Michaël Gillon, astronome liégeois: « La vie doit exister ailleurs dans l’univers »
En 2017, l’astronome liégeois détecte sept planètes en orbite autour de la petite étoile Trappist-1. La découverte fait sensation. Ce 7 décembre, le roi Philippe lui remettra le prix Francqui. Un encouragement à poursuivre sa quête de mondes habitables.
Un soir de septembre 2015, assis dans son salon, son ordinateur sur les genoux, Michaël Gillon jette un coup d’oeil sur les données récoltées par le télescope robotique belge Trappist. L’instrument, installé à l’observatoire de La Silla, au Chili, est braqué sur une étoile de notre galaxie dix fois plus petite que le soleil. Un signal qui ressemble au passage d’une planète devant l’étoile fait sursauter l’astrophysicien liégeois. Dans un premier temps, trois exoplanètes sont repérées autour de cette naine rouge « ultrafroide » située à trente-neuf années-lumière, qu’il rebaptise « Trappist-1 ». Grâce au télescope spatial Spitzer de la Nasa, Michaël Gillon et son équipe détectent, au total, sept planètes rocheuses, de taille et de densité similaires à celles de la Terre. Trois ou quatre d’entre elles orbitent dans la zone habitable du système, où la température de surface pourrait être propice à l’existence d’eau liquide. Ces exoplanètes sont ainsi propulsées au sommet de la liste des candidates pour la recherche de signes de vie extraterrestre. La découverte, annoncée par la Nasa en 2017, fait sensation. Cette année-là, le scientifique belge est classé par le magazine Time dans sa liste des cent personnalités les plus influentes du monde et il reçoit le prix Balzan, décerné par une fondation italo-suisse. Quatre ans après la reconnaissance internationale, le Liégeois est honoré dans son pays: ce 7 décembre, lors d’une cérémonie au Palais des Académies, à Bruxelles, il recevra des mains du roi Philippe le prix Francqui, le « Nobel belge ».
Bio express
- 1974: Naissance, à Liège.
- 1998: Après sept ans à l’armée, réformé pour raison de santé.
- 2006: Docteur en astrophysique.
- 2009: Chercheur FNRS à l’ULiège.
- 2010: Installe le petit télescope Trappist au Chili.
- 2015-2017: Découvre sept planètes rocheuses autour de l’étoile Trappist-1.
- 2020: Développe une nouvelle unité de recherche en astrobiologie.
- 2021: Recevra le prix Francqui le 7 décembre.
Que représente ce prix pour vous qui avez déjà acquis une renommée internationale?
Très attaché à mon pays, j’éprouve une grande fierté. Ce prix est une reconnaissance de l’expertise liégeoise dans la traque des exoplanètes habitables. Plus largement, c’est un encouragement pour tous ceux qui oeuvrent dans le domaine de l’exoplanétologie. J’ai une pensée pour mes prestigieux prédécesseurs, notamment pour Georges Lemaître, prix Francqui 1934, premier astronome à proposer l’idée d’un univers en expansion. Ce prix me met sous les projecteurs, mais le travail qui me vaut cette récompense est collectif. Je fais partie d’une équipe internationale et nos recherches se fondent sur celles d’autres scientifiques. Le grand public a tendance à nous prendre, à tort, pour des génies solitaires qui font avancer la science dans leur coin.
Il m’est quasiment impossible de croire que la vie soit le fruit d’un hasard cosmique.
D’où vient votre intérêt pour la recherche d’une vie ailleurs dans l’univers?
