Peter Mertens
« M. le ministre Ioannis Van Overtveldtopoulos, pourquoi n’avez-vous pas écouté la Troïka ? »
Peter Mertens, le président du PTB, rebaptise le ministre des Finances Johan Van Overtveldt en Ioannis Van Overtveldtopoulos et lui demande : « Pourquoi n’avez-vous pas écouté la Troïka – Cour des comptes, Bureau fédéral du plan et Banque Nationale – qui expliquait que vos chiffres ne tenaient pas la route ? »
Imaginez : en décembre dernier, la Chambre vote le budget 2016. Deux petits mois passent et, dès début mars, le gouvernement constate un écart de… 3,2 milliards avec les chiffres du budget. Ce n’est pas un trou, c’est un gouffre. Et avec cet énorme dérapage budgétaire du gouvernement Michel-De Wever, ce sont deux mythes qui s’effondrent d’un seul coup.
Le premier mythe, c’est cette opposition imaginaire entre, d’une part, des politiques de gauche soucieuses des droits sociaux, mais peu regardantes des impératifs budgétaires et, d’autre part, des politiques de droite très dures socialement, mais qui seraient marquées par une rigoureuse orthodoxie budgétaire.
En effet, ce gouvernement de droite parvient à cumuler une farouche politique antisociale et un inquiétant dérapage des finances publiques. Il va chercher des milliards en excluant des milliers de chômeurs, en s’en prenant aux malades de longue durée, en s’attaquant aux pensions, en appliquant un saut d’index, en réduisant l’emploi dans les administrations (y compris le service qui calcule… les rentrées fiscales pour le budget), en mettant l’appareil judiciaire dans un état de délabrement incroyable, en rabotant fortement la dotation d’une SNCB dont on a tant besoin pour la mobilité et les enjeux climatiques, etc. Et, malgré cette austérité, le compte n’est pas bon !
Le second mythe qui s’écroule, c’est le fait que la N-VA serait le parti de la bonne gouvernance (« goed bestuur« ). L’actuel ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, n’était pas le dernier, lorsqu’il était rédacteur en chef de Trends – et que la N-VA était dans l’opposition – à dénoncer une gestion déficiente du budget, basée sur des chiffres fantaisistes. Si aujourd’hui le rédacteur en chef Van Overtveldt devait écrire un éditorial sur le ministre Van Overtveldt, le verdict serait sans appel : il devrait conclure que c’est l’une des pires gouvernances que l’on ait connu depuis de nombreuses années.
L’actuel dérapage budgétaire est en grande partie dû à la forte surestimation des recettes fiscales par le ministre des Finances. Mais il avait déjà fait une même surestimation en octobre 2015. Et ce ne sont pas les seuls couacs.
Il y a eu la Taxe Diamant qui, parce que taillée sur mesure pour le secteur diamantaire, à la demande de celui-ci, risque d’être assimilée à une aide d’État par l’Europe.
Il y a eu la grosse erreur des 750 millions que les Régions allaient perdre, avant qu’on se rende compte que 600 millions de cette somme concernaient le fédéral.
Il y a eu les mauvaises évaluations de recettes fiscales pour les communes.
Il y a eu les critiques de la Cour des comptes sur plusieurs taxes, en particulier le rendement fantaisiste de la taxe Caïman.
Il y a eu la quatrième amnistie fiscale (régularisation permanente) recalée par le Conseil d’État. Et encore bien d’autres cas de mauvaise gouvernance.
Van Overtveldt a été l’un des ministres des Finances les plus impitoyables de la zone euro contre la politique anti-austérité de la Grèce, dont le peuple tentait de survivre face aux diktats de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI). Pourtant, on pourrait aujourd’hui adopter le même ton tranchant en lui demandant : Ioannis Van Overtveldtopoulos, pourquoi n’avez-vous pas écouté la Troïka – Cour des comptes, Bureau fédéral du plan et Banque Nationale – qui expliquait que vos chiffres ne tenaient pas la route ? Et certainement pas, comme en Grèce, par souci du bien-être social de la population.
