Olivier Mouton

Lutgen-la-Neuve? Mégalo, peut-être… Mais qui n’essaye rien, n’a rien!

Olivier Mouton Journaliste

La proposition du président du CDH de construire des nouvelles villes humaines a le grand mérite de revivifier le débat politique. Même s’il n’est évidemment pas dénué d’accents préélectoraux et populistes.

La Louvière-la-Neuve. Tel est le nom de code donné par Benoît Lutgen, président du CDH, à la première de ces villes nouvelles qu’il aimerait voir émerger en Wallonie. Après son effet d’annonce de juin 2013, le service d’études du parti humaniste a déterminé neuf zones susceptibles d’accueillir un tel projet. Dont coût: 1,5 milliard d’euros, à financer via une association entre le public (dont les fonds européens) et le privé. Les neuf autres emplacements potentiels – des zones autour de Wavre, d’Enghien, de Tournai, de Couvin, de Namur, de Liège et de Neufchâteau – vont désormais être passés au crible de la même manière.

L’idée a évidemment un caractère préélectoral marqué à quelque nonante jours de l’importantissime scrutin du 25 mai prochain. Elle n’en est pas moins salvatrice tant elle redonne le goût du projet ambitieux à une ère où la politique manque singulièrement de souffle, du « tout va bien madame la marquise » du Premier fédéral aux dézinguages réguliers d’une opposition libérale irritée, le couteau entre les dents.

Louvain-La-Neuve n’est-elle pas une des plus belles réussites wallonnes de ces dernières décennies? Précipitée par le « Walen buiten » de triste mémoire, la création de la ville universitaire s’est transformée en « success story » et en vitrine du savoir wallon, créant un nouveau pôle de développement dans l’axe entre Bruxelles et Namur tout en offrant à la jeunesse un foyer dans lequel s’épanouissent aujourd’hui trentenaires et quadragénaires. La perfection? Loin de là. La ville a dû se créer au fil du temps une identité dépassant le seul centre universitaire et le bâti a rapidement pris de l’âge. Mais au-delà des imperfections, quelle belle valeur d’exemple.

La Louvière-la-Neuve, ou toute autre vision de ce genre, a le grand mérite de rendre lisibles des enjeux perdus dans la complexité de notre société contemporaine. Sa concrétisation donnerait une perspective et créerait les conditions d’une concentration des énergies autour d’un projet commun. Un peu comme le plan Marshall a pu le faire pour redresser la Wallonie. D’autant que les enjeux restent graves: en dix ans, la Région devra se redresser sur le plan socio-économique et faire face, dans le même temps, à une augmentation de sa population de quelque 10%.

Allélulia, voilà le CDH soudain devenu le sauveur du Sud du pays? Tel n’est évidemment pas le propos. La proposition électoraliste de Benoît Lutgen laisse bien des questions épineuses en suspens et ne donne au fond que de la cohérence à des idées portées par d’autres partis.

Que lui reproche-t-on déjà, pêle-mêle? Son financement risque d’être aléatoire tant les conditions budgétaires wallonnes seront hautement précaires, certainement dans les deux ou trois années à venir : certes, mais sans ambition, point de mobilisation financière. Plutôt que d’ériger de nouvelles cités, il vaudrait mieux réhabiliter les centres urbains existants, la dynamique initiée par le ministre Ecolo Philippe Henry dans son nouveau code d’aménagement du territoire : oui, mais les deux visions ne sont pas incompatibles. Ce n’est pas à La Louvière, dont le bourgmestre Jacques Gobert grogne, qu’il conviendrait de faire sortir de terre une telle ambition au vu des perspectives démographiques, mais bien dans le Brabant wallon ou le Luxembourg : soit, aucun tabou ne doit exister quant à la localisation de ce « Lutgen-la-Neuve ».

On peut encore voir dans cette sortie du président du CDH une crise de démagogie profonde, de populisme du terroir ou de mégalomanie territoriale destinée à vaincre le grand démon écologiste, tant le CDH espère surtout devancer Ecolo au soir du 25 mai prochain. Il y a évidemment des considérations stratégiques de cet ordre sous le slogan « créer les villes les plus humaines d’Europe ». Enfin, on peut tout simplement craindre une utopie qui sera rapidement rangée au placard.

Il y a bien des raisons d’êtres sceptiques face à « La Louvière-La-Neuve ». Et Benoît Lutgen sera attendu au tournant dès lors qu’il prétend en faire une « exigence » pour l’entrée de son parti dans une future coalition. Faut-il pour autant bouder son plaisir? De tels projets donnent un souffle nouveau à la politique – on peut en dire autant de la vision de Didier Reynders pour Bruxelles – et ont le mérite de bousculer les blocages qui paralysent trop souvent la politique belge. Par-delà la naïveté ou le calcul politique, cela ouvre de nouveaux champs du possible à l’heure où la colère du citoyen gronde.

Comme le dit cet adage populaire que l’on ferait bien de réveiller: qui n’essaye rien, n’a rien!

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