L’innovation politique bientôt récompensée en Belgique
Un prix annuel va soutenir les projets politiques innovants, en Belgique et en Europe. Le Vif/L’Express s’associe à cette initiative, venue d’Autriche. Voici l’appel à projets.
Attention, notre démocratie est un esquif, fragile, en pleine tempête, les vents se déchaînant partout dans le monde. Les scandales à répétition, comme Publifin ou le Samusocial chez nous, gangrènent le système. Les réponses balbutiantes aux problèmes complexes de notre époque – de la crise des migrants au réchauffement climatique en passant par la globalisation chaotique ou la mobilité en crise – minent la confiance des citoyens. Les discours démagogiques et populistes pullulent sur fond de fake news et de manipulations à grande échelle, comme en témoigne l’affaire Cambridge Analytica qui secoue le modèle Facebook. Oui, on peut désormais influencer des rendez-vous aussi importants qu’un référendum sur le Brexit ou des élections américaines. Notre voix compte, toujours, mais elle est devenue un fétu de paille face aux bourrasques de l’époque et aux intérêts stratégiques des puissants. La cote d’alerte est atteinte.
Ce qui nous manque en démocratie, c’est de sortir des sillons
Comment, dans ce contexte, façonner un modèle alternatif pour éviter les naufrages ? Où trouver un réservoir d’idées et d’énergies nouvelles, positives et susceptibles de répondre concrètement aux défis de notre temps ? Comment, en un mot, donner de l’air à la démocratie ? Et encore : comment médiatiser ce nouvel élan dans cette déferlante quotidienne de mauvaises nouvelles ? Telle est l’ambition, à une échelle certes modeste, du prix d’Innovation politique qui sera attribué à la fin de l’année par un jury citoyen. Une initiative venue d’Autriche, à vocation européenne, qui est lancée pour la première fois en Belgique. Et dont Le Vif/L’Express est partenaire.
Valoriser les actions positives
L’Institut d’innovation politique (The Innovation in Politics Institute), à l’origine de ce prix, a été créé à la suite d’une conversation entre deux responsables autrichiens d’une société en communication. » En tant que citoyens actifs, ils étaient très inquiets de la montée du populisme et de l’état de la démocratie dans leur pays, explique Stephen Boucher, qui relaie aujourd’hui leur initiative en Belgique. Leur conviction commune, c’était la nécessité de faire connaître la créativité politique parce que, au-delà des scandales en tout genre, il existe aussi des actions positives à valoriser. »
Dans ce monde chaotique, l’Autriche fut une sorte de laboratoire dès le début des années 2000, avec une première participation au pouvoir du FPÖ, parti d’extrême droite. C’était l’époque où Louis Michel (MR), alors ministre belge des Affaires étrangères, invitait les citoyens à protester en n’allant plus skier sur les pentes autrichinennes. Le retour du FPÖ aux affaires en coalition avec les conservateurs, fin 2017, a suscité bien moins d’indignation qu’à l’époque. Signe supplémentaire d’un évident malaise démocratique.
Stephen Boucher est diplômé de Sciences po à Paris et de la Kennedy School of Government (Harvard). Il a été consultant pour les affaires européennes au sein du cabinet d’Isabelle Durant quand elle était vice-Première Ecolo, au début des années 2000. Depuis, il a notamment codirigé le think tank Notre Europe/Institut Jacques Delors et, aujourd’hui, il dirige onsoGlobe.com, un site français visant à aider ses lecteurs à vivre mieux. A ses heures perdues, il écrit. » J’ai découvert l’existence de cet institut autrichien en travaillant à mon dernier livre, le Petit manuel de créativité politique, raconte-t-il. Je partais du même constat que ses concepteurs : il est urgent de revaloriser les initiatives positives des politiques. Nous sommes prompts à critiquer quand ils font des erreurs, la sanction symbolique est souvent importante, mais rien ne vient contrebalancer cela. Or, la vraie menace pour la démocratie, ce sont les discours simplistes et démagogiques qui attirent, eux, nos instincts les plus vils comme les insectes le sont par les phares des voitures. »
Sans nécessairement le savoir, à l’heure des réseaux sociaux et des rumeurs planétaires, nous nourrissons cette menace. Pourtant, l’ère du partage tous azimuts délivre d’autres messages, salutaires, qui méritent d’être entendus et répétés. C’était l’objet du documentaire à succès Demain, incontestablement une source d’inspiration pour ce prix qui voit le jour.
La créativité politique, c’est quoi ?
