Mini « Win for Life » pour tous: faut pas rêver
L’allocation universelle est un beau cas d’école: offrir à tous un revenu de base, à vie et sans rien exiger en retour. Là, partis et syndicats s’interdisent de rêver. Et d’imaginer cet autre monde pour demain.
L’allocation universelle inconditionnelle. Lancée sans succès depuis trente ans, l’invitation tient toujours. L’économiste Philippe Defeyt et le philosophe Philippe Van Parijs en sont des militants de la première heure, convaincus depuis belle lurette qu’il faut sortir de la voie sans issue: puisqu’il faut faire une croix sur le plein emploi et que la robotisation exigera toujours moins de bras, il est temps de songer au droit pour tous d’être payé à vie, sans contrepartie. Un vrai big bang. A la trappe les indemnités de chômage, la pension légale, le revenu d’intégration sociale, les allocations familiales et autres cadeaux fiscaux. En lieu et place, une somme serait versée du berceau à la tombe, au riche comme au pauvre, que l’on soit chômeur ou banquier, étudiant ou femme au foyer. Cette « mise de départ », pas trop rondelette, devrait aider à se retourner en cas de coup dur, voire permettre de vivre chichement mais libre. Libre bien entendu à chacun d’arrondir ses fins de mois par un travail rémunéré.
Dangereux utopistes? On le prétend. Pis: à droite comme à gauche, on leur prête de vilaines intentions. Et on flaire les pièges. L’allocation universelle serait une scandaleuse incitation à la paresse en pleine force de l’âge. Ou alors un outil machiavélique de régression sociale qui ne viserait qu’à rendre les bas salaires acceptables. Le modèle néo-libéral à la sauce thatchérienne tient là son « nouveau label de précarité », dénonce le sociologue de l’ULB Matéo Alaluf (1). On ferait en sorte que les pauvres se sentent un peu moins pauvres, sans que les riches soient moins riches. Le droit d’empocher sans avoir à travailler, version « low cost »…
Un riche, au moins, veut y croire. Roland Duchâtelet, actuel patron du Standard, homme d’affaires à succès et très grosse fortune du pays. L’allocation universelle et inconditionnelle, c’est l’ADN de son engagement politique. Il en a fait le core business d’une formation politique qu’il monte de toutes pièces dans les années nonante: Vivant. « L’argent gratuit pour tous, c’est la solution », persiste-t-il aujourd’hui. Il suffit de vouloir en payer le prix: disparition de 90% des allocations sociales actuelles, suppression des subsides publics, méga tax-shift, dégraissage massif des fonctionnaires afin de ramener l’appareil public à son niveau des années 1950.
Roland Duchâtelet assume son modèle. Il convoque à la barre des témoins les vainqueurs au… « Win for Life ». L’immense majorité continue de bosser, mais avec une satisfaction décuplée. Duchâtelet n’invente rien: il fait sienne la prudente conclusion de sociologues flamands de la KUL qui, en 2004, ont sondé quatre-vingts bénéficiaires de 1000 euros par mois garantis à vie: « Rien n’indique que les bénéficiaires d’un revenu de base cesseront massivement de travailler. » CQFD.
Mais de la droite à la gauche en passant par le centre, aucun parti traditionnel n’a encore mis l’allocation universelle à l’agenda électoral, parlementaire et encore moins gouvernemental. Seul Ecolo à ses débuts y a vaguement songé, sans jamais vraiment tranché ni beaucoup insisté. Et les syndicats seront les derniers à pousser à la consommation. Ils auraient bien trop à perdre s’ils n’avaient plus de chômeurs à indemniser, susurrent les mauvaises langues de droite.
(1) L’allocation universelle. Nouveau label de précarité, par Mateo Alaluf éd. Couleur livres.
Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec:
- l’avis de Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE (CSC)
- danger pour la solidarité?
- « Nos simulations montrent qu’une allocation universelle généreuse peut être soutenable »
- « Avec 500 euros par mois, il est déjà possible d’obtenir des résultats sans mettre fin à la protection sociale »
- allô le Bureau du plan et la Banque nationale?
- la position des partis francophones
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