Bien au contraire : il faut plutôt chercher la cause dans l’aveuglement idéologique ultralibéral du ministre. On sait qu’il est un inconditionnel de Milton Friedman, qu’il a rencontré plusieurs fois personnellement. Ce pape du néolibéralisme des années 1980 a inspiré les politiques économiques de Ronald Reagan aux États-Unis, de Margaret Thatcher au Royaume-Uni ou d’Augusto Pinochet au Chili.
Et le Chicago Boy Van Overtveldt continue aujourd’hui d’appliquer aveuglément les préceptes de la « Trickle-down Economics » – théorie du « ruissellement – dont le candidat à la présidentielle US Bernie Sanders dit, comme je l’avais mentionné dans un précédent article d’opinion : « Nous ne devons pas revoir ce film une seconde fois. Nous l’avons vu, et ça puait. C’était un mauvais film et une mauvaise politique économique. Encore plus d’avantages fiscaux pour les riches, ce n’est pas ce dont notre économie a besoin. »
Pour Van Overtveldt, il est inconcevable de faire payer des multinationales croulant pourtant sous les bénéfices. C’est contraire à sa religion
Le problème, c’est que Johan « Milton » Van Overtveldt est resté fan de ce vieux film, cette fiction inspirée de faits très peu réels, dans lequel on voit les cadeaux aux multinationales ruisseler sur l’ensemble de la société. La réalité, c’est que l’enrichissement des 1 % les plus riches, loin d’enrichir aussi les 99 %, appauvrit la population et… les finances publiques. Tant qu’il n’était qu’éditorialiste, copieur-colleur des thèses du Voka, les conséquences restaient limitées. Mais là, il est ministre des Finances…
Prenez le tax-shift. Au départ, c’est censé n’être qu’un simple glissement de taxes, budgétairement neutre : on augmente les unes pour réduire les autres. Seulement, on y a introduit un intrus, un cadeau de plusieurs milliards aux employeurs, qui a déséquilibré fortement la balance. Pas étonnant, dès lors, si, dans un rapport de novembre 2015, le Bureau du Plan dévoile que ce tax-shift coûte en réalité 6,6 milliards d’euros. Une réalité que Van Overtveldt a résolument décidé de nier.
Prenez les Excess Profit Rulings. C’est l’équivalent belge du scandale LuxLeaks. Un mécanisme qui permet aux multinationales de recevoir un cachet avalisant des montages fiscaux totalement virtuels afin de détaxer jusqu’à 90 % de leurs bénéfices. La Commission européenne a jugé qu’il s’agissait d’aides d’État illégales que la Belgique doit récupérer. Pour n’importe qui, voilà bien une excellente nouvelle pour les finances publiques : la possibilité de renflouer les caisses de 700 millions d’euros – montant qui, entre-temps, est même passé à 942 millions ! Mais, pour Van Overtveldt, il est inconcevable de faire payer des multinationales croulant pourtant sous les bénéfices. C’est contraire à sa religion.
Prenez les intérêts notionnels. Le service d’études du PTB a calculé qu’en dix ans, cette déduction fiscale a représenté un immense cadeau de 40 milliards d’euros dont profitent principalement les multinationales et qui font de la Belgique un paradis fiscal. Même les États-Unis reprochent à notre pays de telles armes de détaxation massive. Et que propose Van Overtveldt ? D’offrir aux sociétés un système optionnel dans lequel elles peuvent, selon ce qui est le plus intéressant, choisir les niches fiscales ou un taux d’impôt à 20 % (au lieu des 33,99 % actuels). Un taux de 15 à 20 %, c’est justement ce que prône Isabel Verlinden, de PriceWatherhouseCoopers, dont Trends a révélé en février qu’elle est l’auteure de la loi de 2004 créant… les Excess Profit Rulings.
Bref, quand il s’agit de faire des cadeaux aux multinationales, de faire plaisir au 1 %, le ministre Van Overtveldt devient comme fou et n’hésite pas à se désintéresser des équilibres budgétaires dont il se faisait naguère le porte-drapeau. La facture, elle, sera adressée au « hardwerkende Vlaming » (au « Flamand qui travaille dur ») que la N-VA prétend choyer.
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