Primer l’innovation en politique, fort bien. Encore faut-il savoir comment la définir. » C’est une question essentielle, reconnaît Stephen Boucher. Qui témoigne d’ailleurs de l’importance de la reconnaître, avant tout. On parle beaucoup d’un besoin de renouveau en politique, mais moi qui ai fait un aller et retour entre le privé et la politique, j’ai été surpris de voir à quel point on cultive l’innovation dans le secteur privé, à quel point on la prend au sérieux. Elle est considérée comme un véritable enjeu et fait l’objet de stratégies. Nous pouvons facilement dire aujourd’hui pourquoi un aspirateur est nouveau par rapport à l’ancien, mais on peine à définir ce qui est innovant en politique. Cette créativité-là existe pourtant bel et bien, mais elle doit surmonter les nombreux obstacles qu’on met sur sa route. Nous avons besoin de soutenir les solutions nouvelles qui parviennent à émerger. »
A l’issue de la première édition du prix, organisée en 2017 dans dix pays mais pas encore en Belgique, pas moins de 80 projets ont été mis sous les projecteurs. Dans huit catégories. Sur le plan politique pur, on y trouve un parti danois, L’Alternative : fondé fin 2013, il a obtenu de premiers succès » électoraux significatifs en défendant un projet basé sur des valeurs de courage, de générosité et de développement durable « . A côté, il y a la petite ville française d’Hazebrouck, qui a imaginé le concept de promenades citoyennes pour stimuler la participation. Ou le mouvement suisse Engage.ch, qui aide les jeunes à utiliser Internet plus démocratiquement. On relève encore des projets éducatifs, environnementaux ou liés à l’économie collaborative. Fil rouge : changer le monde pour un mieux.
» Dans le système actuel, on a beaucoup trop tendance à réfléchir dans un mouchoir de poche, résume Stephen Boucher. C’est ce qu’on appelle, en sciences politiques, la fenêtre d’Overton : on limite les propositions dans une gamme restreinte d’opinions jugées acceptables par l’opinion publique. C’est l’idée, aussi, qu’un débat se limite à des idées binaires, sans option intermédiaire. » Une idée innovante, plaide-t-il, doit idéalement sortir de ce cadre restrictif. Mettre de côté le célèbre » There is no alternative » de Margaret Thatcher, dont on reparle beaucoup de nos jours. Et oublier le plaidoyer fataliste de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne : » On sait ce que l’on doit faire, mais on ne sait pas comment être élu pour le faire. » » Ce sont des exemples flagrants d’un manque de créativité politique, soupire Stephen Boucher. C’est typique d’une approche technocratique, émanant d’un petit groupe convaincu de la pertinence de son approche. »
» Une mesure sera retenue comme créative si elle aboutit à une innovation utile, prolonge-t-il. L’avènement de la sécurité sociale après la Seconde Guerre mondiale, par exemple, était à la fois originale et utile. Elle doit aussi intervenir à temps. Et rencontrer l’adhésion du public. Il y a de nombreux cas où des mandataires publics proposent des mesures originales, en étant convaincus d’avoir raison, mais en suscitant des réactions tellement négatives que la concrétisation devient impossible. Aujourd’hui, par rapport à des enjeux à la complexité sans cesse croissante, nous devons nous tourner vers la cocréation et croire au pouvoir de l’intelligence collective. » Tel est d’ailleurs aussi le moteur de ce prix décerné, c’est important de le souligner, par un jury exclusivement citoyen, composé d’un millier d’Européens.
« La Belgique était une pionnière »
» On ne peut que se réjouir de la création d’un prix comme celui-là, déclare Min Reuchamps, professeur de sciences politiques et observateur attentif des initiatives visant à régénérer la démocratie. Ce qui nous manque en démocratie, c’est de sortir des sillons. Il faut sans cesse rappeler que nous avons besoin de ce système pour concilier les opinions parce que nous sommes tous, potentiellement, en opposition les uns avec les autres. »
La Belgique est-elle un pays innovant ? Souvent, les critiques pleuvent à l’adresse de notre système figé par la particratie… » Il ne faut pas oublier que la Belgique a été pionnière au xixe et au début du xxe siècle, signale Min Reuchamps. Nous avons été le premier pays à introduire le vote obligatoire, avec l’Australie. Aujourd’hui, c’est perçu, en France, comme particulièrement innovant. De même, nous avons été les premiers à introduire l’isoloir. On peut encore ajouter l’invention du système D’Hondt, cette clé permettant de répartir les surplus de notre système électoral proportionnel. Plus près de nous, une initiative comme le G1000 et les différents panels citoyens qui en ont découlé ont permis de donner un nouveau souffle à la démocratie.
C’est vital, analyse le politologue, et ça survient plutôt en temps de crise. » On dit souvent qu’une entreprise n’investissant pas de 5 à 10 % de son budget à la recherche et développement est appelée à mourir. Or, nos démocraties oublient singulièrement d’investir dans le renouveau politique. » Voilà donc des citoyens qui rappellent nos représentants à l’ordre. Tout en saluant des solutions concrètes.
Les candidatures au prix pour l’innovation politique doivent être envoyées avant le 15 juillet prochain à : sb@innovationinpolitics.eu. Les citoyens peuvent être candidats pour être membre du jury sur le site : www.innovationinpolitics.eu/en/juror-submit
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