The Pool Hall, 1993. Courtesy Templon Paris-Bruxelles. © Ed Kienholz

L’oeuvre de la semaine: la partie de billard

Guy Gilsoul Journaliste

Quand, dans les années 1940 on grandit aux Etats-Unis dans une famille de fermiers, on apprend à devenir tout à la fois un éleveur, un chasseur, un charpentier, un plombier, un électricien, un mécanicien et un chasseur. Mais surtout, on ne s’occupe pas d’art, une occupation, se souvient Ed Kienholz (°1927-1994), qui était  » suspecte pour un garçon « .

Alors, lorsque ce futur enfant terrible du Pop Art quitte la ferme de Spokane (Washington) pour Los Angeles et réalise ses premiers assemblages, il le fait à la manière rude : « Tout mon travail résulte d’une rage imprégnée d’adrénaline. » Une rage qu’il va toute sa vie cultiver en pointant une société américaine gangrénée par la bourgeoisie et le pouvoir, son outrance consumériste, son racisme endémique, son sexisme, ses violences religieuses et institutionnelles ou encore son exploitation d’une jeunesse chair à canon.

Contre toute forme d’intellectualisme et de bon goût, il force le trait, cherche son matériel dans les dépotoirs de l’American Way of Life, l’intègre à des moulages d’humains dont il peaufine l’apparence sale et anonyme et recouvre le tout de peinture et de vernis jetés, giclés ou étalés : « Je pense principalement à mon travail comme à l’empreinte d’un animal qui traverse la forêt et trace une piste de pensée, et le spectateur est le chasseur qui vient et suit la piste. » La piste induit aussitôt une histoire à construire qui attire, hypnotise et révulse. Adulé très tôt (dès 1961, il est invité au Moma dans le cadre de l’exposition « Art of Assemblage »), il devient un incontournable (et incontrôlable) acteur de la génération des Warhol et autres Rauschenberg. En 1972, il rencontre Nancy Reddin (1943-2019), en fait sa cinquième épouse et aussitôt sa collaboratrice.

Un an plus tard, ayant reçu une subvention du DAAD (Service allemand d’échanges universitaires), le couple s’installe à Berlin qui vit alors l’heure du groupe Fluxus et des expressionnismes façon Baseliltz, Immendorf ou Vostell. L’oeuvre hausse encore le ton, visant des mises en scène de plus en plus trash comme cette oeuvre « The Pool Hall » réalisée un an avant la mort d’Ed Kienholz. Dans une ambiance de bistrot sombre, dégoulinant de poussières et de jus sombres, deux hommes-cerf, qui portent le masque blanc des hockeyeurs, jouent au billard. L’un d’eux, de sa canne, vise le trou qui lui assurera le respect et que le couple Kienholz désigne comme la partie convoitée d’un mannequin-femme auquel le duo d’artistes n’a pas manqué d’enlever la tête.

Dans le fond, entre un miroir cassé et une enseigne publicitaire, l’image d’un troisième acteur, nous fixe, le regard dissimulé derrière ses lunettes noires. Allons-nous mettre les nôtres ? Ou affronter cette Amérique profonde que, depuis Berlin ou dans leur refuge de Hope dans l’Idaho, Ed et Nancy Kienholz n’ont eu de cesse de traquer. Et de dépecer. Pour la première fois, un choix d’oeuvres réalisées depuis les années 1970 sont présentées à Bruxelles.

Bruxelles, galerie Daniel Templon, 13A rue Veydt à 1060 Bruxelles. Du 13 janvier au 5 mars. Du mardi au samedi de 11h à 18h. www.templon.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire