L’irrésistible ascension de l’ancien FDF
Depuis la rupture avec le MR, en 2011, et le changement de nom en 2016, DéFI a lentement imposé sa marque au centre du paysage politique. Et se rêve en N-VA francophone. Récit en huit temps d’une mutation en passe de réussir.
Il y a comme un petit air de N-VA dans la forte progression annoncée de DéFI. Le parti de Bart De Wever a littéralement explosé après avoir sacrifié le cartel avec le CD&V, en 2008. Celui d’Olivier Maingain a profité de son départ de la fédération avec le MR, en 2011, pour se positionner différemment et s’associer avec le PS en Région bruxelloise. N-VA et ancien FDF sont tous deux sortis de leur lit communautaire afin de se redéfinir comme des formations politiques généralistes, en phase avec une époque où les piliers traditionnels (socialiste, chrétien et libéral) ont tendance à disparaître. Une même évolution, bien que plus fulgurante pour la N-VA.
Dans le cas du parti francophone, né le 11 mai 1964, cette évolution était loin d’être évidente. » Au départ, c’est la Flandre qui a « créé » le FDF, par deux fois, rappelle Vincent Dujardin, historien de l’UCL, auteur, voici trois ans, avec Vincent Delcorps, d’une somme consacrée au parti (FDF, 1964-2014, éd. Racine). Les lois linguistiques élaborées par Arthur Gilson (ministre PSC de l’Intérieur) en 1962 – 1963, puis le » Walen Buiten » de 1968 qui a constitué un traumatisme pour les francophones, ont permis au FDF de devenir, aux communales de 1970, le premier parti de l’agglomération bruxelloise (31,4 %) ! Mais à ses débuts, son programme était de fait monothématique, linguistique et communautaire. » A l’époque, les Etats-Unis s’inquiètent même de l’apparition de ce parti qui pourrait envenimer le climat. Louis Boochever, ministre-conseil à l’ambassade des Etats-Unis, écrit, en 1971 : » La menace posée par le FDF pour le fonctionnement de la démocratie parlementaire en Belgique est comparable à celle que représentait Rex « , le mouvement fasciste des années 1930.
» Cinquante-trois ans après sa fondation, les fondateurs du FDF seraient peut-être bien surpris de voir ce parti en si bonne santé, prolonge Vincent Dujardin. S’il a pu survivre si longtemps, c’est aussi parce qu’il s’est ouvert à d’autres thématiques, en réalité assez rapidement. Aux enjeux environnementaux, socio-économiques, énergétiques ou relevant de la politique étrangère… Le FDF se montre ainsi très vite attentif aux défis urbanistiques de la capitale. Dès la fin des années 1960, il s’inquiète de la pollution de la ville et s’occupe des questions de mobilité. Au sein de l’Agglomération bruxelloise, André Lagasse ou Serge Moureaux peuvent développer une politique « écologique » pionnière. Les enjeux socio-économiques sont évidemment aussi présents de longue date, ce qui permet à un Didier Gosuin de se trouver à l’aise dans les habits de ministre de l’Economie et de l’Emploi à la Région bruxelloise. DéFI est clairement devenu un parti généraliste. » Une évolution qui n’a jamais été aussi perceptible que depuis cet été 2017 de crise politique intrafrancophone. Six ans après la rupture avec les libéraux.
2011 : La mort de la fédération avec le MR
Lorsque le FDF lie son destin à celui du PRL, en 1993, sous la houlette des présidents Jean Gol et Antoinette Spaak, le père fondateur Lucien Outers ne cache pas qu’il était davantage partisan d’une fédération avec le PSC (actuel CDH). Tous les hommes forts actuels de DéFI, du président, Oliver Maingain, au ministre bruxellois Didier Gosuin en passant par Bernard Clerfayt, bourgmestre de Schaerbeek, émettent des réserves lors du bureau qui scelle la décision. Gosuin sur le principe, » en tant qu’homme de gauche « . Clerfayt parce que » les militants ne suivront pas et la structure du parti en sortira fragilisée « . Cela n’empêche pas la fédération PRL-FDF, bientôt rejointe par le MCC (Mouvement des citoyens pour le changement) de Gérard Deprez, de survivre pendant dix-huit ans, se transformant au passage en MR, en 2002, sous l’impulsion du président Daniel Ducarme, père de l’actuel ministre fédéral Denis Ducarme.
