Maison kangourou : jeunes et seniors sous le même toit
L’économiste Philippe Defeyt vient de franchir un cap, à 65 ans, celui de transformer sa résidence namuroise en maison kangourou. Le concept, né en Australie, est encore récent en Belgique. Il vise à réunir jeunes et seniors sous le même toit. Une des pistes pour un avenir intergénérationnel qui répond au défi du vieillissement.
Depuis septembre dernier, quatre générations cohabitent dans la maison « , résume Philippe Defeyt. Il y a trois ans, son beau-père est venu rejoindre l’économiste namurois et son épouse pour occuper le premier étage. » Il est chez lui, il reçoit et voit qui il veut, y compris ses autres enfants. Il prend seulement le repas de midi avec nous. » Restait à aménager le dernier étage. Cela a pris dix mois pour en faire un appartement, entièrement isolé. » Notre intention était de contribuer à résoudre à notre niveau la crise du logement, en accueillant une maman avec deux enfants. » Avec ces nouveaux locataires, il n’y a pas de formalisation de liens spécifiques comme il peut y en avoir dans le cadre d’une formule de bail entre une personne âgée et un étudiant qui rend divers services chez l’habitant. » Mais à l’avenir, avec l’âge, on pourrait imaginer que les locataires nous rendent divers services en échange d’un loyer diminué. »
Comme d’autres personnes de son âge, Philippe Defeyt s’est demandé voilà plusieurs années avec son épouse s’ils allaient continuer à vivre dans leur maison. » Plusieurs solutions s’offrent généralement dans ce genre de décision : trouver un logement plus petit, en déménageant dans un appartement, se rapprocher des enfants ou d’un centre-ville… Parmi les autres possibilités, il y a celle de rester chez soi. » C’est celle qui s’est imposée au couple. » Nous avons pris du temps avant de nous décider parce que nous avons réfléchi à tous les modèles possibles, en rénovant notre maison pour en faire une résidence partagée. »
Un enjeu sous-estimé
Pour l’économiste, la maison kangourou est une des pistes pour répondre au défi du vieillissement. » De plus en plus de personnes se retrouvent seules à 60, 65 ans. Outre la solitude, il y a des contraintes financières. Si elles veulent rester chez elles, ce n’est pas possible : l’entretien d’un logement, à côté des moyens, demande des capacités qu’avec l’âge, une personne n’a plus toujours quand elle vit seule. » Mais, selon lui, les autorités sous-estiment encore trop souvent les enjeux en matière de logement liés au vieillissement.
Pour favoriser la cohabitation entre générations, Philippe Defeyt ne s’est pas seulement penché sur son propre cas, mais a défini une série de pistes pour la Wallonie. Il défend notamment l’idée d’une prime financière qui couplerait travaux d’isolation et aménagement d’un logement pour accueillir un ménage, en divisant l’habitation devenue trop grande pour les occupants âgés. » Le deal pourrait être la mise en location du logement futur aux mains d’une agence immobilière sociale pendant quinze ans, et, en contrepartie, la Région cofinancerait les travaux. »
Selon Philippe Defeyt, un tel financement coûterait moins cher à la Wallonie que l’octroi de primes énergie et l’octroi de subsides pour construire un logement social. Cette proposition serait ciblée sur les propriétaires âgés entre 60 et 70 ans. » Je suis convaincu d’une chose : ce que j’ai fait chez moi, en divisant mon logement, je ne le ferai plus à 70 ans. »
L’économiste souhaite aussi revoir le rôle des AIS (agences immobilières sociales) : avec une évolution de la législation pour qu’elles puissent proposer des logements à des propriétaires âgés. Ceux-ci mettraient leur logement à disposition et l’AIS leur en présenterait un autre adapté à leurs besoins. Aujourd’hui, c’est interdit. Autre possibilité, celle d’adapter les normes urbanistiques de manière à pouvoir transformer les maisons isolées en plusieurs logements. Les responsables de l’urbanisme local ne sont pas toujours prêts à cette solution. » Dans certaines communes, une personne âgée seule qui voudrait aménager sa maison pour que son fils puisse vivre avec elle ne peut pas le faire. Il y a encore un gros travail de conscientisation à mener. »
En finir avec la ségrégation des personnes âgées
Avec de telles propositions, ce membre d’Ecolo, qui fut président du CPAS de Namur de 2006 à 2016, estime que les intérêts collectifs et les intérêts individuels se rencontreront : » D’un côté, on crée du logement accessible en misant sur le lien intergénérationnel, de l’autre, on offre la possibilité à la personne âgée de rester chez elle dans de bonnes conditions. » A ses yeux, les mesures traditionnelles du vieillissement démographique restent encore inadéquates en ce qu’elles négligent l’amélioration de l’autonomie et de la santé des personnes âgées. » Or, le discours officiel radote autour des plus de 65 ans, et cela n’a aucun intérêt. La plupart des personnes de plus de 70 ans sont en pleine santé. »