Dès l’enfance, cette question m’a fasciné. Le premier film que j’ai vu au cinéma est ET, de Steven Spielberg, sorti il y a quarante ans. Je reste aussi marqué par 2001, l’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick. J’ai dévoré Fondation d’Isaac Asimov, histoires qui n’ont presque pas vieilli septante ans après la sortie du premier livre. Adolescent, je me suis plongé avec délectation dans une encyclopédie d’astronomie. En secondaire, j’étais peu motivé par les études. Attiré par le sport, je me suis engagé à 17 ans dans l’infanterie. J’y suis resté sept ans. L’ armée est une école de volonté, qui m’a endurci. Mais la discipline n’était pas mon truc. Je me faisais souvent engueuler! Je suis tombé malade alors que j’étais Chasseur ardennais à Marche-en-Famenne. On m’a diagnostiqué une fibromyalgie et j’ai été réformé. Diminué physiquement, je me suis réfugié dans la lecture de magazines de vulgarisation scientifique et dans les livres de l’astrophysicien Hubert Reeves et de l’astronome Carl Sagan. Ma passion pour les mystères de l’univers s’est accrue. A 24 ans, j’ai repris des études, à l’ULiège. Mes bons résultats au terme d’une première année en biologie m’ont redonné confiance en moi. En master, je me suis orienté vers la biochimie et l’astrophysique. Pendant tout ce temps, mes parents ont été très compréhensifs. Mon père était ouvrier communal. Ma mère, secrétaire. C’est ma plus grande fan!
Comment devient-on chasseur d’exoplanètes?
En 2006, ma thèse en astrophysique achevée, j’ai fait un séjour postdoctoral à l’observatoire de Genève. J’y ai intégré l’équipe de Didier Queloz, codécouvreur, en 1995, de la première planète extrasolaire, 51 Pegasi b. De retour à l’université de Liège en 2009, j’ai initié le projet Trappist, un petit télescope robotique que mon collègue Emmanuel Jehin et moi avons installé dans le nord du Chili. Un second télescope Trappist a été inauguré en octobre 2016 sur les contreforts de l’Atlas, au Maroc. Ce projet assez modeste nous a servi de prototype. Grâce à lui, nous avons trouvé des financements pour le projet Speculoos, plus ambitieux. Quatre télescopes sont opérationnels depuis 2019 sur le site de Paranal de l’ESO, l’Observatoire européen austral, situé dans le désert d’Atacama, au Chili. S’y ajoutent un cinquième au Mexique et un sixième à Tenerife. Nous les utilisons pour détecter des planètes rocheuses extrasolaires similaires à la Terre. Certaines orbitent dans la zone habitable de leur étoile, où la température ni trop chaude ni trop froide autorise la présence durable d’eau liquide en surface. Elles pourraient abriter la vie. Je suis persuadé que la vie existe ailleurs dans l’univers.
Comment avez-vous acquis cette conviction?
Il m’est quasiment impossible de croire que la vie soit un phénomène exclusivement terrestre, fruit d’un hasard cosmique. Elle doit exister ailleurs. Il y a tant d’endroits dans l’univers où elle a pu apparaître. Notre galaxie, la Voie lactée, regroupe à elle seule trois cents milliards d’étoiles et l’on estime qu’elle contient au moins dix milliards de planètes potentiellement habitables, qui pourraient abriter une biosphère. Etudier en détail ces exoplanètes est un immense défi. Nous ne pouvons scruter que les plus proches. Pour avoir une petite chance d’y détecter des biosignatures dans un proche avenir, il faudrait que la vie soit très présente dans la galaxie, ce qui, je le reconnais, est une hypothèse optimiste. Imaginez que vous êtes seul en plein désert, la nuit, entouré d’obscurité et de silence, et que vous disposez seulement d’une petite lampe de poche. Vous auriez du mal à apercevoir un être humain marchant dans le noir à bonne distance. C’est la situation à laquelle nous sommes confrontés dans la recherche d’une vie extraterrestre.
La plus paradisiaque des exoplanètes serait très probablement un enfer pour l’homme.
Si la vie existe ailleurs dans l’univers, quand pourrait-on en détecter les premières traces?
