Ludivine Dedonder : «Nous aiderons l’armée ukrainienne à affronter l’hiver»
L’ armée belge continue-t-elle à fournir, dans les limites de ses maigres moyens, des armes et des équipements militaires à l’Ukraine? La ministre de la Défense, Ludivine Dedonder, l’assure et se dit favorable à une participation belge à la mission européenne de formation de l’armée ukrainienne.
Les jours qui ont précédé le début de l’invasion russe de l’Ukraine, Ludivine Dedonder et ses collègues de la Vivaldi ont continué à fermer la porte aux demandes pressantes de l’Ukraine de lui fournir des armes et du matériel militaire. Le gouvernement fédéral refusait même d’envoyer aux Ukrainiens des gilets pare-balles et des casques. «Stocks de l’armée belge insuffisants», a justifié le kern. «Nous aussi, nous avons besoin de capacités pour pouvoir nous déployer, le cas échéant», justifiait à la RTBF la ministre de la Défense.
Autre argument avancé par le gouvernement: livrer des armes et de l’équipement militaire à Kiev pourrait être considéré par Moscou comme une provocation. «Allons-nous envoyer immédiatement une aide et du matériel, avec le risque que ce soit vu comme une escalade?», interrogeait Ludivine Dedonder, en phase avec la ligne prudente adoptée par la majorité.
Nous devons encore déterminer le mandat et le timing de la mission européenne de formation de l’armée ukrainienne.
Le 23 février dernier, veille de l’offensive russe, la Belgique décidait tout de même d’envoyer à l’Ukraine du matériel de protection, d’orientation et d’observation, mais pas d’armement. La position belge a suscité des critiques. Dans les rangs de l’opposition, elle a été jugée «choquante» et «honteuse». La Belgique a moins de scrupules, relevaient des députés fédéraux, quand elle vend des armes à des pays en guerre ou qui commettent de graves violations des droits humains.
Depuis, le gouvernement a changé de «logiciel». Il s’est aligné, dans la mesure des maigres moyens militaires belges, sur la politique adoptée par les pays membres de l’Otan. Des mitrailleuses, des lance-roquettes antichars et d’autres équipements ont été fournis, mais les livraisons se font rares. Entretien avec la ministre de la Défense.
Plus de six mois après de début de l’invasion russe de l’Ukraine, le conflit s’enlise. Comment le voyez-vous évoluer?
Russes et Ukrainiens se livrent à une guerre d’attrition, forme de combat qui repose sur l’usure des forces et des ressources de l’adversaire. Par conséquent, les lignes de front bougent peu. L’ objectif russe reste la prise de contrôle totale de l’est et du sud de l’Ukraine. Moscou veut organiser un référendum dans le Donbass, région que l’armée russe n’est toujours pas parvenue à occuper entièrement.
La stratégie ukrainienne vise à éparpiller les moyens militaires russes, d’où les opérations récentes menées simultanément en Crimée et autour de Kherson, ville du sud de l’Ukraine sous contrôle russe. Le but des Ukrainiens est de perturber la logistique russe, qui a montré ses limites. La Russie peine à renouveler ses effectifs envoyés en zone de guerre. Les forces ukrainiennes, elles, sont épuisées, mais parviennent tout de même à stabiliser les lignes, notamment grâce au matériel fourni par les Occidentaux.
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Réunis cette semaine à Prague, les ministres de la Défense des Vingt-Sept ont donné leur accord de principe pour organiser une mission de formation de l’armée ukrainienne. Quel sera le rôle de la Belgique?
S’inscrire dans cette initiative annoncée par Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a tout son sens. Mais il faudra veiller à éviter toute redondance avec les programmes d’entraînement de soldats ukrainiens organisés depuis juillet dans des bases militaires britanniques ou américaines. Nous devons encore déterminer le mandat, le timing et le pays d’accueil de la mission, ce qui sera fait d’ici à la fin septembre.
La formation fait partie du core business de l’armée belge, notamment des Forces spéciales. L’ armée belge a déjà participé à la formation de soldats ukrainiens. Engager des militaires belges dans la future mission européenne serait, pour la Belgique, une façon d’assurer la continuité après ce que nous avons déjà entrepris pour appuyer l’Ukraine.
Comment se déroulent les livraisons d’armes belges à l’Ukraine?
Notre aide en armes, munitions, équipements ou kits de soins répond aux demandes des Ukrainiens, régulièrement actualisées. Les besoins militaires de Kiev nous parviennent par nos attachés de défense ou lors des réunions de Ramstein, le groupe de contact de plus de quarante pays alliés des Etats-Unis qui s’est rassemblé à plusieurs reprises depuis la fin avril pour aider l’Ukraine.
Les fournitures de matériel militaire belge aux forces ukrainiennes atteignaient, au total, 34 millions d’euros à la fin juin et elles avaient fortement baissé depuis la fin avril. Où en est-on à présent?
