Baudouin Peeters
L’imposture Lumumba
Une place Lumumba à Matonge ? Le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, est très fier de sa nouvelle trouvaille. Sur les ondes de La Première, il a déclaré ce mardi 17 avril que « la communauté d‘origine congolaise attendait ce geste depuis longtemps ». « Je suis très fier de cette décision importante, qui permet de tourner une page importante de l‘histoire de Belgique « .
Qu’est-ce qui explique donc ce véritable culte qu’une minorité activiste de Congolais de la diaspora et de politiciens belges peu au fait des réalités historiques semblent vouer à Patrice Lumumba ? Et, cette vénération, est-elle justifiée ?
Le discours offensant envers les Belges que Lumumba prononça le 30 juin 1960 au Parlement congolais, lors des cérémonies de l’Indépendance et surtout son assassinat en ont fait un martyr, un héros et un mythe. C’est à ce titre seulement qu’il est vénéré.
Ceci dit, rien ne peut justifier le sort effroyable que lui fut réservé, ainsi qu’à ses compagnons d’infortune. Toute personne, quels que soient les crimes commis, a droit à un procès équitable. Et si tel avait pu être le cas, Lumumba aurait sans nul doute été condamné à mort pour le massacre de milliers de Congolais au Kasaï et au Katanga.
Du point de vue légal et politique, son assassinat fut une erreur monumentale.
Même s’il n’avait pas commis les crimes passibles de la peine de mort, il aurait été éliminé démocratiquement bien avant la fin de son mandat pour son incompétence.
Ironie du sort, ce sont les responsables directs de sa mort qui en ont fait, pour s’en dédouaner, un mythe et, comme tous les mythes, celui-ci est bien plus tenace que l’Histoire…
Comment celui qui de prime abord semblait être destiné à devenir un homme d’Etat d’ envergure, et pas seulement sur le plan national, mais aussi au niveau régional, a-t-il pu devenir le principal artisan du chaos dans lequel se trouve encore actuellement le Congo, près de soixante ans après l’indépendance ?
Lumumba était employé à la poste de Stanleyville, où il fut condamné en 1956 pour détournement de fonds. On aurait pu y voir un acte de résistance à l' »oppresseur » colonial, si ce n’est que ceux qui en ont fait les frais étaient surtout des épargnants congolais. Plus tard, par la falsification d’une déclaration de son rival Kasavubu, il incitera les électeurs de l’Abako à rejoindre massivement le MNC.
Son attitude dictatoriale et ses promesses démagogiques délirantes, qui lui furent à juste titre reprochées par la plupart des membres fondateurs du Congo indépendant, précipiteront le pays dans le chaos. Désinvolte et dénué de scrupules, il sera même rapidement abandonné par les plus éminents de ses amis.
Son soutien politique dans le pays était loin d’être massif. Aux élections législatives de 1960, le MNC n’obtenait, non sans irrégularités, que 35 sièges sur 137.
De par sa gestion chaotique, son improvisation au jour le jour, il perd rapidement le contrôle du pays. A peine est-il au pouvoir que les mouvements opposants, les syndicats et l’Eglise dénonçaient son incompétence. Plus des deux tiers des parlementaires de son parti finiront par publiquement se désolidariser de lui.
Ses réels talents d’orateur sont mal utilisés. Ses harangues varient radicalement selon le public. Bien que proclamant la non-violence, ses discours incendiaires et les folles espérances qu’il avait ainsi suscitées entraîneront des atrocités inouïes et la mort de centaines de Belges. Les discours dans lesquels il s’en prend à ses ennemis politiques provoquent des incidents partout dans le pays et entraîneront la mort de milliers de Congolais. Avec son charisme et son pouvoir de persuasion, il aurait pu faire cesser les exactions contre les Belges et contre ses concitoyens, mais il n’en fit rien.
Quand en août 1960, Albert Kalonji proclame la sécession du Sud-Kasaï, il ordonne une offensive contre Bakwanga. L’opération coûtera la vie à des milliers d’hommes, femmes et enfants, massacre qui sera qualifié de tentative de génocide par le Secrétaire général des Nations Unies. Le principal responsable en était le chef d’état-major, le colonel Mobutu. Mais Lumumba, en tant que Premier ministre et ministre de la Défense, en portait au moins la responsabilité politique. Il ne fit rien pour les faire cesser, ni même les condamner. Politiquement, l’homme fut très rapidement dépassé par l’enjeu qu’il représentait alors dans la rivalité est-ouest. Mais très objectivement, quand on passe en revue tous les événements qui marquèrent sa carrière météorique, on ne peut qu’être consterné par l’immaturité du personnage, son impulsivité, son absence totale de sens politique, les erreurs monumentales qu’il commit en quelques jours et par sa vocation à jouer au brûlot dans un baril de poudre.
