujourd’hui en phase avec leur temps et avec leurs sujets? Selon Vincent Dujardin, professeur à l’Ecole d’études européennes de l’UCLouvain, on a pu noter aux cours des dernières années d’indé- niables signes d’évolution, ou à tout le moins d’adaptation, dans les différentes monarchies européennes. Mais certainement pas de révolution. «Dans le registre de la communication, on constate que des efforts ont été fournis pour apporter une certaine modernité. En Angleterre, la reine Elizabeth II s’était inscrite dans cette démarche dès son couronnement. Quant à Charles III, qui de prime abord n’incarne pas la modernité, il pourrait bien nous surprendre. On l’a vu lors de son premier bain de foule durant lequel il n’a pas hésité à serrer des mains. En Belgique, le roi Philippe et la reine Mathilde ont aussi marqué les esprits en se rendant à Tomorrowland ou en invitant le DJ Lost Frequencies à mixer sur le toit du palais royal. La monarchie belge est, par ailleurs, présente sur les réseaux sociaux.» A contrario, d’autres familles royales continuent de se montrer plus distantes avec leurs sujets qu’en Belgique, nuance Vincent Dujardin.

Affranchies des passions du monde, elles incarnent non seulement la neutralité mais également la bienveillance.

Ce fossé qui sépare les sang bleu de ceux qui les regardent d’en bas semble toujours aussi profond, même au XXIe siècle, comme l’explique le professeur ordinaire d’Histoire contemporaine à l’ULB, Serge Jaumain. «Ces monarchies, qui ne sont pas récentes, symbolisent tout ce que nous avons conservé de l’Ancien Régime. Dans la plupart des institutions des pays démocratiques, on a effacé ces vestiges, secteur par secteur. Mais pas dans les monarchies où le titre se transmet toujours de père ou de mère en fils ou fille, selon la tradition. Ce ne sont pas les connaissances qui priment mais le fait de descendre de telle ou telle lignée. C’est l’un des deux anachronismes qu’on observe aujourd’hui, l’autre étant le fait que les monarques exercent leurs fonctions jusqu’à la mort. Ceci dit, c’est également le cas dans d’autres fonctions, comme celle de pape ou de juge à la Cour suprême des Etats-Unis.»

Vent de modernité pour les souverains belges, à Tomorrowland.
Vent de modernité pour les souverains belges, à Tomorrowland. © belga image

Autre reliquat de ces temps révolus: les colloques singuliers, ces entretiens personnels entre les souverains et les dirigeants politiques dont la teneur doit, en principe, rester secrète, qui font du souverain la personne la mieux informée du pays, ainsi que celle chargée de transmettre les messages des uns aux autres.

Sans faire de vagues

Le secret de longévité des monarchies, poursuit Serge Jaumain, c’est leur neutralité politique presque absolue. Ceux qui en font partie savent que pour éviter les remous, il faut pouvoir rester hors de la mêlée et ne faire étalage d’aucune conviction politique ou philosophique, que ce soit dans les discours officiels ou sur les réseaux sociaux, puisqu’ils les utilisent aujourd’hui. Une ligne de conduite au cordeau qu’ils apprennent à respecter dès leur plus jeune âge. «La reine Elizabeth II en avait fait une force: il était impossible de deviner quelles étaient ses opinions. Cette neutralité lui a assuré un constant rayonnement auprès de la population. Beaucoup d’ Anglais se sentaient très proches d’elle. C’est aussi le cas pour les autres monarchies vers qui le peuple se tourne généralement en dernier ressort alors qu’elles n’ ont plus vraiment de pouvoir. Mais comme elles sont affranchies des passions du monde, elles incarnent non seulement la neutralité mais également la bienveillance.»

Il sera dès lors intéressant d’observer si Charles III, que l’on sait très écolo, sera amené à lisser sa communication ou s’il continuera à plaider en faveur d’une action climatique auprès des chefs d’Etat et des autres personnalités qu’il rencontrera. «Généralement, les souverains se limitent à prendre position en faveur de ce qui fait l’unanimité, l’aide aux plus démunis, l’attention particulière portée aux malades… Mais il n’est pas exclu que les nouvelles générations puissent adopter des positions plus tranchées. Bien qu’en remettant en question le principe de neutralité, c’ est toute la monarchie qu’un souverain met en danger. Il suffit de se rappeler l’attitude du roi Baudouin face à l’avortement. On peut d’ailleurs affirmer que les monarchies européennes n’ont pas beaucoup d’avenir mais qu’elles se maintiennent tant qu’elles ne font pas de vagues.»

Ces dernières années, les scandales ont pourtant éclaboussé quelques couronnes. L’Espagne a vu son ancien souverain, Juan Carlos, contraint à s’exiler aux Emirats arabes unis suite à des accusations de malversations. Aux Pays-Bas, la Covid party pour les 18 ans de l’héritière du trône, la princesse Catharina-Amalia, est restée en travers de la gorge de bien des Néerlandais. Ses parents, le roi Willem-Alexander et la reine Maxima ont quant à eux été épinglés par la presse après avoir posé en vacances aux côtés d’un restaurateur grec, dans le total irrespect des règles de distanciation sociale. Une gaffe qui a valu au couple royal une soudaine chute de popularité, bien qu’il soit déjà en train de remonter la pente. Cible favorite des tabloïds qui se délectent depuis des décennies de chacune de leurs apparitions, les Windsor sont parvenus à traverser les zones de turbulence sans trop chanceler, du remariage de Charles avec Camilla au grand déballage devant les caméras de Harry et Meghan en passant par la mise au ban par sa propre mère du prince Andrew après l’affaire Epstein.

Les monarchies européennes n’ont pas beaucoup d’avenir mais se maintiennent tant qu’elles ne font pas de vagues.

Le fric et les frasques

« Les affaires privées qui ont des répercussions dans la sphère publique, ainsi que tout ce qui tourne autour de l’argent, font partie des erreurs à ne pas commettre, au risque de perdre en popularité ou de relancer les débats sur le financement de la royauté, met en perspective Vincent Dujardin. Au Royaume-Uni, la presse et les politiques – à l’exception de Tony Blair – ont jusqu’ici fait preuve de retenue, sans doute par respect pour la reine Elizabeth, mais c’est un sujet qui reviendra très certainement sur la table. Chez nous, la dotation ne fait plus débat depuis que la question a été réglée par le gouvernement Di Rupo. Au Luxembourg, on a assisté à quelques discussions et à la sortie de rapports officiels sur le fonctionnement de la Cour mais la popularité du grand-duc en a limité l’impact.»

Les scandales liés à l'argent font partie des erreurs à ne pas commettre. Juan Carlos d'Espagne ne le sait que trop...
Les scandales liés à l’argent font partie des erreurs à ne pas commettre. Juan Carlos d’Espagne ne le sait que trop… © getty images

«La monarchie espagnole, rappelle de son côté Serge Jaumain, n’est parvenue à limiter la casse que parce que le fils de Juan Carlos (NDLR: Felipe VI) a clairement pris ses distances pour pouvoir continuer à exister.» Une exemplarité à laquelle sont sensiblement moins soumis les frères et sœurs des rois et des reines, ainsi que leurs enfants, lorsque leur rang dans l’ordre de succession rend leur accession au trône impossible, ou à tout le moins peu concevable. Dispensés de la plupart des missions protocolaires, certains mènent des vies et des carrières à l’écart des palais. Des vies (presque) ordinaires.

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