Mon pouvoir d’achat passe avant le reste… (sondage exclusif)
… quitte à réduire la TVA de manière permanente. Et tant pis pour le défi climatique, les Ukrainiens et le conflit de générations en vue.
Réduire la TVA sur le gaz et l’électricité de 21% à 6% de manière permanente. La question fait débat, surtout depuis que le gouvernement a adopté la mesure provisoirement. Les Belges, eux, que veulent-ils? Ils sont presque unanimes, selon notre sondage: près de 8 sur 10 (78,7% exactement) se disent favorables à la réduction permanente de TVA sur le gaz et l’électricité.
Cela montre que le Belge est plutôt très accroché à son pouvoir d’achat, au point même de se contredire dans ses choix, puisque, par ailleurs, près de 6 sondés sur 10 (57,3%) souhaitent moduler la TVA en fonction du niveau de revenus et plus de 6 sur 10 (63,3%) selon la consommation d’énergie.
On aurait pu penser que la jeune génération était plus motivée par l’idée de redistribution des richesses. Or, c’est le contraire qui apparaît.
«Se prononcer à la fois pour une mesure généraliste et une mesure ciblée dénote un manque de cohérence», relève l’économiste Philippe Defeyt (UNamur), qui fait partie du groupe d’experts mandatés par le Premier ministre.
Surtout, la proportion de réponses favorables à la TVA permanente à 6% l’interpelle. «Tout le monde n’est pas touché de la même manière par l’inflation, poursuit cet ancien président de CPAS. Des ménages en souffrent réellement mais, pour une partie importante de la population, ce n’est pas la Bérézina. Les réponses ne sont sans doute pas uniquement dictées par la situation économique. Elles le sont aussi par la grande médiatisation du sujet.»
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Et de souligner que les difficultés de court terme (crise énergétique, inflation, Covid) sont venues se greffer sur des tendances structurelles de fragilisation sociétale, comme l’augmentation du nombre de ménages disposant d’un seul revenu (les isolés, souvent âgés, et les familles monoparentales) qui sont devenus le cœur de la précarité.
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Autre enseignement des résultats de notre enquête: il existe des différences parfois très importantes entre classes d’âge. L’ idée de TVA réduite permanente séduit moins de deux tiers (59%) des jeunes de 18 à 34 ans, mais 85% des 45-54 ans et même 9 seniors (65 ans +) sur 10. «Est-ce parce que les jeunes pensent davantage à l’avenir, en particulier celui de la planète? s’interroge Defeyt. Sans doute.» Dans le même temps, ils ne sont pas majoritaires (47,4% des 18-24 ans) à se dire prêts à assumer une baisse de leur pouvoir d’achat pour relever le défi climatique. Mais les 45-54 ans, eux, le sont encore deux fois moins (24,8%). «Or, cette dernière tranche d’âge a du poids dans la société, observe le professeur namurois. On peut y voir une sorte de déni. Cela ne présage pas de débats faciles sur le sujet du climat et de l’énergie.»
Destin individuel
Conflit entre générations? Cela transparaît à travers les réponses. On observe d’ailleurs également un écart significatif entre les jeunes et les plus âgés à propos de l’éventualité de «taxer davantage les hauts revenus pour soutenir le pouvoir d’achat des plus défavorisés». Mais un écart inattendu, car seulement 48% des 18-24 ans y sont favorables et même moins de 44% des 25-34 ans, contre près de 70% des plus de 65 ans. «Etonnant, car on aurait pu penser que la jeune génération était plus motivée par l’idée de redistribution des richesses, commente Defeyt. Or, c’est le contraire qui apparaît. Cela peut signifier que les jeunes sont inquiets pour l’avenir mais se replient sur leur destin individuel plutôt que sur leur destin collectif. D’autres études ont déjà montré qu’ils espèrent devenir riches un jour et que, dans cette perspective, ils n’ont pas forcément envie qu’on rééquilibre la redistribution des richesses.»
Même constat pour la possibilité d’une «interdiction par l’Union européenne d’importer tout le gaz et le pétrole en provenance de Russie»: si la moitié des Belges interrogés sont pour, seuls 37% des jeunes estiment que la mesure serait appropriée, contre deux tiers des plus âgés. Une même proportion des 18-24 ans (37%) se dit prête à assumer une baisse de pouvoir d’achat pour aider l’Ukraine. Pour les autres classes d’âge, cela tourne autour de 20%. Et un bon tiers des répondants ne peut se positionner (ni pour ni contre). L’ émotion suscitée par l’invasion russe semble visiblement se tarir. C’est surprenant, surtout chez les jeunes.
Tous ces résultats montrent que l’équation du moment – pouvoir d’achat des ménages, compétitivité des entreprises, budget de l’Etat, sur fond de crise énergétique et de guerre à nos portes – est très compliquée à résoudre, a fortiori avec les objectifs climatiques. Pour éviter cet arbitrage cornélien entre court et long termes, les économistes s’accordent de plus en plus à dire qu’une intervention sur les prix de l’énergie ne doit pas donner un mauvais signal pour la transition.
Selon Philippe Defeyt, «ce qui manque le plus à la Belgique, c’est une trajectoire claire des prix en matière énergétique, qui permettrait de taxer plus en cas de baisse pour engranger des recettes disponibles lorsque l’inflation part à la hausse et qu’il faut alors compenser». Cela permettrait d’éviter trop d’austérité et une surconsommation d’énergie lorsque les prix repartent à la baisse.
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