Même après son décès, Lumumba doit être tenu responsable de la mort de milliers de Congolais et de centaines de Blancs lors des rébellions des années soixante (Simba…). C’est en se revendiquant de lui et de son discours que ses partisans se livrent alors aux tortures les plus odieuses dans les territoires qu’ils contrôlent et exterminent systématiquement les intellectuels et tous ceux dont le niveau de vie dépassait tant soit peu celui de la population.
Par ignorance, ou sous la coupe d’idées tiers-mondistes et communistes, il sous-estimait l’importance de l’appartenance clanique. C’est peut-être là la raison principale de sa perte. Alors qu’il croyait être vu comme un Congolais, un nationaliste, il était en fait vu comme un Tetela. Moins d’une semaine après l’indépendance, c’est d’ailleurs lui que les mutins de la Force Publique, composée de fortes ethnies traditionalistes, veulent tuer.
De par son impétuosité, il perd même son soutien international. Son mentor, Kwame Nkrumah, le Président du Ghana, le mettait en garde : « Si vous essuyez un échec, vous n‘aurez à blâmer que vous-même …. Votre échec portera un coup terrible au mouvement de libération africaine… Votre politique qui vise à vous débarrasser de vos adversaires dès maintenant échouera…« .
Que certains Congolais veuillent ériger des monuments à sa mémoire ou rebaptiser des rues en lui donnant son nom, pour honorer un des pères de leur indépendance est encore compréhensible. Bien qu’on puisse se demander ce qu’en pensent les descendants de ses milliers de victimes…
Il n’est pas non plus exclu qu’en commémorant Lumumba, les Congolais essaient d’occulter leur responsabilité pour sa mort. Car ce sont bien des Congolais qui, délibérément, ont envoyé Lumumba dans un lieu où l’attendait une mort certaine.
On aura beau dire qu’il y eut des pressions extérieures, les Congolais étant alors indépendants, ils étaient seuls responsables de leurs actes.
Pour beaucoup de Congolais, son seul mérite est d’avoir été le « premier Premier ministre ». Une primature qui aura été de fort courte durée (moins de 3 mois !), mais néanmoins avec des conséquences dramatiques pour le pays.
Honorer Patrice Lumumba de quelque façon que soit en Belgique serait méconnaître sa responsabilité indirecte, mais indéniable pour la mort et la maltraitance de centaines de Belges.
Certes, la Belgique est responsable d’avoir accordé l’indépendance à la hâte, sans tenir compte de l’avis informé des autorités coloniales. Un processus de désengagement échelonné sur plusieurs années (comme le préconisait le plan Van Bilsen) aurait permis de ne pas abandonner la gestion du Congo aux mains d’une classe politique sans la moindre formation ni expérience.
Patrice Lumumba a été une victime de cet empressement totalement irresponsable. Mais il était également la victime de la guerre froide. Le mythe Lumumba était le symbole rêvé de la lutte des Tiers-mondistes contre l’impérialisme occidental. D’aucuns présentent encore aujourd’hui comme un héros du tiers-monde celui qui ne fut, hélas ! qu’un déséquilibré irresponsable, d’obédience marxiste-léniniste.
Pendant ce temps, on songe à déboulonner les statues de Léopold II. Au futur nouveau Musée de Tervueren, elle a été renvoyée à la cave…
En réalité, la décision du bourgmestre de Bruxelles est purement électoraliste à l’approche des élections communales, voire communautariste.
A chacun donc ses héros, Monsieur le Bourgmestre de Bruxelles-Ville !
(Avec Robert Devriese, administrateur-délégué de l’UROME et Mémoires du Congo)
A lire : Place Lumumba : un premier pas vers la reconnaissance du peuple congolais et de son combat pour l’indépendance, par Mathilde El Bakri, députée bruxelloise et tête de liste PTB à la Ville de Bruxelles
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici