Maxime Prévot: « La Wallonie fait tout sauf de la figuration en matière de santé »
Place des Célestines à Namur. Dans son superbe bureau, le ministre wallon de la Santé nous accueille pour une interview de rentrée. Ou plutôt de bilan, après deux ans de mandats. Frustré de ne pas avoir tous les leviers nécessaires à l’application de sa politique de Santé publique, le ministre dit se retrouver » mitan del voye, avec la satisfaction d’avoir aujourd’hui plus d’outils qu’hier pour mener une politique cohérente, mais en ne disposant pas non plus de tous les leviers utiles pour nous permettre d’aller de l’avant. «
Le journal du Médecin : Vous craignez le budget wallon 2017 ?
Je ne le crains plus puisque tous les arbitrages ont été faits. Je suis par contre interrogatif sur les décisions que le Fédéral pourrait prendre. Je suis inquiet d’entendre, dans certains secteurs, des demandes en matière de prise en charge, du coût de la médication et de soins qui explosent, alors que le laius fédéral tend plutôt à vouloir diminuer ces prises en charge.
Vous savez, je rencontre dans le secteur du handicap, par exemple, des parents d’enfants autistes. Ils viennent me parler des actions que je dois prendre au niveau de la Région, ou des mesures que mes collègues doivent prendre en matière scolaire au niveau de la Communauté française. Mais quasi tous les parents me parlent également du fait qu’ils sont financièrement étranglés par les coûts de la logopédie et de l’insuffisance de prise en charge. Ils sont obligé de faire des soupers, de mobiliser des fonds par des initiatives locales, via des ASBL locales crées uniquement pour permettre à leur enfant de pouvoir parler correctement, ou à parler tout court. C’est vrai que là, il y a quelque chose de choquant !
Je n’arrête pas de plaider pour qu’au niveau du fédéral, Maggie De Block soit sensible à ça et intervienne davantage pour soulager les familles sur le plan économique. D’autant plus que lorsque vous avez un enfant autiste, il n’est pas rare qu’au moins un des deux parents soit obligé de restreindre son temps de travail pour s’en occuper adéquatement, ce qui impacte les finances, ce qui permet alors encore moins une prise en charge adéquate des frais de logopédie. Ce sont des matières comme celles-là où il devrait y avoir plus d’interactions entre le Fédéral et les Régions. Et à l’heure des choix politiques, ce n’est pas sur ce type d’interventions de remboursement, de prise en charge, que l’on doit faire saigner la bête.
Est-il encore possible, financièrement, de restructurer le paysage hospitalier wallon, compte tenu du fait que plusieurs hôpitaux sont dans le rouge, comme le montre la dernière étude Maha, et que la méthode de financement est amenée à changer vers du 100% hospitalier ?
Votre question, c’est « est-il encore possible ». Je dis qu’il est indispensable! Et l’étude Maha démontre une dégradation lente mais régulière des finances des structures hospitalières. Donc on doit être dans un processus de rationalisation. Les balises budgétaires et financières des hôpitaux, à la lumière de l’étude Maha, plaident pour accélérer le mouvement en la matière.
J’ai connu des conseils médicaux arcboutés sur leurs convictions – parfois davantage arcboutés sur leurs avantages que sur leurs convictions d’ailleurs – qui pensaient, tous seuls en restant sur leur île, consolider leur offre de soins, rencontrer les normes d’agréments…Je pense que c’est illusoire! Aujourd’hui, on doit travailler en réseaux, en collaboration renforcée, en synergie et parfois fusionner pour atteindre cette masse critique qui garantit la qualité des soins.
Pour ce faire, la coopération avec votre homologue fédérale est nécessaire, mais est-elle bonne ?
Toutes les collaborations peuvent être améliorées, mais aujourd’hui, à titre personnel, je ne me plains pas des collaborations que mon cabinet peut entretenir avec celui de Maggie. On ne mesure pas combien en politique, c’est aussi une affaire de qualité relationnelle entre les hommes et les femmes.
J’ai eu la chance de fréquenter Maggie De Block lorsque j’étais député fédéral. Nous étions ensemble en Commission de la Santé. Ça peut paraître marginal, mais le simple fait de s’être fréquenté et apprécié à l’époque facilite le contact. Aujourd’hui, j’ai un excellent contact personnel avec elle, même si je ne cautionne pas toutes les orientations qu’elle prend. C’est autre chose.
Je ferais un mauvais procès à Maggie De Block de donner le sentiment que je ne suis pas en capacité de nourrir une collaboration positive en matière de Santé publique avec elle. Ce n’est pas le cas. Les choses se passent bien depuis le début de la législature. Gageons qu’il en soit de même jusqu’à la fin de la législature.
