Peter Mertens
L’obscène chasse aux chômeurs aidant des proches met à nu la politique d’activation du gouvernement
La suppression de l’exemption « pour circonstances sociales et familiales « pour les chômeurs ainsi que d’autres mesures afin de pousser les chômeurs à rechercher activement un emploi ne sont pas des mesures d’austérité, mais des mesures d’humiliation.
Au début de l’été 2013, après un combat d’un an et demi contre le cancer, la mère de mon fils aîné est décédée. Sa meilleure amie, Lucia, a pris en charge les soins à domicile les plus lourds : les soins palliatifs. On ne peut qu’avoir un profond respect pour un tel engagement. Voir décliner les êtres les plus chers et être quotidiennement présent pour les soigner et les aider le plus possible exige un grand courage. C’est un des moments les plus difficiles de l’existence.
Je peux être content que Lucia n’était pas au chômage. En effet, contrairement aux gens qui ont un emploi, les chômeurs ne peuvent pas prendre de congé pour soins palliatifs. Ils peuvent toutefois demander une exemption « pour circonstances sociales et familiales ». Moyennant une allocation bien moindre, c’est-à-dire de 260 euros par mois la première année et de 211 euros par mois la deuxième année, ils peuvent alors s’occuper de soigner un proche. Ou, plus exactement, ils pouvaient. Car depuis le 1er janvier, l’exemption « pour circonstances sociales et familiales » a été supprimée. Et les chômeurs et chômeuses ne peuvent donc plus assumer de tâches de soins palliatifs.
Les soins de proximité demandent du temps
Lucia, elle, a pu bénéficier d’une interruption de carrière. Un travailleur peut également recourir au crédit-temps ou au congé thématique. En effet, les soins de proximité demandent du temps, ce n’est pas une chose qu’on peut intercaler en coup de vent entre deux autres activités. Ce n’est pas un hasard si plus de la moitié des gens qui soignent un proche travaillent moins, voire arrêtent complètement leur activité professionnelle. C’est pourquoi le « crédit temps pour soins » a récemment été porté de 26 mois à 48 mois. Les soins à un proche constituent un engagement, surtout dans une société où il y a de moins en moins d’investissements structurels dans le secteur des soins. Un conjoint souffrant d’un cancer, un enfant ou un membre de la famille gravement malade, cela peut nous arriver à tous. Et on fait alors tout pour s’en occuper.
Les travailleurs peuvent donc prendre un congé spécifique, mais pas les demandeurs d’emploi. Pour le gouvernement, les demandeurs d’emploi n’ont pas le choix. Depuis le 1er janvier, l’allocation mensuelle limitée de 260 ou de 211 euros n’est plus possible et les demandeurs d’emploi doivent rester disponibles sur le marché de l’emploi, continuer à rechercher activement du travail et accepter tout « emploi convenable ». Si des demandeurs d’emploi choisissent quand même d’assumer des soins palliatifs ou de proximité pour des membres de leur famille gravement malades, ils perdent tout simplement toute allocation. On met ainsi les gens dos au mur.
« J’aurais préféré continuer à exercer ma profession »
« Vous savez, j’aurais préféré continuer à exercer ma profession et avoir trois garçons en bonne santé. Mais je m’occupe de mes enfants, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, parce que c’est ce qu’il y a de mieux pour eux », confiait Miet Neetesonne la semaine dernière à un journal. Un des fils de Miet souffre d’un trouble autistique et un autre d’une anomalie chromosomique. « Ce n’était pas possible d’à la fois travailler et m’occuper d’eux et de leurs soins. En même temps, chercher activement du travail était encore moins envisageable ; j’ai donc introduit une demande d’exemption. L’allocation de 260 euros était insuffisante, mais la supprimer, c’est vraiment une douche froide. » Quelle est l’alternative pour quelqu’un dans la situation de Miet ?
« Cela revient à décréter que les chômeurs n’ont pas le droit d’avoir un enfant malade parce qu’ils doivent chercher du travail et être disponibles pour le marché de l’emploi », souligne à juste titre Magda De Meyer, du Conseil des femmes. Le Conseil des femmes insiste sur le fait que la suppression de l’exemption touche surtout les femmes, dont bon nombre de mères célibataires. L’exemption « pour circonstances sociales et familiales » pouvait également être invoquée pour se charger d’élever des enfants de moins de quatre ans. Parmi les 6 076 personnes qui, en décembre 2014, recouraient à ce système, 94 % sont des femmes.
Ce n’est pas une mesure d’austérité, c’est une mesure d’humiliation
Le fait qu’on propos cette mesure comme une mesure d’austérité est doublement cynique. En effet, si on offre à nouveau une allocation de chômage complète aux 6 076 chômeurs qui recourent aujourd’hui à l’exemption « pour circonstances sociales et familiales », cela coûte plus cher à l’État. À moins, évidemment, que l’intention ne soit que les personnes qui effectuent des soins de proximité assument quand même ces tâches et qu’ils soient par conséquent suspendus.
La mesure s’inscrit surtout dans la politique d’activation de ce gouvernement. Une politique d’activation qui doit accroître la pression sur le marché de l’emploi. Depuis le début de cette année, des milliers de jeunes ont perdu leur allocation d’insertion en raison des conditions bien plus strictes pour l’octroi de celle-ci. De même, les prépensionnés dans le « régime de chômage complément d’entreprise » (RCC) sont à nouveau appelés à être actifs sur le marché de l’emploi, en dépit des accords passés précédemment. Des travailleurs en incapacité de travail seront mis sous pression après trois mois supplémentaires d’incapacité en vue d’une « réintégration plus rapide dans le marché de l’emploi ». Cela vaut aussi pour tous ceux qui se sont retrouvés en chômage temporaire. Ici, le gouvernement veut limiter la durée maximale. Quant aux travailleurs à temps partiel, ils seront eux aussi soumis à des pressions supplémentaires, via la réduction de moitié de leur allocation de garantie de revenu au bout de deux ans.