Au mieux, dans une dizaine d’années. Pour y arriver, il nous faut analyser l’atmosphère de planètes habitables. Leur composition chimique nous renseignera sur les conditions physiques qui y règnent. Avec les moyens techniques actuels, nous pouvons seulement mesurer la taille, la masse et la période orbitale de certaines planètes extra- solaires. La composition atmosphérique de quelques-unes d’entre elles est également connue, mais ce sont toutes des géantes gazeuses. La mise en service prochaine de grands télescopes spatiaux nous permettra d’étudier l’atmosphère d’exoplanètes telluriques. D’ici là, nous dressons un catalogue de celles qui gravitent autour des étoiles naines les plus proches de nous. Cela dit, la piste la plus prometteuse pour la découverte de traces de vie extraterrestre se trouve plutôt au sein même de notre système solaire. Nous savons qu’il y a eu de l’eau liquide à la surface de Mars il y a plus de trois milliards d’années. Les rovers américains et la future mission européano-russe Exomars ont pour objectif de rechercher des preuves de vie microbienne sur et sous la surface de la planète rouge. D’autres endroits plus lointains du système solaire pourraient également abriter la vie: les océans souterrains de lunes glacées comme Encelade ou Europe.
Les astronomes estimaient qu’il y avait peu de chances de découvrir des planètes similaires à la Terre autour de naines « ultrafroides ». Pourquoi avez-vous décidé de vous focaliser sur ces étoiles?
Précisément parce qu’elles étaient délaissées par les autres chercheurs. Nous avons démenti leurs estimations théoriques avec la découverte, entre 2015 et 2017, de sept exoplanètes en orbite autour de la naine rouge Trappist-1, située à trente-neuf années-lumière. C’est le plus grand nombre de planètes de dimensions terrestres jamais découvertes autour d’une seule étoile. Trappist-1 est un système d’une richesse exceptionnelle, avec une architecture dynamique complexe. Ses planètes ont toutes une taille et une masse similaires, mais leur composition atmosphérique, leur climat, leurs conditions de surface et leur volcanisme pourraient être très différents. Nous devrions apprendre beaucoup à ce sujet au cours des prochaines années.
Que sait-on déjà sur ce système planétaire?
La quatrième planète, Trappist-1 e, est la plus semblable à la Terre sur les plans de la taille, de la densité et de la quantité d’ensoleillement. La planète la plus proche de l’étoile, Trapist-1 b, en fait le tour en un jour et demi terrestre seulement. La plus extérieure, Trappist-1 h, en dix-neuf jours. Tout le système pourrait tenir facilement à l’intérieur de l’orbite de Mercure, la planète la plus proche du soleil. Toutefois, comme Trappist-1 est une étoile dix fois moins brillante que le soleil, les exo- planètes qui gravitent autour d’elle ne sont pas fortement irradiées comme l’est Mercure. Les sept planètes ont des orbites très proches les unes des autres. Cette proximité des planètes entre elles est telle que l’attraction gravitationnelle perturbe la régularité des orbites. Ces exoplanètes sont en rotation synchrone: elles présentent toujours la même face à leur étoile. Une partie de leur surface est donc constamment irradiée en rayons X et UV, tandis que l’autre est plongée en permanence dans la nuit froide. Trois ou quatre planètes orbitent à une distance de l’étoile qui pourrait permettre la présence durable d’eau liquide, un pré requis pour l’apparition de la vie. Mais beaucoup d’inconnues demeurent sur leur habitabilité, qui dépend de la présence ou non d’une atmosphère et de sa nature. Plus l’atmosphère est épaisse, plus la température est homogène à la surface de la planète. Si certaines s’avèrent être des planètes-océan, hypothèse que les modèles actuels ne peuvent écarter, il doit se produire une forte évaporation en leur point le plus chaud, face à l’étoile. Cette évaporation entraînerait la formation de nuages, qui réfléchiraient la lumière stellaire et atténueraient ainsi l’irradiation de la surface.
Les étoiles naines ont de fréquentes tempêtes qui rendent leur environnement planétaire inhospitalier, voire stérile. Pourquoi persistez-vous à concentrer vos recherches sur le système Trappist-1?