Qu’avez-vous à répondre aux acteurs de la santé qui estiment que vous jouez un rôle de figurant ?
D’abord, c’est que ce sont des gens qui connaissent très mal la sixième réforme de l’État et les leviers qui sont désormais dans les Régions pour agir.
Maintenant, il est certain que si ces fameux acteurs de la Santé sont issus du milieu hospitalier et qu’ils sont peu intéressés par les questions liées à l’infrastructure et à l’équipement, ils auront tendance à considérer que le seul véritable interlocuteur qui subsiste est Maggie De Block. À ce sujet, ils ont raison: les questions de financement restent une compétence fédérale.
Pour le reste, je trouve que c’est un propos gratuitement agressif qui n’est fondé sur aucune réalité factuelle. Interrogez ces gens sur le niveau de pouvoir qui s’occupe de ceci et de cela. Je ne suis pas sûr qu’ils le sachent nécessairement. Ils seraient peut être très surpris qu’en Wallonie, on fait tout sauf de la figuration en matière de Santé.
Vous avez 46% du budget wallon dans vos différents portefeuilles. Comment gère-t-on ça ?
D’abord, pour pouvoir bien faire son job, j’ai toujours dit qu’il faut deux choses : être bien organisé, et bien entouré. J’essaye d’être bien organisé et je veille à être bien entouré. On ne sait pas faire tout, tout seul, mais je tire bénéfice de la large palette de compétences.
Quand j’ai des travaux publics et que je finance, à coup de plusieurs centaines de millions d’euros, des routes de l’emploi qui mènent vers des milieux hospitaliers, je fais en sorte que ma compétence en Travaux publics soit au service de ma compétence en Santé.
On tire avantage de ce large horizon pour pouvoir, quand c’est nécessaire, venir en renfort caisse. Il m’arrive, en fin d’année de me rendre compte qu’il y a des besoins qui font défaut. S’il me manque un ou deux millions d’euros en matière de santé, c’est plus facile pour moi de les prendre dans un large portefeuille qui me permet d’aller reprendre du non-consommé en travaux publics au bénéfice du social et de la santé.
Vous êtes le 1er ministre wallon de la Santé depuis la sixième réforme de l’état : vous essuyez les plâtres, notamment au niveau de la transition entre les modèles de gestion.
Oui, et en même temps, c’est un magnifique défi, parce que j’aurai pu être dans un contexte où je gérais l’habitude, c’est-à-dire une législature où il n’y avait pas de réforme de l’État particulière et où je gérais l’existant.
J’ai la chance, même si ça c’est challeging, même si j’essuie les plâtres, même si ça accentue les critiques, intellectuellement de pouvoir déterminer des politiques majeures en Santé et dans les matières sociales grâce à cette sixième réforme de l’État que je dois maintenant mettre en oeuvre.
Les enjeux de l’assurance autonomie, des allocations familiales, la réforme hospitalière, la réforme des maisons de repos…intellectuellement, c’est extrêmement stimulant, comme c’est extrêmement exigeant. C’est aussi parfois contrariant, mais ça permet de donner toute sa noblesse à la fonction publique.
Que vous apporte, après six mois de collaboration, votre nouvelle cheffe de cabinet, le Dr Boucquiau, qui vient de la Fondation contre le cancer ?
Certainement une sensibilité accrue sur les enjeux de la promotion et de la prévention de la Santé. Elle a également le regard d’une praticienne et de quelqu’un qui, avec sa fonction de médecin généraliste, a aussi un regard différent que celui de ma précédente cheffe de cabinet, qui avait pourtant également un champ d’expertise très fort dans toute une série de secteurs. Ce sont des profils différents mais qui apportent une grande plus-value dans la capacité de mettre en oeuvre cette sixième réforme de l’État. Et au-delà de l’apport professionnel, je dois dire que c’est quelqu’un d’extrêmement agréable sur le plan humain.
Reprendriez-vous le portefeuille de la Santé si c’était à refaire ? Pourquoi ?
Sans hésiter. Pour le challenge intellectuel que ça représente. J’ai besoin intellectuellement de me nourrir de vrais dossiers de fond en matière de politique publique, et tous ceux qui sont sur la table, qui sont encore comme de la terre glaise, qui doivent être reconfigurés à la lumière de la mise en oeuvre de la sixième réforme de l’État, c’est un challenge extraordinaire. Mais ça va permettre de façonner durablement les impulsions en matière de Santé au niveau de la Région, qui vont durer au-delà de la législature et au-delà de moi-même.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici