Nicolas Baygert
Matteo Renzi, un « sarkoberlusconisme » sans filet
Fin 2012, le jeune maire de Florence, Matteo Renzi, obtenait 40 % des voix lors des primaires du Parti démocrate. Le parti n’y prêta guère attention, comme il ne perçut pas non plus le besoin de renouveau profond incarné par l’histrion Beppe Grillo.
Aujourd’hui, la formation de centre-gauche encaisse le choc, sonnée par le césarisme de Renzi qui, franchissant le Rubicon en mode « blitz », a licencié en direct l’anticharismatique président du conseil, « Pompée » Letta, mû par la nécessité d' »accélérer le rythme des réformes et de changer d’horizon ».
Désormais chef du gouvernement, Renzi promet un impressionnant train de réformes pour « les 100 prochains jours qui changeront l’Italie ». Encore mieux qu’un de Gaulle qui, à l’entame de son mandat, gouverna durant quatre mois par ordonnance, ce qui lui permit de promulguer 70 textes avec effet immédiat.
Alors qu’en Belgique, l’on resonge au tirage au sort pour ressusciter une démocratie ayant visiblement fait le deuil de ses hommes d’Etat, la « Renzimania » transalpine interpelle. En Italie comme ailleurs, des performers politiques, des « doers and makers » se serviraient de partis comme de simples marchepieds pour mener à bien leur apostolat. Un « je » assuré remplaçant le « nous » partisan. Renzi, un cas isolé ?
En France, le costume du président de la cinquième République fut conçu selon les mensurations du général de Gaulle (1 m 96). Autant dire qu’aucun de ses successeurs ne parvint jamais à trouver tenue à sa taille dans les garde-robes de l’Elysée. Un retour au style du grand Charles exigerait une forte dose d’hormones de croissance, d’où l’intenable promesse d’une présidence « normale », pour une fonction XXL. Hormis la restauration mitterrandienne et un retour, par la gauche, à la souveraineté monarchique – dont profita également la chiraquie, cette ultime résurgence des « rois fainéants » – n’a-t-on pas souvent reproché à Nicolas Sarkozy, durant les premières années de son mandat, de ne pas parvenir à « entrer dans les habits du président » ? Et que dire de François Hollande ?
Or, bien qu’inadapté aux affres de la République, son prédécesseur venait de faire basculer la France dans l’hyperprésidentialisme. Sarkozy : l’omniprésident à l’américaine dictant le tempo et réveillant la fonction après une léthargie de plusieurs septennats. Un performer tel que lui ne se moule pas dans la fonction, il la transforme. Priorité à l’action (du bougisme, diront certains) incarnée par le rituel du jogging.
De Sarkozy à Renzi, il y aurait donc une filiation : un « sarkoberlusconisme » qui, d’après Pierre Musso (1), illustre un modèle politique de type bonapartiste adapté à l’Europe du Sud latine et catholique, caractérisé par une exaltation du management.
Et en Belgique ? La particratie telle que nous l’expérimentons neutralise de facto tout leadership susceptible d’imprimer un cap politique ambitieux. L’attelage bigarré gouvernemental (et sa sémantique de centre-centre) freinant des quatre fers devant une mesure qui s’inspirerait trop ostensiblement du programme d’un seul parti. Aussi, chaque décision découle d’un jeu de compromis et de compensations : un jeu à somme nulle.
Un Bart De Wever qui, tel Renzi, envisage de soumettre le pays à une série de réformes accélérées, se heurterait, lui aussi, à cette même logique neutralisante.
Reste au chef de gouvernement – en réalité : médiateur et « pacificateur » d’un dialogue perpétuel entre partis plénipotentiaires – de transposer sa performance dans un registre davantage symbolique.
Pendant ce temps, Renzi s’est lancé son ultimatum : « Si je n’y arrive pas, je considérerai non seulement mon expérience gouvernementale, mais également ma carrière politique comme terminées. » Une politique sans filet. Panache ou panda, faites votre choix.
(1) Le sarkoberlusconisme, par Pierre Musso, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2008, 172 p.
par Nicolas Baygert Chercheur au Lasco (UCL), enseigne les sciences politiques et sociales à l’Ihecs.
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