Il est vrai que les naines rouges ont souvent une activité magnétique intense et très variable. Ces « colères » répétées se traduisent par l’émission de particules chargées et de photons de haute énergie. Cela rend certains chercheurs pessimistes quant aux chances de détecter une forme de vie sur les planètes situées dans leur zone habitable. Mais nos observations révèlent que Trappist-1, à la différence d’autres naines rouges, est une étoile relativement calme. Nous avons fait le choix de nous intéresser aux exoplanètes en orbite autour de naines « ultrafroides » parce qu’elles se prêtent bien à des études atmosphériques détaillées, voire à la détection de biosignatures. Même avec les plus grands télescopes du monde, les seules exoplanètes potentiellement habitables dont l’atmosphère peut être analysée avec précision sont celles qui gravitent autour de petites étoiles de faible intensité. Pour détecter ces planètes, Trappist, Speculoos et d’autres projets utilisent la méthode indirecte des « transits »: lorsqu’une planète passe devant son étoile, elle masque une partie de la lumière stellaire, ce qui se traduit par une diminution de luminosité. Mesurer cette baisse périodique permet de détecter le passage de la planète. Il est plus facile de repérer une planète de la taille de la Terre si son étoile hôte est beaucoup moins brillante que le Soleil. D’où mon intérêt pour les naines « ultrafroides ».
Si on découvre dans le système Trappist-1 une planète tempérée, riche en eau et abritant une biosphère, est-il imaginable d’y envoyer un jour une mission d’exploration?
Trappist-1 se trouve à près de quarante années- lumière de la Terre, soit plus de 370 000 milliards de kilomètres. Les sondes actuelles les plus rapides mettraient des centaines de milliers d’années pour rejoindre ce système planétaire. Si un jour nous disposons d’une technologie permettant de propulser un engin à une vitesse égale à 10 ou 20% de celle de la lumière, prouesse dont nous sommes encore loin, une mission robotisée pourrait atteindre en quelques dizaines d’années une exoplanète habitable pas trop éloignée. Mais y envoyer des êtres humains est un défi bien plus grand encore et d’un intérêt incertain. Par essence, la seule planète à laquelle nous sommes bien adaptés est la Terre, car nous sommes le produit d’une évolution qui a pris place dans l’environnement terrestre et s’est étalée sur des centaines de millions d’années. C’est pourquoi il faut renoncer à toute idée de « planète de rechange ». Nous parviendrons peut-être à découvrir un autre monde au climat tempéré, disposant d’eau liquide et où se sera développée la vie. Mais je doute fortement que nos organismes puissent résister aux microbes qui s’y trouveraient. La plus paradisiaque des exoplanètes serait très probablement un enfer pour l’homme. Coloniser Mars ou une planète extrasolaire signifierait sans doute vivre au sein de bunkers construits dans un environnement mille fois plus inhospitalier que la plus épouvantable des régions de la Terre. Ou alors, nous devons nous modifier en profondeur! Peut-être est-ce l’avenir de l’humanité. Nous serions remplacés par des posthumains, qui seraient envoyés vers les étoiles. Mais je ne suis pas sûr qu’on soit obligés de passer par-là. Les conditions de vie d’une partie de l’humanité risquent de se dégrader du fait du réchauffement climatique combiné à notre démographie galopante et à la pénurie croissante des ressources, mais notre espèce n’est pas sur le point de s’éteindre, contrairement à ce qu’affirment les catastrophistes.
La colonisation de l’espace, thème popularisé par la science-fiction, restera une utopie?
Pas forcément. L’humanité cherchera toujours à repousser les limites, comme le suggère le fascinant générique de la série de science-fiction The Expanse, qui montre la colonisation du système solaire au XXIIIe siècle. L’homme est par nature curieux et aventureux. Si nos lointains ancêtres Homo sapiens originaires d’Afrique se sont répandus dans le monde, ce n’est pas seulement parce qu’ils avaient besoin d’espace et de nouvelles ressources. C’est aussi parce que leur curiosité les a poussés à aller plus loin. Cette même curiosité nous conduit à observer les étoiles. Elle pourrait un jour nous amener à les considérer comme d’irrésistibles destinations.
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