Louvain-la-Neuve ne veut pas d’un « Chinatown »
Le China Belgium Technology Center ne passe pas inaperçu dans la cité estudiantine. La première phase sera livrée fin 2019. Sans véritable impact sur son immobilier résidentiel, mais non sans risque.
Depuis le mois de septembre 2017, le chantier du futur China Belgium Technology Center (CBTC) bat son plein entre l’autoroute E411 et la nationale 4, à hauteur du parc scientifique de Louvain-la-Neuve. Sur un terrain de 8,3 hectares, un véritable mastodonte de 120 000 mètres carrés hors sol est en cours de construction. Au programme : des bureaux, un centre de conférences, un hôtel de 160 chambres, des commerces de proximité et des parkings souterrains articulés autour d’une nouvelle place publique. De quoi accueillir des entreprises chinoises désireuses de s’implanter sur les marchés belge et européen, mais aussi des entreprises belges avides de se développer en Chine. A terme, quelque 1 500 travailleurs devraient y graviter. Dont une proportion importante – mais non encore définie, de l’ordre de 40 à 60 % – d’expatriés chinois.
La perspective de ce débarquement, on s’en doute, alerte les habitants de Louvain-la-Neuve, mais aussi les professionnels de l’immobilier (lire l’encadré). Car, pour loger tout ce petit monde, trois sites ont été désignés au coeur de la cité étudiante : l’un sur la prolongation de la dalle, à proximité des restaurants universitaires du Sablon ; l’autre passé l’Ephec, avenue du Ciseau, aux Bruyères ; et le troisième Cours Marie d’Oignies, à Lauzelle. Au total, ce ne sont pas moins de 300 logements qui pourraient voir le jour. Une masse critique susceptible de transformer le marché néolouvaniste.
Un chantier phasé
Qu’on se rassure, apaise d’emblée Caroline Mouligneau, vice business director de United Investment (UI) Europe, la filiale européenne du groupe chinois éponyme qui porte le projet, celui-ci ne se fera pas en un jour. Voire pas… entièrement. » Il y a eu un changement d’actionnaire majoritaire fin 2015. Le premier (NDLR : le réseau d’incubateurs chinois Whibi) voulait en effet lancer la totalité du CBTC et les logements en une fois, acquiesce- t-elle. Mais UI (NDLR : qui détient depuis lors 90 % des parts) se montre plus prudent. Il a décidé de phaser les travaux et conditionne la construction des résidences à la venue progressive des entreprises chinoises et à l’identification de leurs besoins réels en logements. » Le chantier en cours est en effet celui de la première phase du projet, la plus conséquente, atteignant près de la moitié de l’ensemble. Soit » 57 000 mètres carrés dont 20 000 m2 de bureaux et l’hôtel de 160 chambres « , évoque Caroline Mouligneau, pour une livraison fin 2019, début 2020. Les phases 2 et 3 ont été gelées jusqu’à nouvel ordre.
Quid des logements ? » Pour l’instant, rien n’est encore arrêté, précise-t-elle. Nous sommes en train de promouvoir le CBTC auprès de nombreuses délégations d’entreprises chinoises. La première phase permettra d’accueillir environ 100 entreprises et 800 personnes. Nous avons reçu des marques d’intérêt soutenues de la part d’une vingtaine de PME. » Encore faut-il que celles-ci signent un contrat de bail, puis organisent leur venue. » Nous comptons ensuite sonder les expatriés chinois qui feront le déplacement avant de lancer les logements, avertit-elle. Rien ne dit qu’ils voudront tous habiter Louvain-la-Neuve. Au sein de UI Europe, par exemple, sur huit employés chinois, deux seulement s’y sont établis, les autres préférant Gand ou Bruxelles. »
Du côté de l’UCL, on est aussi dans l’expectative. » Rien n’est évident dans le cadre d’un projet d’une telle ampleur « , admet Nicolas Cordier, administrateur délégué d’Inesu Immo, la société de développement urbain de l’université. D’autant que, » plus que les Belges, les Chinois signent pour des bâtiments construits et non sur plans « . Des rencontres mensuelles rassemblent les deux partenaires, au cours desquelles l’université met » un maximum de pression sur le volet immobilier « . » Il faudrait pour bien faire que l’un des projets de résidences aboutisse pour que l’on puisse lancer la demande de permis et enclencher les procédures administratives. »
Que l’on ne se trompe pas, cependant, l’agenda n’est peut-être pas encore arrêté mais les conditions de l’accord, elles, sont claires. En échange d’une mise à disposition » avantageuse » des trois terrains et de son feu vert pour chaque entreprise candidate – toute implantation dans le parc scientifique de l’UCL est soumise à l’approbation de cette dernière -, l’université a imposé des lignes de conduite strictes. » Hors de question de créer un « Chinatown » à Louvain-la-Neuve, assure Nicolas Cordier. C’est la raison pour laquelle nous avons scindé les 300 logements en trois résidences, inscrites en plein centre de la ville pour être mieux intégrées. » Des résidences qui seront réservées aux expatriés chinois – » c’est là tout l’enjeu de l’opération » – et devront rester aux mains du groupe UI – » nous voulons conserver un seul interlocuteur et non une nuée de copropriétaires « . Que UI souhaite revendre quelques dizaines de logements à une société qui occuperait une vaste superficie de bureaux et désirerait loger ses employés dans ses murs, à la limite. Mais ouvrir les 300 appartements au marché privé n’est pas à l’ordre du jour.
Promoteur néolouvaniste par excellence, spécialiste du logement étudiant, le groupe Eckelmans Immobilier a récemment lancé son plus grand projet : le resort urbain Agora, dont la première phase (un hôtel d’une centaine de chambres et 70 appartements avec services pour seniors) a été inaugurée en mai dernier. Suivent 88 appartements » classiques « , livrés à la fin de l’année. S’il confie n’avoir eu vent de la construction de l’hôtel du CBTC que bien après le début du développement d’Agora, Thibault Van Dieren, concepteur du projet, n’y voit pas une réelle concurrence. » Agora est un hôtel urbain, qui accueille une clientèle majoritairement business « , esquisse-t-il. A l’inverse, l’hôtel du CBTC est périphérique et destiné à ses employés. Par ailleurs, poursuit-il, » le marché néolouvaniste est mûr et capable d’absorber trois hôtels « , en ce compris l’Ibis existant. Et le marché résidentiel locatif ? » Il est équilibré « , affirme-t-il sans crainte. L’impact de 300 nouveaux logements pour expatriés chinois ne semble pas plus l’effrayer que les 300 logements (dont une centaine de studios pour étudiants) des futurs jardins de Courbevoie.
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