Joyce Azar
« L’influence d’Erdogan prend désormais l’allure d’une véritable ingérence »
Depuis la tentative ratée de coup d’Etat, attribuée par Ankara au prédicateur en exil, les esprits s’enflamment en Flandre, où résident environ 100 000 personnes d’origine turque, traditionnellement attachées à leur patrie.
« Quand il pleut en Turquie, il bruine dans le Limbourg. » C’est ce que constatait, fin juillet, Zuhal Demir. La députée fédérale N-VA, belgo-turque d’origine kurde, venait de recevoir des e-mails de menace. Des courriels parmi de nombreux autres, envoyés par des partisans du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à des concitoyens soupçonnés de soutenir l’imam Fethullah Gülen.
Plusieurs soirs d’affilée, des manifestants ont secoué les rues de Beringen, ville du Limbourg qui compte la plus importante communauté turque du nord du pays. Tags, insultes, jets de pavé, menaces de boycott de certains commerces, voire d’incendie. L’agitation s’est propagée jusqu’à Gand, Anvers et Bruxelles. La police belge s’est vue contrainte d’assurer la protection de sympathisants gülenistes, entrés pour certains dans la clandestinité. La menace a été ressenti jusque dans les écoles avec, en ligne de mire, les établissements Lucerna, financés par le réseau de l’imam. L’intimidation a porté ses fruits : plusieurs parents ont décidé de désinscrire leurs enfants, par peur de représailles. Les médias aussi en ont pris pour leur grade : sous la pression, le pendant néerlandophone du journal Zaman, réputé proche de Gülen, a cessé ses activités. Une journaliste flamande révélera plus tard avoir été approchée par un » conseiller » de l’Etat turc lui réclamant le nom des personnes abonnées au média.
Les méthodes utilisées par certains partisans d’Erdogan reflètent une véritable dévotion pour leur président. Selon Zuhal Demir, cette ferveur attesterait d’un échec de l’intégration, surtout des deuxième et troisième générations. Mais la propagande du régime semble davantage constituer un facteur clé. On estime à 70 % les Turcs qui, en Europe, possèdent une antenne satellite, et regardent donc quotidiennement des chaînes TV, en grande partie à la botte d’Erdogan. Les mosquées turques aussi posent question, leur lien direct avec Ankara laissant imaginer les discours tenus par leurs prédicateurs. Les citoyens qui ne fréquentent pas ces lieux de culte ne sont pas épargnés : le conseiller en communication de l’ambassade turque en Belgique a récemment appelé sur Twitter à agir » contre les traîtres « . Dans la Gazet van Antwerpen, il ira jusqu’à accuser le gouvernement flamand d’entretenir de bons rapports avec le mouvement pro-Gülen, des déclarations qui ont contraint l’ambassadeur à présenter des excuses auprès du ministre-président flamand, Geert Bourgeois.
Si l’influence d’Erdogan dépasse depuis longtemps les frontières, elle prend désormais l’allure d’une véritable ingérence. Début septembre, un bras droit du président a été accueilli, tel un messie, à Beringen. » Ne votez plus pour les socialistes « , a mitraillé Metin Külünk, en réponse à l’exclusion du SP.A de la » machine à voix » Ahmet Koç, pour son soutien trop affirmé à Erdogan. La menace électorale n’empêche pas d’autres représentants politiques d’assumer leur position : » Je ne me prostituerai pas pour des voix « , a d’ores et déjà fait savoir Zuhal Demir. L’avenir nous dira si cette pression externe aura un impact sur le scrutin communal de 2018. Et si Belgique et Flandre demeureront des terres sûres pour l’ensemble de la communauté turque, mais aussi pour les demandeurs d’asile turcs, dont le nombre est en forte augmentation depuis la répression du putsch, le 15 juillet dernier.
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