Les tensions sont régulières au sein du mouvement. En 2001, des affrontements ont déjà lieu au sujet des accords institutionnels du Lambermont. Deux ans plus tard, le FDF charge durement Daniel Ducarme, accusé d’une défaite électorale parce qu’il a » oublié de payer ses impôts « . Dès 2007 et le début des tensions communautaires autour de la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde réclamée par les partis flamands, la crise finale germe. Au sein du FDF, on considère qu’au MR, » la perspective de l’attrait du pouvoir est prioritaire par rapport au refus d’avancées en matière institutionnelles « . C’est cette toile de fond qui nourrit le combat interne entre les clans Michel et Reynders pour la présidence. Et qui scelle la rupture lors de l’adoption de la sixième réforme de l’Etat, négociée en 2011 par un Charles Michel devenu président du parti. » Cette rupture est un moment décisif, acquiesce Vincent Dujardin. Les documents internes montrent que certains optimistes au sein du FDF pensaient, en juillet 2011, que le dossier BHV était devenu tellement symbolique qu’ils pourraient obtenir 20 à 25 % sur Bruxelles. »
2012 : L’implantation en Wallonie
Un autre dossier mine les relations internes au MR : à partir de 2011, le FDF rêve de s’implanter en Wallonie. » Créer des sections locales en Wallonie en récupérant des dissidents du MR, l’intention est claire : ce n’est pas d’être fusionnel avec nous « , peste alors le libéral Louis Michel. Cette velléité se concrétise pourtant en vue des communales de 2012, avec des résultats très mitigés.
» Il y avait déjà eu des tentatives similaires après la disparition du Rassemblement wallon, rappelle Vincent Dujardin. Mais ça n’avait pas fonctionné, ni dans les années 1980, ni en 1991. En 2012, ça n’a pas donné davantage de résultats concluants, le FDF n’obtenant que 50 000 voix et huit conseillers communaux en Wallonie. On verra en 2018 si DéFI réussira enfin cet ancrage. »
» DéFI a un problème de positionnement en Wallonie, complète Jean-Benoit Pilet, politologue de l’ULB. La défense des francophones parle moins à un habitant d’Herstal qu’à un citoyen de la périphérie bruxelloise. En outre, contrairement au CDH, il manque de personnalités bien implantées localement. On risque donc, au soir des communales, dans un an, d’acter un nouvel échec. Mais s’il parvient à imposer un positionnement centriste et à recruter des personnalités connues, alors, tout est possible. »
2012-2013 : La crise existentielle
Les années consécutives à la mort de la fédération font peser la menace d’une disparition pure et simple du FDF. » L’avenir du parti était en jeu lors des communales de 2012, puis des régionales de 2014 « , confirme Vincent Dujardin. D’autant qu’un litige financier sévère s’est ajouté à la liste des contentieux avec l’ancien partenaire libéral, qui prive le parti d’une importante source de financement.
Deux épisodes, au moins, témoignent du flottement qui a prévalu en cette période de repositionnement. Avant le scrutin de 2012, Didier van Eyll, l’un des cadres fondateurs du FDF, ancien secrétaire d’Etat bruxellois et échevin à Etterbeek, décide de se présenter, avec son colistier Jean-Luc Robert, sur la Liste du bourgmestre Vincent De Wolf (MR), pour une question de » cohérence » : tous deux sont exclus du parti. Fin 2013, le départ pour le MR de Damien Thiéry, emblématique bourgmestre de Linkebeek, est un coup autrement plus dur. Stratégiquement, et parce qu’il s’agissait d’un ami intime d’Olivier Maingain. » Sur le plan personnel et politique, ça a été pour moi l’anéantissement « , nous confiait alors le président du FDF. Il s’en relèvera assez vite.
2014 : L’alliance bruxelloise avec le PS
Dès l’éclatement de la fédération avec le MR, certains libéraux tirent la sonnette d’alarme : opportuniste comme il est, Olivier Maingain aura vite fait de se jeter dans les bras d’Elio Di Rupo pour signer des préaccords de gouvernement avant les élections de 2014. Le lendemain du scrutin tend à le confirmer. Dans la chute des dominos menant aux majorités asymétriques du côté francophone, il semble bien que DéFI soit une clé incitant Laurette Onkelinx, présidente de la fédération bruxelloise du PS, à forcer une coalition PS-CDH-DéFI au niveau régional. Cela servira de modèle pour un attelage PS-CDH en Wallonie. Début 2015, Bernard Clerfayt, en lutte contre Olivier Maingain pour la présidence, confirme le préaccord : » C’est le PS qui me l’a affirmé. Je ne l’ai pas appris en interne et je le regrette. Ce n’est pas sain. » Ses critiques contre » l’autocratique » Maingain feront long feu, dès la campagne interne terminée.
» Ce retour au gouvernement bruxellois fut un moment clé, confient Charles-Etienne Lagasse et Christophe Verbist, président et directeur du centre Jacques Georgin, le service d’études de DéFI. Nous avons obtenu un portefeuille cohérent pour Didier Gosuin, associant l’économie, l’emploi et la formation. Cela permet d’asseoir notre positionnement. » Et d’occuper un terrain traditionnellement réservé aux libéraux au sein de la fédération.
2015 : La naissance de DéFI
Le 13 novembre 2015, le FDF se transforme en DéFI. Pour » démocrate, fédéraliste et indépendant » de tout lobby. C’est la concrétisation d’une transformation de fond qui positionne le parti dans un nouveau centre de la politique. Quitte à faire de l’ombre au partenaire humaniste bruxellois.
