Michel Jaupart (WHI): « L’accusation est facile, mais il faut avancer des faits concrets »
Accusé du côté flamand de mauvaise gestion et maladresses, Michel Jaupart s’explique. Proposé par la ministre de la Défense comme patron de plein exercice du War Heritage Institute, il défend les projets de musées militaires à Ypres et Beauvechain.
Des projets muséaux se concrétisent à Ypres et à Beauvechain (NDLR : lire dans Le Vif du 1er avril). Que répondez-vous à ceux qui, au sein même du Musée royal de l’armée, voient dans la création de ces sites une nouvelle menace de régionalisation des collections militaires fédérales ?
C’est un bobard qui circule depuis la création du War Heritage Institute. L’inquiétude est en partie due au fait que l’idée de rassembler les forces au sein d’une seule structure, le WHI, est venue d’un ex-ministre de la Défense N-VA. Cette crainte est absurde. Notre loi organique est on ne peut plus claire : tout objet détenu par notre organisme fédéral appartient au patrimoine de l’Etat. Ceux qui critiquent nos projets à Ypres et à Beauvechain ont une lecture biaisée et malveillante des faits. Nos collections excèdent nos capacités de stockage. Le matériel lourd aérien est conservé dans des conditions peu idéales à Landen. Il en est de même pour l’artillerie et les véhicules blindés post-1945 à Brasschaat, où 40 % de la collection est exposée aux intempéries. La Défense nous a informés qu’elle vidait son quartier d’Ypres. Nous avons donc proposé d’y transférer le contenu du dépôt de Brasschaat, pour mettre la collection à l’abri. Nous disposerons de plus de 20 000 mètres carrés à Ypres, contre 6 000 à Brasschaat.
Ypres n’est-elle pas plutôt un lieu symbole de la Grande Guerre ?
Il y a une cohérence muséale à présenter du matériel militaire post-1945 à Ypres : le futur « open dépôt » qui accueillera les blindés et l’artillerie est situé à huit kilomètres environ du bunker du Mont Kemmel, construit au début des années 1950 pour abriter le centre de commandement pendant la période de la Guerre froide. De plus, la région, zone de tourisme lié à la Première Guerre mondiale, attire un public déjà sensibilisé aux thématiques historico-militaires.
A Beauvechain, le petit musée actuel va prendre une nouvelle dimension avec l’arrivée de nouveaux avions ?
Nous avons prévu d’y créer le second « open dépôt ». Le matériel aérien entreposé à Landen y sera transféré. Beauvechain présentera au public, dans de bonnes conditions, les collections aéronautiques qui ne peuvent être exposées ailleurs. Nous envisageons dès lors d’alléger le dispositif du Hall de l’aviation du Cinquantenaire. Y seront maintenus les appareils strictement liés à notre histoire militaire : des avions de la Force aérienne belge, mais aussi ceux de nos alliés et adversaires. Le plan stratégique sur lequel nous travaillons en ce moment déterminera la mise en place éventuelle d’une nouvelle muséographie. Aucune décision n’a encore été prise. Le déménagement ne se fera pas sans consultation de nos partenaires des asbl qui entretiennent ces avions.
Le sort d’un C130 belge a provoqué récemment un bras de fer communautaire qui vous concerne. L’avion de transport retraité ira-t-il finalement au musée de Beauvechain, ou restera-t-il à Melsbroek, comme le souhaitent bon nombre d’élus flamands ?
La décision a été prise de remettre ce C130 au War Heritage Institute pour qu’il entre dans nos collections. Rien de plus normal : c’est ce qui s’est produit quand d’autres appareils de l’armée ont été retirés du service. Mais une asbl de Melsbroek a fait pression pour que ce C130 reste sur place. Cela n’a pas de sens. A partir du moment où est créé un « open dépôt » à Beauvechain, il n’est pas cohérent de laisser une pièce majeure de notre histoire aérienne dans un musée d’intérêt très local. Idéalement, l’avion devrait rejoindre le Musée de l’armée. Mais j’ai proposé de le mettre à Beauvechain car il est trop grand pour passer les portes du musée du Cinquantenaire. C’est une fausse polémique de prétendre que je veux favoriser une asbl wallonne au détriment d’une asbl flamande. La Région flamande menace de classer le C130 comme « topstuk » du patrimoine culturel pour qu’il reste en Flandre. Aux juristes de trancher.
Vous aviez élaboré un projet de partenariat public-privé destiné à assurer la rénovation et l’exploitation du Musée royal de l’armée. Pourquoi a-t-il échoué ?
