Damien Ernst et Michel Hermans
Mer ou RER : faut-il vraiment 10 milliards d’argent public pour l’éolien offshore?
Marie-Christine Marghem, une vraie écologiste en charge de l’énergie, de l’environnement et du développement durable au fédéral ?
Elle a souvent été critiquée par les verts, Ecolo et Groen, pour avoir poussé la filière nucléaire belge contre vents et marées. Elle a tenu bon face à une opposition – essentiellement verte – très bien organisée, qui l’a souvent malmenée et même parfois mise sérieusement en difficulté. Mais il est vrai qu’elle a été aidée par le fait qu’aujourd’hui, une ministre fédérale ne doit curieusement plus nécessairement argumenter ses décisions de manière rationnelle pour qu’elles soient adoptées à la majorité parlementaire. On se souvient de son fameux « je prolonge les centrales nucléaires de Doel 1 et Doel 2 pour accélérer la transition énergétique » que, à vrai dire, l’on ne comprend toujours pas. Mais sa plus belle victoire face aux verts belges sera sans doute sa politique en faveur de l’éolien offshore, en mer du Nord. Elle pourrait peut-être même se vanter, un jour, d’avoir fait plus pour le renouvelable que l’Ecolo Jean-Marc Nollet, ex-ministre de l’Energie sous le gouvernement wallon 2009-2014. Sous le règne Marghem, tout sera fait pour que la capacité de l’éolien offshore passe d’environ 700 MW à carrément 2200 MW. Ce type d’éolien devrait alors produire annuellement une quantité d’énergie comparable à celle produite par le réacteur nucléaire de Doel 4. La ministre fédérale va pour cela, accrochez-vous au montant, accorder aux alentours de 10 milliards d’euros de subsides additionnels à cette filière d’éoliennes en mer, soit un montant quatre fois plus élevé que celui que le « pingre » gouvernement wallon avait accordé à la filière photovoltaïque lors de la précédente législature. Cette victoire politique est d’autant plus notable qu’elle a su, non sans habileté, rendre aphones les membres du MR traditionnellement opposés aux subsides massifs pour le renouvelable. Un humoriste pourrait en tirer un sketch : Marie-Christine Marghem serait une vraie écologiste camouflée, très habile pour imposer sa vision verte de notre société au sein du parti MR qu’elle aurait infiltré, histoire de pouvoir dépenser sans compter pour réduire nos émissions de CO2 et combattre le fléau qui hanterait ses nuits : le réchauffement climatique.
Dépenser sans compter, mais sans réfléchir aussi ?
Malheureusement pour Madame Marghem, il ne suffit pas d’allouer beaucoup de subventions au « renouvelable » pour devenir, dans le gouvernement Michel, une ministre modèle de l’Energie, de l’Environnement et du Développement durable. C’est qu’il faut aussi veiller à ce que l’argent public soit bien dépensé. Et c’est là que le bât blesse, selon nous.
Pas de mise en compétition pour déterminer le niveau de subventionnement
La première chose, très critiquable, dans la gestion de ce dossier est son approche que nous pouvons qualifier de … non libérale pour déterminer le niveau de subventionnement. Il a été fixé à 138 euros par MWh – pour la plus grande partie des MWh qui seront produits par ces champs d’éoliennes maritimes. C’est beaucoup. Le prix de l’électricité sur les marchés de gros est aux alentours de 30 euros par MWh, pour l’instant. Donc, c’est 108 euros de plus, sous forme de subsides par MWh d’énergie produite. Beaucoup d’argent aurait sans doute pu être épargné en mettant les développeurs d’offshore en compétition pour pouvoir bénéficier de l’exploitation de concessions en mer du Nord, comme c’est le cas par exemple en Grande-Bretagne. Mais il y a fort à parier que Marie-Christine Marghem a sans doute assez facilement abandonné ses convictions libérales face au lobbying de certains groupes financiers et industriels qui n’avaient aucun intérêt à ce que la libre concurrence ne réduise la manne de subsides qui leur était attribuée.
Et pourquoi pas un renouvelable qui appartient aux gens ?
Hormis le fait que l’on paye l’éolien offshore probablement trop cher, on peut aussi se demander s’il n’aurait pas été judicieux de financer d’autres filières renouvelables. Avec cette manne de 10 milliards de subsides, il serait par exemple aussi possible de développer des capacités photovoltaïques, au sein du pays, produisant autant que les 1500 MW d’offshore que Marie-Christine Marghem veut installer. Et il resterait même assez d’argent pour investir dans des moyens de stockage, comme des batteries, par exemple, pour lisser la fluctuation intra-journalière du photovoltaïque. L’avantage du duo associant le photovoltaïque et les batteries se situe dans une manière de produire et de gérer l’énergie qui peut être installée dans des maisons, des immeubles, des PME, et donc appartenir à la classe moyenne. C’est un fait incontestable que les stratégies politiques qui ont facilité l’accès à la propriété du logement en Belgique ont été, jadis, déterminantes dans l’essor et la prospérité de cette classe moyenne. Ne serait-il pas dès lors plus judicieux, pour aider celle-ci, de plus en plus malmenée, d’orienter les subsides dédiés aux renouvelables pour que les gens puissent également bénéficier de la propriété de leur moyen de production d’énergie ? C’est dans un régime démocratique, une question qui doit être posée aux citoyens ou tout au moins être débattue sainement au parlement.
