L’oeuvre de la semaine : Dans la tête d’Emmanuel
Si les peintres anciens inscrivaient leurs récits dans un langage (symbolique, métaphorique, allégorique) partagé par le plus grand nombre, le maniérisme, apparu au moment de la crise du XVIe siècle, visera un autre public en jouant sur des compositions riches de références les plus pointues.
Un détail, parfois, servait de point d’appui à l’enquête proposée aux amateurs d’art cultivés. En serions-nous là avec le travail d’Emmanuel Tête qui depuis des années, un peu à l’écart des effets « cartoon », construits avec méticulosité de petites scènes à partir d’un petit détail dans les gris du crayon ou comme ici, dans un chromatisme de crème glacée. Ainsi, dans cette peinture, le petit épagneul lové au bas de la composition dont le titre attire d’emblée l’attention : « le rêve du Titien ».
L’allusion au célébrissime tableau du maître vénitien « La Venus d’Urbino », serait-elle l’occasion d’un nouveau commentaire à tant d’autres ajoutés qui peintres, philosophes et exégètes divers ont tenté de percer la part cachée du chef-d’oeuvre vénitien. Pour les uns, il se serait agi d’un véritable plaidoyer pour la sensualité, pour les autres, puristes de la modernité, du caractère purement musical d’une scène sans sujet. D’autres encore ont cherché à identifier la belle ingénue, pointé la fonction mariale de la composition, analysé les perspectives, la structure ou encore, éclairé son propos à partir des oeuvres de Giorgione voire de l’Olympia de Manet peinte trois cent vingt-six ans plus tard, en 1865.
Mais saura-t-on jamais ce qui se passait-il vraiment dans la tête du Titien ? Et dans celle d’Emmanuel Tête lorsqu’il choisit d’inclure ce « petit détail » ? Si, à la place de la Venus, la présence d’un bassin à l’italienne d’où s’échappe un geyser fait sourire, qu’appellent les quatre socles statuaires sur lesquels le monde des hommes prend place. A gauche, un adepte de « Parkour » ce sport qui consiste à escalader à mains nues les murs citadins, signale-t-il l’ambition des hommes qui passent d’un point d’appui à un autre avec la rapidité des insectes sauteurs. Un deuxième personnage, est-ce monsieur Pudeur, se cache dans un parasol, fuyant ce qui ne saurait se regarder. Un troisième, avec l’autorité que lui donne son déguisement de dominicain, porte l’enfant tout en couleurs qui viendra un jour sauver le monde. A l’arrière de la scène, le dernier, tout en insouciance, frappe de tout son saoul sur une grosse caisse, annonçant par-là même, l’arrivée d’une fanfare populaire et joyeuse.
Et dans cette incohérence des perspectives, le calme d’une nature un peu trop verte et la menace d’un ciel un peu trop sombre, le petit chien roux dort. TItien dans tout cela ? On l’a vite oublié.
Rossi Contemporary. Rivoli Building, ground floor 17. Chaussée de Waterloo 690, Bruxelles. Jusqu’au 8 janvier. Du mardi au vendredi, de 13h à 18h, samedi de 14h à 18h. www.rossicontemporary.be
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