Certains pensent que la Belgique ne donne plus rien à l’armée ukrainienne. C’est faux. Nous évitons simplement de communiquer de manière précise à ce sujet pour ne pas donner trop d’infos à l’adversaire. Les livraisons d’armes belges se poursuivent depuis les premiers jours du conflit. Le montant de matériel livré atteint près de 50 millions d’euros.
Au début, la Défense a puisé dans ses stocks, mais elle est tenue de conserver une réserve stratégique. Il a donc rapidement fallu passer commande auprès d’entreprises de défense belges. Elles nous fournissent ce dont elles disposent et nous leur commandons ce qu’elles peuvent produire. Nous leur demandons de s’engager à remplacer le matériel que l’armée belge donne à l’Ukraine.
L’invasion russe semble devoir durer. La Défense belge renforcera-t-elle son aide militaire à l’Ukraine?
L’ hiver approche. Nous fournirons des équipements militaires adaptés au froid. Nous envisageons aussi d’envoyer à l’armée ukrainienne du matériel de protection, des munitions et des véhicules. Les livraisons dépendront de ce que l’armée belge a encore en stock et du complément que peuvent apporter les entreprises. Nous avons transmis à ces firmes les listes des demandes ukrainiennes et nous leur avons demandé dans quels délais elles pourraient y répondre.
L’ armée belge est-elle prête pour des guerres de haute intensité, comme celle qui dévaste l’Ukraine? Ne faut-il pas revoir les priorités de la politique de défense?
L’ analyse géostratégique de l’environnement sécuritaire a été demandée aux experts en décembre 2020. Le document fourni est donc récent. Les menaces actuelles ont été identifiées et prises en compte dans le plan Star, qui définit les capacités militaires belges à l’horizon 2030. Ce plan va plus loin que ce qu’exigeait l’environnement international au moment où l’analyse a été réalisée.
Près de 50 millions d’aide militaire belge
Pour des raisons de sécurité opérationnelle, le gouvernement belge tient à garder secret le détail des livraisons de matériel militaire belge à l’Ukraine, prévient Ludivine Dedonder lors de l’entretien qu’elle nous a accordé. Les données sur la quantité d’armes et d’équipements expédiés et le timing des livraisons sont devenues plus rares et moins précises au fil du temps. Le montant du matériel militaire fourni à l’Ukraine depuis la fin février serait d’un peu plus de 45 millions d’euros, selon nos sources.
Quelques jours après le début de l’invasion russe, la Belgique a envoyé à l’Ukraine 5 000 fusils automatiques FNC – des armes en cours de remplacement au sein de l’armée belge (par des FN Scar) –, 200 armes antichars légères M72 LAW (light anti-tank weapon) et 3 800 tonnes de carburant. Le gouvernement belge a aussi fourni des équipements de protection et de première nécessité, dont des tentes, des couvertures et des kits sanitaires, par le mécanisme d’aide d’urgence B-Fast. La ministre de la Défense a ensuite déclaré qu’il était de plus en plus difficile de trouver du matériel à acheminer vers l’Ukraine en raison de l’épuisement des stocks de l’armée belge.
Fort démunie en missiles antichars, la Défense a tenté de récupérer une partie des obusiers chenillés M109 qu’elle avait vendus en 2015 à TFS, une société privée flamande. Mais le gouvernement ukrainien les a directement rachetés par l’intermédiaire de la firme OIP. Le ministère a également contacté le BSDI (Belgian Security and Defense Industry), interface du secteur privé, pour savoir ce que les entreprises belges avaient en stock. La Belgique a ainsi acheté pour 12 millions d’euros de matériel militaire auprès d’entreprises, dont des armes légères FN Scar et des systèmes de vision OIP.
Démineurs belges en Ukraine?
La réputation de l’expertise belge en matière de déminage n’est plus à faire. Le Sedee, le service de déminage de l’armée, formera-t-il des soldats ukrainiens pour des missions dans les terres et les eaux de la mer Noire? «Nous avons proposé l’aide de nos démineurs à Odessa, alors que les Russes maintenaient leur blocus du port, assure la ministre belge de la Défense.
Le projet ne s’est pas concrétisé et la Turquie a obtenu l’accord de Moscou pour la relance des exportations de céréales ukrainiennes.» En revanche, quatre militaires ukrainiens ont pu bénéficier d’une formation belge effectuée sur le système Seafox, véhicule antimines télécommandé, pour faciliter les opérations de déminage maritime.
Ludivine Dedonder confie que le Sedee pourrait former des soldats ukrainiens. En collaboration avec l’Allemagne et les Pays-Bas, qui mettent sur pied une telle assistance? Seule certitude à ce stade: un énorme travail de déminage restera à accomplir quand la guerre touchera à sa fin.
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