Tout, et tout le monde doit fonctionner à l’aune du marché de l’emploi, et le fait qu’il y ait 650 000 chômeurs et trop peu d’emplois n’y change rien. C’est devenu une politique européenne. Plus il y a de gens activés, plus on peut comprimer les conditions de salaire et de travail. Et pour ceux qui ne se laissent pas pousser dans cet entonnoir, sanctions et suspensions sont prévues. Vous devez soigner une amie atteinte d’un cancer ? Dommage ! Vous devez vous occuper de votre fils souffrant d’un trouble autistique ? Dommage ! A vous de vous débrouiller…
Quand les banques ont chuté, leur a-t-on dit de se débrouiller ?
Dans ce pays, les gens qui doivent essayer de s’en sortir avec une allocation se voient imposer de plus en plus de conditions. On doit être disponible, on doit suivre des formations, on ne doit pas se montrer trop difficile. Et, si on ne satisfait pas aux conditions, on est sanctionné. Herman Deleeck, du Centre de politique sociale de l’Université d’Anvers, parle de chasse aux sorcières : « La volonté d’accroître le taux d’activation est de plus en plus orientée vers les recoins les plus petits de la société. Cela se traduit presque par une chasse aux sorcières à l’encontre de ceux qui ne se sont pas encore sur le marché de l’emploi. Pour ce groupe, la politique est de plus en plus sévère. »
Cette politique est en contraste frappant avec la manière dont sont traitées d’autres couches de la société. Quand les banques ont chuté, on nous a martelé qu’il fallait intervenir rapidement, sous peine de voir capoter toute l’économie. C’était une question de survie collective. Aujourd’hui, on peut se poser un certain nombre de questions. A-t-on parlé d' »activation » ou de « débrouillardise » aux banquiers ? A-t-on exigé que ces banques se rétablissent d’elles-mêmes ? A-t-on demandé alors aux CEO des principales méga-banques de suivre des formations complémentaires auprès de l’Onem pour prouver qu’ils pouvaient vraiment travailler dans le secteur bancaire ? A-t-on évoqué un service communautaire obligatoire ? Or il s’agissait bien des gens qui avaient mené la société au bord du gouffre, non ?
Les plus grands allocataires du continent
Non, on a sorti de l’argent. Beaucoup d’argent. Les banquiers européens ont bénéficié d’une injection de 1 600 milliards d’euros pour s’en sortir. Ils ont été les plus grands allocataires du continent. Et ils sont à nouveau en quête du profit maximal. Aujourd’hui, le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) fait savoir qu’il va étudier la proposition de la Banque nationale d’augmenter une fois de plus le prix des opérations bancaires. Le gouvernement est tout ouvert au souhait des grandes banques d’augmenter encore leur bénéfice, aux dépens de leurs clients.
C’est ainsi que nous nous allons toujours plus loin dans le sens d’une société à deux voies. Pour une classe de gens, il n’y a que peu de soutien, beaucoup de conditions et des sanctions sévères. Pour l’autre classe, il y a beaucoup de soutien, quasiment aucunes conditions, et des sanctions que l’on éviter en payant.
Une chaude résistance sociale
Pour les plus de 6 000 chômeurs qui veulent assumer la lourde tâche de soigner un proche malade ou en soins palliatifs, ces derniers jours ont dû être particulièrement pénibles. Le fait est que la mesure a été prise et que les trois partis gouvernementaux y ont apposé leur signature. Et le fait est aussi que tout cela est en contraste frappant avec la « Flandre chaleureuse » promise au Nord du pays avant les élections. Le parti de De Wever avait ainsi résumé son programme électoral en 25 engagements. Parmi ceux-ci, nous lisons : « Engagement n° 3 de la N-VA : une politique chaleureuse et sociale. » Et, plus loin : « Engagement n° 15 de la N-VA : une politique familiale chaleureuse. » Il n’y a que l’automne de protestation sociale qui a été chaud, comme le sera sans doute aussi le printemps de résistance sociale.
Un compromis qui n’en est pas un
Parmi les partis gouvernementaux, personne n’a remis en question la chasse à l’activation. La seule chose que les chômeurs qui prennent en charge des soins de proximité ont reçue, c’est la vague promesse d’un compromis encore plus vague. « Les chômeurs qui peuvent prouver à l’aide d’une attestation médicale qu’ils assument des soins pour un membre de leur famille – jusqu’au deuxième degré – continuent à être exemptés de l’exigence normale de « disponibilité pour le marché de l’emploi » » peut-on lire dans une des versions de ce compromis.
Si cela devait s’avérer, les amis et amies ne pourraient plus se charger des soins palliatifs. Et, dans ce cas, le discours reste pareil. Heureusement, Lucia, qui s’est chargée des soins palliatifs pour la mère de mon fils, n’était pas chômeuse. Car autrement, son allocation aurait été suspendue pour satisfaire à l’infernal moulin de l’activation. Peut-être vaudrait-il mieux investir dans de nouveaux emplois, au lieu d’activer les prépensionnés et les personnes qui soignent des proches.
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