Philippe Defeyt insiste : le politique doit se préoccuper autant de la mixité intergénérationnelle que de la mixité sociale. » Même si elles ne se recouvrent pas entièrement. Je suis de plus en plus sceptique sur le modèle des résidences-services ou des maisons de repos, surtout quand elles sont isolées du reste de la vie d’un quartier. Il faut en finir avec cette ségrégation totalement absurde qu’on retrouve un peu partout chez nous, en mettant les petits vieux à part. »
Un premier quartier intergénérationnel
C’est une première en Wallonie : 23 logements intergénérationnels seront construits à Neufchâteau sur une parcelle appartenant au CPAS avec de nombreux espaces et services partagés entre seniors et familles. Derrière ce projet, on trouve la société Ithak et Alain Legros, qui s’est lancé, à 60 ans, dans la promotion immobilière intergénérationnelle. » A mes yeux, il est temps de dépasser le paradigme de la ghettoïsation, et un projet comme le nôtre est une réponse « , plaide Alain Legros qui a dans ses cartons d’autres idées en matière de logement intergénérationnel en Wallonie. » Les solutions comme les maisons de repos ne doivent plus être la norme : elles concernent seulement 6 % de la population de 65 ans et plus. Et économiquement, elles coûtent cher : plus de 20 000 euros par lit par an aux frais de la Région. Sans compter ce que paie la personne : au minimum 1 400 euros sans les suppléments. »
Molenbeek à l’avant-garde
Pionnier en la matière, le CPAS de Molenbeek dispose de deux maisons kangourou. Lancées en 2011, ces habitations collectives intergénérationnelles regroupent chacune quatre personnes de plus de 60 ans et une famille monoparentale. Laurette a rejoint une des résidences avec ses deux enfants. Elle est la gardienne du temple en quelque sorte, en donnant un coup de main aux seniors quand ils en ont besoin. » Je suis là pour veiller sur eux. Ils sont autonomes, mais il faut quelqu’un en cas de problème. »
Pour les seniors, ce type de logement est une alternative intéressante à la maison de repos pour les personnes qui se sentent seules ou à qui un encadrement quotidien devient nécessaire. Les personnes âgées ont chacune leur chambre privative et partagent une salle de bains à deux. Quant au loyer, il s’élève à 8,5 euros par jour. La famille paie une centaine d’euros pour couvrir les charges. Pour Malou, 73 ans, résidente depuis deux ans, habiter dans cette maison est une vraie chance. » Je vivais seule et mon logement devenait insalubre. Je n’avais pas la force de l’entretenir. Désormais, j’ai ma chambre. Je suis chez moi et je peux voir du monde. »
Fatima est la voisine de palier de Malou. Sans cette maison, elle n’aurait pas eu les moyens de se loger et de se soigner en même temps. » C’est une solution pour rencontrer d’autres personnes qui, d’une façon ou d’une autre, vivent des problèmes similaires aux vôtres. Cela permet de se soutenir. » » Le concept permet d’augmenter le temps d’autonomie à domicile « , renchérit Christine Leclercq, assistante sociale en charge des deux maisons qui ont accueilli une quinzaine de seniors depuis leur lancement.
Plus de 450 étudiants chez des seniors
Le principe d’1toit2âges est simple : mettre en relation des aînés avec un étudiant. Le concept, né en 2009, connaît chaque année une progression importante (+ 20 %), tant en Wallonie qu’à Bruxelles. De 19 binômes au départ, l’asbl en accompagne plus de 450 aujourd’hui. » A l’avenir, la formule pourrait s’élargir à d’autres catégories de la population, comme aux jeunes travailleurs, car la demande est là. La législation ne le permet pas, mais nous travaillons activement sur le sujet pour faire évoluer les choses, notamment à Bruxelles « , explique Claire de Kerautem, directrice de l’asbl.
Parmi les motivations qui poussent des seniors à partager leur logement avec un étudiant, la première est sans appel : briser la solitude. » Avoir quelqu’un chez soi change tout dans le quotidien d’une personne âgée. Cela rassure aussi les enfants : l’étudiant peut contacter la famille ou un médecin en cas de problème « , souligne Claire de Kerautem.
Pour Marie-Catherine, 85 ans, la volonté était avant tout de redonner vie à sa grande maison. » J’avais le complexe de vivre seule « , raconte- t-elle. Depuis 2013, elle accueille des étudiants. Mais pas question de jouer à la grand-mère de substitution. » Je suis assez indépendante et, contrairement à d’autres personnes de mon âge, je ne souffre pas de solitude. Avec l’étudiant, chacun a sa vie, son espace. Mais il faut reconnaître qu’une telle formule permet d’avoir des allers et venues dans la maison, ce qui est chouette. »
C’est Damien qui cohabite depuis septembre avec Marie-Catherine. Il n’en est pas non plus à son premier binôme intergénérationnel. » Une telle formule est idéale pour se loger et étudier à Bruxelles dans de bonnes conditions. Depuis quatre ans, j’ai toujours eu la chance de vivre chez des personnes âgées qui répondaient à mes attentes. Avec Marie-Catherine, on se complète bien ! »
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