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Météo : pourquoi on a toujours l’impression qu’il fait plus moche qu’en réalité

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Les étés et les hivers chauds et secs à répétition modifient notre perception des normales saisonnières. Et provoquent une distorsion entre notre vision du temps qu’il fait et l’évolution du climat.

Il y a ce que la science nous dit, et puis il y a ce que nous ressentons. La langue française regorge d’expressions imagées pour parler du temps et de la manière dont nous vivons les conditions météorologiques dans notre chair: être trempé jusqu’aux os, se faire dorer la couenne, se cailler les miches, ça cogne, ça tape, ça pèle… Le temps qu’il fait et les désagréments ou l’inconfort qu’il procure sont une source inépuisable de tracasseries et de sujets de conversation.

«On l’a quelque peu oublié mais l’homme est en interaction avec la planète. La météo permet de prendre conscience de beaucoup de choses», rappelle Louis Bodin, ingénieur-prévisionniste-météorologue et auteur de Quand la météo fait l’histoire (Albin Michel). «Comme nous, nos ancêtres ont été confrontés à des sautes d’humeur du temps. Et pourtant, il n’était pas question de réchauffement climatique à l’époque. C’est un fait: le temps n’a jamais eu la régularité d’un coucou suisse. Sinon, le métier de météorologue serait d’un ennui prodigieux.»

Cette interaction entre l’humain et son environnement est aussi au cœur d’un ouvrage publié par les psychiatres Célie Massini et Antoine Pelissolo et traitant de l’impact des catastrophes climatiques sur notre bien-être, Les Emotions du dérèglement climatique (Flammarion, 2021). «En tant que partie d’un tout, toute modification de notre environnement biologique, physique, social et économique peut avoir des répercussions sur notre état de fonctionnement. En effet, le corps humain s’est adapté pour fonctionner dans un environnement donné qui est celui dans lequel nous vivons depuis quelques milliers d’années. S’il est capable de faire face à de nombreuses variations, ce n’est vrai qu’au sein d’une gamme bien définie qui correspond aux écarts (de température, composition de l’air, nutriments, etc.) rencontrés couramment dans l’histoire humaine. En dehors de cette gamme, des effets néfastes, massifs comme plus insidieux, peuvent survenir.»

Comme nous, nos ancêtres ont été confrontés à des sautes d’humeur du temps.

Mémoire émotionnelle

Le décalage entre l’avéré et le ressenti ainsi que la confusion courante entre météo et climat ont poussé François Massonnet, chercheur qualifié FNRS et professeur au Earth and Climate Center de l’UCLouvain, à s’intéresser à la manière dont les Belges perçoivent les phénomènes atmosphériques et les événements météorologiques. «En interrogeant les personnes sur la manière dont elles avaient vécu l’hiver 2022-2023, je me suis aperçu que nombre d’entre elles estimaient qu’il avait fait froid, qu’il avait beaucoup plu et qu’il avait fait sombre. Ces personnes décrivaient un hiver dans la norme, voire même un peu plus froid que les précédents, alors que les données de l’IRM et celles du programme Copernicus (NDLR: le programme d’observation de la Terre développé par l’Union européenne) montraient que si l’hiver avait effectivement été peu lumineux, nous étions restés dans les moyennes pour la pluviométrie et même que nous étions 1 °C au-dessus des normales saisonnières.»

Un mauvais jugement qui pourrait, en partie, être lié aux circonstances particulières dans lesquelles nous appréhendions cet hiver en raison de la crise énergétique, formule, pour hypothèse, le climatologue. Devoir baisser le chauffage et enfiler des pulls pour ne pas se retrouver avec une facture impayable aura certainement marqué les esprits. Une explication est à trouver dans la manière dont fonctionne notre mémoire émotionnelle. «On va par exemple se rappeler qu’il a neigé car on va associer ce ou ces jours de neige à des souvenirs personnels précis», comme le fait d’être resté bloqué dans la neige avec sa voiture ou d’avoir sorti la luge pour dévaler les pentes, «tandis que les événements ordinaires, eux, ne restent pas gravés dans notre mémoire émotionnelle». En matière de pluviosité, on aura tendance à se référer à l’été 2021 et aux inondations meurtrières qui ont frappé le pays cette année-là. «Alors que les étés 2020 et 2022, qui furent très secs et ensoleillés, ressemblent davantage à ce qui nous attend à l’avenir. On observe une distorsion entre notre vision du temps et l’évolution du climat.»

Habituation collective

La durée d’ensoleillement, ou durée d’insolation, peut aussi nous induire en erreur. «Lorsque le ciel a été très lumineux, cela peut donner l’impression d’un hiver plus réussi, plus agréable. Par contre, si cet ensoleillement s’étend sur une longue période et qu’il s’accompagne d’un froid piquant, on va commencer à voir les aspects moins positifs, le dessèchement de la peau ou les fissures qui apparaissent sur la route, et à développer une forme de lassitude. Au final, on va tout de même finir par râler sur le temps.»

François Massonnet voit aussi dans toutes ces perceptions erronées de la réalité une forme d’habituation collective et inconsciente au déclin climatique. Les hivers rigoureux se faisant rares en raison du réchauffement climatique, on aurait tout doucement tendance à oublier ce que c’est que d’avoir froid. Même constat pour la chaleur en été. Alors qu’on se satisfaisait d’un mercure à 21 °C il y a vingt ans, aujourd’hui on trouve cela un peu frisquet pour la saison. Notre cerveau ne serait en effet pas capable de définir des normes climatiquement pertinentes. François Massonnet pointe aussi la responsabilité des médias qui jouent un rôle de caisse de résonance en mettant l’accent sur les événements ayant un impact fort, comme les vagues de froid ou les canicules, et qui induisent de nouvelles lignes de référence.

La médiatisation croissante de la météo au cours de ces quarante dernières années a conduit à une assimilation entre le temps réel et ce qu’on dit du temps dans les médias, déplorait il y a dix ans déjà, sur FranceInfo, l’ethnologue et sociologue français Martin de la Soudière, soulignant au passage que nous nous montrons de plus en plus exigeants sur les prévisions météo. Au point que nous en serions devenus allergiques à «l’aléa météorologique». «Les chercheurs travaillent énormément sur l’information en temps réel. Avec le déploiement des satellites et des politiques d’échange de données à grande échelle, on assiste à une petite révolution sur le plan de prévisions saisonnières. Tous les dix ans, on gagne un jour de prévisions en plus, estime François Massonnet. Et avec les applications, il suffit de sortir son téléphone pour savoir dans la seconde si la pluie va tomber et où.» On peut aussi se fier à l’adage populaire: en Belgique, s’il ne pleut pas, c’est qu’il a plu ou qu’il va pleuvoir.

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