L’oeuvre de la semaine : La foule et le pouvoir
Quand Lu Chao (°1988), après avoir étudié la peinture auprès d’un des plus célèbres représentants de la tradition figurative chinoise décide rejoindre en 2012 le célèbre College of Art de Londres d’où est sortie entre autres Tracey Emin, il s’engage, comme tant d’autres aujourd’hui, dans une confrontation entre des visions et des techniques que tout oppose.
Côté pratique, s’il opte pour la peinture à l’huile traditionnellement associée à l’art occidental, il n’use que des jeux de l’encre à la chinoise en limitant sa palette aux noirs et aux dégradés de gris. L’écriture, même à la brosse, rejoint aussi davantage l’art au pinceau des calligraphes. Ainsi les éclats (ts’ouen) pour faire vivre l’extrémité des branches ou encore le traitement en lavis des vides. La composition à son tour pourrait évoquer les paysages tourmentés du Hollandais Hercule Seghers, l’ami de Rembrandt, mais une fois encore, il se réfère aux trois points de vue qui structurent l’espace profond depuis les origines mêmes de la peinture chinoise.
A l’intérieur de ces références, Lu Chao use des éléments figuratifs pour actualiser et surtout politiser son propos et pointer, de manière allégorique, les menaces du pouvoir. D’abord en jouant sur une confrontation entre le monumental (l’arbre « Penjing ») et son contraire (les nombreuses petites silhouettes noires parsemées dans le paysage). Ainsi, après avoir dénoncé la conception d’une humanité de fourmis au service d’un totalitarisme dont la corde de pendu en même temps que le bonzaï seraient les symboles, il inscrit une certaine mélancolie à la Dürer donc, profondément individualiste, exprimée, mais à peine, par les polyèdres.
Enfin, il y a cette sphère en partie émergée de la terre qui peut tout autant évoquer la puissance souterraine de la nature que celle d’un « Deep Space ». Un soleil noir qui, dans le secret, organise autant qu’il menace la marche en avant d’une société comme la tradition chinoise le fait, pour son plus grand plaisir, dans la culture miniaturisée des végétaux.
Cette vision d’une humanité ainsi décrite se voit précisée dans d’autres oeuvres où par exemple, des groupes serrés sont dessinés sous des cloches de verre à la manière de pâtisseries proposées sur de délicats présentoirs.
Dans d’autres petites pièces, Lu Chao pose de petites silhouettes jouant les équilibristes sur un jeu de ficelles tenues par deux mains coupées. Attaque frontale du système chinois ? Pas seulement. Dans sa ligne de mire, se trouve le procès de la consommation et de ses stratégies qui, de Londres à Pékin et de New-York à Johannesburg, modèle en quantités négligeables, les habitants planétaires.
Galerie Nathalie Obadia, 8, rue Charles Decoster à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 6 mars. Du mardi au samedi de 10h à 18h. www.nathalieobadia.com
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