Guillaume Dos Santos
Marche pour le climat 2019 : l’anti Mai 68?
L’image d’une jeunesse qui se rebelle contre un système en place a quelque chose d’intemporel, de quasi mythique. Que signifie être jeune, sinon cette impétuosité candide et cet idéalisme brouillon qu’on retrouve à la base de la plupart des mouvements de contestation portés par la jeunesse?
On peut critiquer à l’envi le manque de cohérence de ces jeunes qui manifestent le jeudi matin pour retrouver l’après-midi les habitudes de consommateurs grégaires qu’on attend d’eux. On pourrait ergoter sans fin aussi sur le fait que cette manifestation ait lieu pendant les heures de cours -et je crois sincèrement que c’est une critique qui est légitime et dont on aurait tort d’abandonner le monopole aux réactionnaires grincheux. Mais on ne devrait pas oublier que c’est le propre de la jeunesse que de se montrer prompte à la désobéissance, et que c’est aux adultes qu’il appartient de l’éduquer à la cohérence et à la rationalité.
C’est par souci de cohérence, et dans une quête de rationalité, que j’ai voulu m’intéresser à l’essence du message des marches pour le climat. Un mouvement dont il convient de saluer la persévérance, quand l’époque est au pessimisme et au découragement ; l’idéalisme, quand le pragmatisme macronien et l’obsession du chiffre sont constitutifs de l’esprit de notre temps ; l’engagement, enfin, qui répond au chacun pour soi festiviste et individualiste des décennies passées. « Chacun chez soi, et les hippopotames seront bien gardés » était l’injonction d’hier, mais les jeunes qui marchent aujourd’hui à Bruxelles et ailleurs ont compris que nous habitions tous une maison commune.
Ce qui distingue Mai 68 et les marches de 2019 : le concept de limite
Certains ont pu comparer ce mouvement à Mai 68, à tort selon moi. En 68 comme aujourd’hui, on entend une certaine remise en cause de l’ordre établi, la critique d’un système qualifié de capitaliste et d’un mode de vie consumériste. Mais la ressemblance s’arrête plus ou moins là.
La réaction du monde politique, en elle-même, est assez révélatrice de l’esprit du temps : répression en 68, récupération en 2019. La jeunesse de 68 bloquait les universités et jetait des pavés sur les CRS, tandis qu’aujourd’hui les écoles ne sanctionnent pas les absences répétées des élèves et que toute l’élite actuelle cherche à s’associer au mouvement en cours, non sans se faire gronder face caméra par une adolescente de 16 ans.
Ce qui distingue fondamentalement les deux mouvances, si l’on peut les qualifier ainsi, c’est en réalité le concept de limite. Les jeunes qui marchent aujourd’hui ont pris conscience de la finitude de nos ressources et des limites qui sont les nôtres. Une attitude qui tranche avec celle des révolutionnaires de 68 qui appelaient à « jouir sans entrave » et scandaient qu’il était « interdit d’interdire ». Mai 68, de par ses idéaux libertaires, a constitué une remise en cause profonde de l’autorité et de tout ce qui pouvait représenter une contrainte, une entrave, une limitation aux aspirations individuelles.
Aux utopies anarchistes de l’autogestion généralisée a succédé aujourd’hui une génération qui demande à l’État d’agir pour préserver un écosystème menacé. Ce sont deux attitudes radicalement différentes : l’une s’attache à une jouissance individualiste et débridée, l’autre cherche à s’organiser ensemble pour préserver notre maison commune, dont les équilibres sont menacés par l’activité humaine.
Un être fini dans un environnement limité
L’homme est un être fini dans un environnement limité. C’est autour de cette notion de limite que devrait s’articuler l’écologie. Une notion qui appelle à la sobriété des modes de vie, à l’humilité de nos sociétés face à la beauté de la Création et au respect des équilibres du vivant, en ce compris ceux de nos propres corps.
On peut aller un pas plus loin en affirmant que le souci écologique ne peut, on le voit avec les Gilets Jaunes, se départir d’une dimension sociale, mais aussi bioéthique. La protection des écosystèmes et de la nature ne peut pas s’affranchir du respect de l’écosystème que constitue notre corps, le plus sacré qui soit. Benoît XVI n’affirmait-il pas en son temps qu’il existe une « écologie de l’Homme », parce que ce dernier aussi « possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté » [1]?
Tout est lié. Et si tout est lié, on ne peut disséquer le rapport au réel de l’être humain en ses composantes environnementale, sociale et bioéthique. Ces trois relations qui affectent l’être humain – avec son environnement, avec la société et avec lui-même – doivent s’appréhender de concert, dans une inlassable quête d’harmonie. Tout est lié. Et c’est le sens même du mot « écologie » que de chercher à appréhender les contraintes, c’est-à-dire les limites, qui sont constitutives de cet équilibre qui noue les choses ensembles.
S’émerveiller à nouveau
Face au paradigme technocratique, au sein duquel la Nature n’est perçue que comme un bien à conquérir, transformer et vendre, il convient enfin d’opposer une autre attitude : celle de l’émerveillement. Émerveillement devant la beauté du monde et, pour les croyants, louange de son Créateur.
À la volonté de contrôle et de maîtrise qui prédomine dans notre société, doit succéder une parole de louange, tel que le Cantique des Créatures de Saint-François d’Assise que cite le pape François dans l’Encyclique Laudato Si. À la science devenue technique, c’est-à-dire utilisation du savoir dans un but de maîtrise du réel, on doit aujourd’hui préférer une science conçue plutôt comme « étude de la beauté du monde », comme l’écrivait Simone Weil [2] et comme la concevaient déjà les anciens Grecs. Face à l’hubris de nos contemporains, cette démesure que dénonçaient les Grecs, on doit revenir à l’émerveillement franciscain, qui appelle à réintégrer le sens du beau dans notre rapport au monde, en reconnaissant les limites et les difficultés la vie.
Plus que tout, enfin, on ne devrait jamais oublier que l’écologie n’a de sens que si elle considère l’Humanité comme fin, et jamais comme un moyen. Une écologie qui se ferait sans l’Homme n’a pas plus de sens que le système productiviste qu’elle prétend combattre.
[1] Discours au Deutscher Bundestag, Berlin, 22 septembre 2011.
[2] L’Enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, écrit en 1943 par Simone Weil et publié en 1949 à titre posthume par Albert Camus.
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