Laurence Van Ruymbeke

Manifestation : un signal envoyé à qui ?

Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Combien seront-ils dans les rues de Bruxelles, ce matin, pour dire d’abord leur colère, ensuite leurs revendications ? Quelques dizaines de milliers sans doute, que le froid, la désapprobation, voire l’indifférence, d’une partie de l’opinion publique et les appels à la raison lancés par certains ténors politiques n’auront pas rebutés.

Le mouvement, lancé en front commun par les trois grandes organisations syndicales du pays, s’appuie sur quelques mots d’ordre forts : non à une flexibilité accrue du travail, non à toute atteinte à l’index, non au gel des salaires, oui à une fiscalité plus juste, à l’égalité de statut entre ouvriers et employés, et à la hausse de certaines allocations sociales.

Mais au fond, à qui ce message s’adresse-t-il ? A la population non manifestante, à qui il faudrait démontrer que les syndicats sont les derniers défenseurs de la veuve, de l’orphelin et de la justice sociale ? Il y a fort à parier que chacun a déjà son avis sur la chose et n’en changera pas aujourd’hui.

Aux employeurs ? « Que la situation économique et sociale soit difficile et douloureuse pour certains n’est pas contestable, reconnaît l’Union wallonne des entreprises. Mais le moyen d’améliorer la situation économique n’est pas de paralyser l’économie par des actions de ce genre. » Comme à chaque turbulence sociale, chacun est dans son rôle : le banc patronal critique l’inconséquence des organisations syndicales, tandis que celles-ci condamnent l’aveuglement capitalistique des employeurs, érigé en principe. A l’heure où les repères traditionnels de cette société qui est la nôtre deviennent flous et mouvants, ce sempiternel affrontement entre les deux camps commence à en user certains.

La manifestation est-elle organisée pour les affiliés et sympathisants des syndicats eux-mêmes ? La colère ressentie par les manifestants – et par bien d’autres qui, pour de multiples raisons, n’auront pas battu le pavé ce matin – n’a rien d’illégitime. Les conditions de vie sont dures pour beaucoup, à la limite du supportable pour certains. C’est une évidence à garder à l’esprit et que l’on se batte pour inverser le cours des choses relève de la justice, ni plus ni moins. Tout dépend de la manière… La manifestation d’aujourd’hui est donc d’abord un grand coup de gueule. Réjouissons-nous qu’il soit encore possible de crier, quand bien même le cri est canalisé.

C’est aussi un avertissement pour le gouvernement, à qui les syndicats reprochent, en un mot, de n’être pas suffisamment à leur écoute, de leur côté. A ce titre, la présence d’un socialiste à la tête de l’exécutif rend certainement cette perception plus douloureuse et la désillusion, plus amère. Mais le gouvernement n’est pas sourd. Il sait les grondements émis par la base syndicale. Et il n’est pas suicidaire non plus. Il lui reviendra de trouver les pistes, étroites certes, qui lui permettront d’apaiser les syndicats et la population qu’ils représentent, sans pour autant fuir les décisions difficiles et sans doute impopulaires qui s’imposeront à lui dans un contexte qui lui laisse peu de marge de manoeuvre. Car les partis en présence dans l’exécutif exigent de marier sans cesse l’eau et le feu et la Belgique n’est pas une île. Elle ne peut faire fi du contexte européen et international dans lequel elle vit.

Faut-il néanmoins une manifestation et, partant, des arrêts de travail, pour faire trembler le gouvernement et l’avertir qu’il y a des bornes à ne pas franchir ? Tout cela ne relève-t-il pas d’un rapport de forces finalement théâtralisé qui permet à chacun de respecter son propre cahier des charges, et de se présenter sans rougir devant ses propres troupes ?

Car enfin, chacun sait qu’une fois balayés les tracts oubliés sur les grands boulevards de la capitale, il faudra que le gouvernement et les interlocuteurs sociaux se retrouvent face à face pour baliser l’avenir. Aussi viriles soient les déclarations entendues et lues dans les médias ces dernières heures, chacun sait qu’il n’y pas d’issue dans l’affrontement. Et que, faute d’accord entre partenaires sociaux, le gouvernement tranchera. Il l’a déjà fait, notamment en validant un indice des prix à la consommation repensé auquel n’adhéraient pas les organisations syndicales. Et il le fera encore, même s’il n’est pas demandeur. Alors ?

En montrant les dents, les syndicats sont dans leur rôle. Par moments, on aimerait juste que le spectacle présenté par l’ensemble des acteurs change un peu.

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