L’oeuvre de la semaine: Le blanc des sources
Que nous souffle, sous son apparence si fragile, l’oeuvre au blanc de Safaa Erruas ? Avec cette artiste marocaine, née en 1976, la définition du dessin, même si le support traditionnel demeure le papier, vire de bord.
A la place du crayon, elle préfère l’aiguille qui transperce la feuille et conduit par ponctuations successives, des trajectoires ondulatoires libres comme les vents. A leurs côtés, aux tracés de la mine de plomb, elle tire des lignes droites à l’aide de fils de soie qui relient entre eux des contours de perles alignées. On pourrait y reconnaître l’ébauche d’un planisphère avec, à gauche, les Amériques, à droite, l’Europe sous laquelle les côtes occidentales de l’Afrique seraient demeurées absentes. Mais, limiter ce travail aux thématiques des frontières et des migrations et ce, sur ce ton si peu vindicatif renvoie surtout à une émotion toute en extrême sensibilité qui relie le présent du monde à son propre monde identitaire, Tétouan. Là où elle a grandi, appris l’art et le monde, là où elle s’est reconnue réceptacle de multitudes culturelles. C’est la ville la plus andalouse du Maroc, celle qui se fit appeler « la colombe blanche » et dans la medina de laquelle les artisans conservent des pratiques et des savoirs millénaires. On pense aux travaux d’émaillage des carreaux de céramiques (les zelliges) dont les motifs géométriques répétitifs croisent le vide en de multiples figures hypnotiques. On songe aussi aux brodeuses du quartier Guersa El Kébira, aux tissages des Jébliades, aux foutas blancs qui se portent par-dessus les mendils rayés ou encore aux orfèvres des quartiers juifs. Des travaux de patience et de silences blancs. Mais un blanc qui est aussi la teinte du drapeau de ses ancêtres Almohades avant de devenir, depuis le XIIe siècle, le symbole à la fois du deuil et de la fête. Tétouan dont l’origine berbère du nom signife « les yeux ». Or, à remonter dans le temps de l’oeuvre de Safaa Erruas, ce sont bien des yeux, mille fois répétés qui sont à l’origine des perforations d’aujourd’hui. Des trous comme autant de sources à faire jaillir la vie. Le blanc qui est enfin associé à la femme blanche, la Berbère, que la culture arabe rejeta et que parfois, l’artiste incarne par des fleurs de gypsophile fixées l’une à l’autre comme ici, les piqures d’aiguille…
Bruxelles, Galleria Marie-Laure Fleisch. Rue Saint-Georges 13 (1050). Jusqu’au 26 février. Du mardi au samedi de 10h à 18h. www.galleriamlf.com
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