Nicolas Baygert
Matteo Renzi, populiste du centre en CDD
En ce printemps des égoïsmes (sous-)nationaux, les 40,8% obtenus lors du scrutin européen du 25 mai par le Parti démocrate italien (PD) de Matteo Renzi, l’actuel président du Conseil, auront eu de quoi enthousiasmer ses acolytes continentaux, voire même quelque leader anversois déjà bien heureux d’être monté dans le « tram 3 » (celui qui mène au Palais royal). Une victoire « contre les populismes », vraiment?
D’aucuns comparent Renzi, 39 ans, au jeune Tony Blair ou à Sarkozy ministre de l’Intérieur, d’autres le voient comme digne successeur du Cavaliere: un « Renzisconi ». Le triomphe du « matador » – tel que désigné par Angela Merkel – est donc loin de signifier le retour gagnant d’un leader social-démocrate pro-européen vintage à la Jacques Delors, encore moins l’avènement d’un « président normal » transalpin.
Si l’Italie a résisté à la « vague populiste eurosceptique », le type de leadership plébiscité rappelle en réalité l' »offre politique » des europhobes. Une réponse complexe à différentes attentes: un projet fédérateur, une (re)valorisation de l’identité, un leadership fort et une com’ talentueuse. Le tout chapeauté par une figure tutélaire: un chef.
Dès 2011, Matteo Renzi fut dépeint par La Repubblica comme « populista di centro ». Une posture combinant la critique radicale des « nouveaux populismes », tels que répertoriés par Dominique Reynié (1) au pragmatisme gouvernemental. En témoignent, lors de son entrée en fonction, le défi d’une réforme par mois et la promesse de « liquider les vieilles élites » en s’entourant d’une équipe de jeunes ministres, nullement prisonniers de l’appareil bureaucratique.
Au pouvoir depuis un putsch mémorable, dans un entretien accordé récemment au réseau Europa (2), Renzi partagea son admiration pour un autre célèbre Florentin, Machiavel. « Il n’est pas aussi négatif que ce que l’on en dit. C’est autre chose que la politique avec un petit « p ». » Aussi, pour ce Cesar Borgia tendance jeans délavé et accro à Twitter, les partis font désormais figure de marchepieds. Et bien que présidant le PD depuis novembre 2013, Renzi marque volontiers sa liberté, raillant « l’attitude de supériorité morale et intellectuelle de la gauche, typique des salons radicaux chics, [qui] ne tient pas compte de la situation du pays ».
Encore jeune maire de Florence, il insistait déjà sur la distinction entre « ceux qui sont prêts à prendre des risques et ceux qui vivent de leurs rentes, ceux qui ont du talent et ceux qui ont les bonnes relations. […] C’est ça, le cancer de l’Italie : les rentes, le népotisme politique. » Le Toscan ne désire d’ailleurs pas s’accrocher au pouvoir: « J’aime l’idée qu’on fasse de la politique en CDD. Pendant des années, tu te consacres corps et âme à ça et après tu lâches. » Gageons qu’il en touchera mot à ses camarades belges, qu’il côtoiera au sein du Parti socialiste européen (PSE).
Reste que ce « populisme du centre » contient deux principaux enseignements: d’une part, l’importance cruciale du chef, garant de la légitimité du « projet de marque » politique en dehors de toute logique partisane (on notera l’accord passé entre Renzi et Berlusconi sur la réforme électorale), d’autre part: il est possible de gagner une élection sans « cogner » sur l’Europe.
Ce 1er juillet, l’Italie prendra la présidence tournante de l’UE. Nul doute que l’homme fort du 25 mai, pour qui les Etats-Unis d’Europe constituent l’horizon politique, fera de l’ombre au successeur de José Manuel Barroso – à moins que les 28 ne se dotent à leur tour d’un véritable chef. Rien n’est moins sûr.
(1) Les nouveaux populismes, par Dominique Reynié, Paris : Fayard/Pluriel, 2013, p. 246. (2) Réseau comprenant des journalistes du Monde, de la Süddeutsche Zeitung, du Guardian, de La Stampa, d’El Pais et de Gazeta Wyborcza
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