Wallons et Bruxellois vont subsidier le tissu industriel flamand, au travers de l’éolien offshore
Autre constat : Wallons et Bruxellois auraient tout intérêt à ce que ces 10 milliards soient dépensés pour favoriser des énergies renouvelables de proximité plutôt que cet éolien off-shore. Pourquoi ? Tout simplement parce que subventionner les énergies renouvelables booste le tissu industriel bénéficiant de ces subsides, créant de l’emploi ainsi que des retombées économiques indirectes. Or, de ces 10 milliards investis en pleine mer, les tissus industriels wallons et bruxellois n’en profiteront pas beaucoup. Ce sera principalement l’économie flamande qui en profitera. La mer du Nord a beau être fédérale, la côte, la Vlaamse Kust est flamande. On ne peut s’empêcher ici de penser que ce n’est peut-être pas l’écologiste infiltrée Marie-Christine Marghem qui a su imposer sa politique verte au MR, mais bien certains membres flamands du gouvernement fédéral qui ont vu dans l’éolien offshore une vraie opportunité de développement économique. D’autant plus attrayante pour la Flandre, qu’une partie importante du développement sera financée par les deux autres Régions du pays.
Le RER : plus écologique que l’éolien offshore
Allons plus loin et mettons cet aspect communautaire de côté. Admettons même que Marie-Christine Marghem arrive à nous démontrer que pour la planète, le meilleur moyen de dépenser en Belgique 10 milliards d’euros en dispositifs de capture d’énergie renouvelable soit effectivement de subsidier, comme elle le fait, l’éolien offshore. Un autre débat s’ouvre. Est-il possible, dans un tel contexte, que le gouvernement fédéral puisse bénéficier d’une bonne note verte pour la manière dont il utilise ces 10 milliards d’euros de subsides ? Probablement pas, car mener une politique énergétique verte cohérente, c’est optimiser l’usage des ressources allouées à la réduction de la consommation d’énergie et à la production d’énergie verte. Concernant la réduction de la consommation d’énergie, le gouvernement passe à côté de plusieurs opportunités, dont une de taille, à savoir l’investissement massif dans des moyens de transport de type RER dans les endroits où ils pourraient être particulièrement populaire. Pourquoi ? Parce que pour une ligne RER bénéficiant d’une bonne affluence, le coût énergétique pour transporter une personne peut être de l’ordre de dix fois plus faible, voire plus, que si elle utilisait sa voiture pour faire le même trajet. A cela s’ajoutent, bien entendu, d’autres bénéfices écologiques pour les zones urbaines et périurbaines, par exemple une diminution de la pollution de l’air.
Il est en fait un peu absurde que le fédéral dépense autant d’argent pour booster l’éolien offshore alors qu’il existe tant d’opportunités pour développer des RER, tout comme d’autres moyens de transport par rail. D’autre part, il est peu probable que le coût de construction d’un réseau RER baisse de manière significative avec le temps alors que ce sera assurément le cas avec l’éolien offshore, raison supplémentaire pour postposer les investissements en offshore au profit de RER ou de tout autre moyen de transport en commun propre. Une telle politique permettrait aussi de résoudre, du moins partiellement, les problèmes d’embouteillages auxquels notre pays est confronté.
Un conseil politique concret
Le gouvernement fédéral – et assurément son aile francophone, représentée par un seul parti – est en difficulté, car il n’arrive pas à dégager le financement nécessaire pour achever les lignes du RER devant relier, sur quatre voies, la Wallonie à la Région bruxelloise. Ne lui serait-il pas utile de commanditer une étude visant à établir les bénéfices écologiques associés à la bonne fin de cette partie du RER ? Et, au vu des relativement faibles montants nécessaires (entre 600 et 800 millions d’euros) pour terminer le RER wallon, on peut déjà être quasi certain que par euro dépensé, les bénéfices écologiques liés à la concrétisation du RER wallon seront supérieurs à ceux apportés par euro dépensé pour l’éolien offshore. Ne serait-il pas, dès lors, normal qu’une partie des subsides de l’éolien offshore soit allouée à la finalisation du RER ? Bruxelles et la Wallonie obtiendraient ainsi une certaine compensation par rapport aux bénéfices que la Flandre a déjà tirés et tirera encore de l’éolien offshore. Et puis peut-être même qu’en appliquant un raisonnement similaire, d’autres villes, comme Anvers par exemple, trouveraient également une solution pour financer leur propre RER.
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