Cet « échec », comme vous dites, ne m’est pas imputable. Le projet de partenariat avec le privé relève de la vision stratégique de Steven Vandeput, l’ancien ministre de la Défense. J’ai travaillé sur le plan de rénovation des infrastructures du MRA et un nouveau projet muséal, présentés au conseil d’administration du WHI et validés par notre ministre de tutelle. Entre 220 et 250 millions d’euros devaient être apportés par le partenaire privé. Une entreprise qui investit un tel montant entend bien sûr récupérer son investissement et faire des bénéfices. Dans l’hypothèse très optimiste d’un triplement du nombre de visiteurs annuels après la rénovation du musée, les recettes ne dépasseraient pas 2 à 3 millions d’euros. C’est nettement insuffisant pour couvrir un investissement de plus de 220 millions. Il fallait donc que l’Etat s’engage à verser à la firme en question quelque 10 à 12 millions par an pendant environ vingt-cinq ans. De nombreux musées étrangers rénovés grâce à un PPP fonctionnent sur ce principe.
Pourquoi le fédéral n’a-t-il pris aucune décision ?
Quand, en novembre 2018, le ministre N-VA Steven Vandeput, qui portait le projet, a quitté son poste, la décision n’était pas prise. A ce jour, aucun gouvernement n’a accepté de s’engager sur cette piste. Le projet de PPP est à l’arrêt. La crise Covid plombe les finances publiques.
En mai 2019, juste avant les élections, la Région bruxelloise a classé deux salles historiques du Musée de l’armée. Pourquoi persistez-vous à contester ce classement ?
Je me bats pour une question principielle : les Régions n’ont pas à intervenir dans la gestion des Etablissements scientifiques fédéraux, dont le Musée de l’armée fait partie. En classant ces deux salles, la Région bruxelloise transgresse ce principe. Accepter ce précédent, c’est ouvrir la porte à un potentiel classement régional de n’importe quelle salle d’ESF. L’Etat et nous sommes convaincus que la gestion de ces institutions est de la seule compétence du fédéral. La situation actuelle est intenable : nous ne pouvons plus apporter d’aménagements à ces salles sans l’aval d’une autorité régionale. Je ne conteste pas l’intérêt de la salle dite « historique », mais bien celui de l’autre salle, dite « technique », dont l’aspect est peu attractif.
Où en sont les quatre recours devant le Conseil d’Etat, qui auraient déjà coûté au moins 60 000 euros en frais d’avocats ?
Ils sont tous pendants. Le Conseil d’Etat a, à notre demande, posé deux questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle. J’ai l’espoir que la Conseil d’Etat casse les arrêtés de classement de la Région bruxelloise.
En août dernier, la Cour des comptes a publié un rapport accablant sur la gestion du personnel du War Heritage Institute, dont vous êtes le patron ad interim. Alors que la ministre PS de la Défense Ludivine Dedonder va proposer au gouvernement de vous nommer directeur général de plein exercice, des élus flamands estiment que vous n’êtes « pas le bon candidat ». Que leur répondez-vous ?
L’accusation est facile, mais il faut avancer des faits concrets. L’audit de la Cour des comptes, qui portait exclusivement sur la gestion des ressources humaines, pointait deux causes objectives au mauvais fonctionnement de notre organisme : les statuts différents des agents des quatre structures dont le War Heritage Institute est issu et les effectifs très insuffisants de notre service du personnel. Pendant des mois, nous n’avions plus qu’une seule personne au département RH. J’ai considéré cet audit comme un outil. Il nous a aidés à identifier nos lacunes : des textes réglementaires non encore adoptés et laissés en jachère, des dossiers individuels incomplets… Les trois quarts des problèmes identifiés par la Cour sont à présent résolus.
Des partis flamands pointent aussi vos relations conflictuelles avec le N-VA Koen Palinckx, président du conseil d’administration du WHI, votre autorité de tutelle.
Mes rapports avec le conseil d’administration sont excellents. Il y a eu des accrochages et des divergences de vues, et c’est tout à fait normal. Mais je fais régulièrement rapport au CA et je joue la transparence. Nous travaillons ensemble et avec la ministre de la Défense sur un plan stratégique et ses implications budgétaires. Ce sera la boussole du WHI pour ces cinq prochaines années.
Une plainte contre vous a été déposée auprès d’Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Vous êtes accusé d' »incitation à la haine et au racisme anti-Flamands » pour des propos échangés avec des « amis » sur Facebook au lendemain de la percée du Vlaams Belang aux législatives de mai 2019. La Flandre est « submergée par la marée brune », aviez-vous notamment écrit.
On me fait là un mauvais procès. Tout est parti d’un ancien collaborateur de notre institut. Je ne vois pas en quoi le fait de considérer la victoire du Vlaams Belang comme une journée sombre pour la Flandre est un propos raciste. Je suis politologue de formation et nous sommes tout de même en démocratie. J’ai encore le droit de m’inquiéter de l’évolution politique de notre pays. J’ai réagi par l’onomatopée « Tssstsss » à un commentaire ironique un peu imbécile sur Facebook. Ce qui, en français, signifie mon désaccord avec le propos de cette personne, ce que certains n’ont pas compris. Un signalement a été déposé auprès d’Unia. J’ai demandé à être entendu, mais Unia me répond que le centre ne traite pas les affaires qui remontent à plus d’un an. C’est donc à moi d’aller porter plainte en justice pour diffamation et calomnie.
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