» Sur l’échiquier, DéFI lorgne assurément les terres du CDH, souligne Vincent Dujardin. Il y a un équilibre, depuis plusieurs décennies, entre les thématiques économiquement de gauche ou de droite dans son programme. Il s’agit, en outre, d’un parti pluraliste. Il existe même une répartition équilibrée de sa base sur le plan de l’affiliation à des syndicats, à des mutualités liées aux piliers traditionnels, ou entre croyants et non-croyants. En matière socio-économique, on peut parler de libéralisme social. On trouve cette phrase dans son programme électoral de 1974 déjà : « L’activité économique n’est pas une fin en soi. La croissance non plus. Leurs buts sont de satisfaire les besoins des hommes. » C’est très « humaniste », ça… »
2016 : L’exemple d’En marche !
Le 6 avril 2016, Emmanuel Macron, l’ancien ministre du gouvernement Hollande, lance le mouvement En marche ! qui le conduit un an plus tard à l’Elysée. DéFI est alors en pleine réflexion doctrinale, il multiplie les congrès et se retrouve dans ce positionnement » ni gauche, ni droite « . » Emmanuel Macron est une inspiration pour toute l’Europe, s’enthousiasme alors Olivier Maingain. S’il devait réussir son pari, il va ouvrir un débat qui va dépasser les frontières de la France. Il y aura des recompositions politiques un peu partout. » » Les appareils de parti sont devenus obsolètes, appuie sa porte-parole, Anne-Sophie Jiménez. Il faut aller vers un dépassement des vieux conservatismes de droite et de gauche. Le mouvement citoyen d’Emmanuel Macron a quelque chose d’assez enthousiasmant et novateur. C’est un espoir. »
Concurrents désormais avérés sur le marché francophone belge, DéFI et CDH multiplient les allusions à En marche ! et rêvent tous deux d’incarner ce changement chez nous. » DéFI se trouve au centre, tantôt au centre-gauche, tantôt au centre-droit, relève Vincent Dujardin. Ce n’est pas un parti traditionnel, il peut davantage échapper à la sanction des partis en place que l’on retrouve dans beaucoup de pays d’Europe. Ce n’est pas un parti nouveau non plus, ayant soufflé ses cinquante bougies, mais il est moins marqué par l’usure du pouvoir. »
Six mois après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en France, certains au sein de DéFI se distancient de cet élan hexagonal. » Vous allez reparler de ce rapprochement ? Parce que ce qui se passe en France aujourd’hui n’est pas glorieux… » Une allusion à cette récente sortie du président français contre » les fainéants, les cyniques et les extrêmes « . Et à sa chute de popularité.
2017 : Le magicien Maingain
L’épreuve de vérité du CDH, amorcée le 19 juin dernier par Benoît Lutgen, s’est transformée au bout de l’été par la consécration de DéFI dans le sondage Le Soir-RTL : 18,4 % à Bruxelles et 6,2 % en Wallonie. Olivier Maingain, qui a résolument défendu ses 41 exigences éthiques et ses 80 conditions pour participer au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, est présenté comme un » magicien » par ses plus ardents détracteurs. » Le système électoral fait qu’il est difficile d’exclure PS, MR et CDH en même temps de l’exercice du pouvoir, clame le président de DéFI. Il serait pourtant de salubrité publique qu’ils puissent être tous les trois sanctionnés. »
Mais en interne, on reste les pieds sur terre : » On ne fait pas la fête. Ce n’est qu’un sondage. Il faut ancrer cela dans la durée. »
2018-2019 : Une N-VA francophone ?
Rendez-vous donc au scrutin communal de 2018, périlleux, on l’a pointé, puis à celui, fédéral et régional, de 2019. » Je pense que Maingain a sérieusement en tête l’idée d’être une sorte de De Wever du côté francophone « , lance ce ténor libéral. Qui s’empresse d’ajouter, perfide : » Ce n’est pas un homme de conviction, c’est un opportuniste qui utilise une stratégie, une sorte de populisme primaire, qui est contre tout et qui capitalise sur ceux qui ne sont en faveur de rien. »
» DéFI et N-VA sont deux partis se positionnant à la base sur les questions communautaires et linguistiques, qui sont devenus tous deux généralistes, sans disposer de relais syndical ou mutualiste, ramasse Vincent Dujardin. Il y a bien entendu des différences. DéFI existe depuis plus de cinquante ans, la N-VA est située franchement plus à droite sur l’échiquier politique et l’ex-FDF n’est pas un parti séparatiste. Ses électeurs comptent parmi les Belges qui sont les plus attachés à la monarchie, même si les relations des cadres du parti avec le Palais ont, par contre, été franchement froides. Olivier Maingain a dû attendre le règne du roi Philippe pour y être reçu pour la première fois seul. »
Au sein du service d’études du parti d’Olivier Maingain, on ne balaie pas forcément du revers de la main toute comparaison avec la N-VA. Cela sonne bien, à l’heure où DéFI veut incarner une » alternative non populiste « . » Nous avons changé de nom, de programme et d’aire géographique, sourit Charles-Etienne Lagasse. Je nous souhaite désormais le même destin que la N-VA sur le plan électoral. » Premier test dans un peu moins d’un an.
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