Liège, Cité innovante
Bastion du shopping wallon, le centre-ville liégeois se porte relativement bien. Notamment parce qu’il incite des magasins virtuels à venir se tester dans ses rues commerçantes.
Le centre-ville de Liège compte près de deux fois plus de commerces que celui de Namur: 1.155 contre 644. Près de trois fois plus que les centres-villes de Tournai (399) et de Mons (377), voire près de… quatre fois plus que celui de Charleroi (331), pourtant première ville au sud du pays, en taille comme en nombre d’habitants. Un constat interpellant, mis en lumière par l’Association de management de centre-ville (AMCV) dans sa récente étude sur la dynamique commerciale des centres-villes wallons, parue fin septembre dernier.
« C’est parce que Liège est une ville à part entière, soulève Jean-Luc Calonger, patron de l’AMCV. Elle jouit d’une structure urbaine historique et d’une vraie dynamique, ce qui n’est pas le cas à Namur, plus petite, ou à Charleroi, qui a grandi suite à la fusion des communes et s’apparente plus à une agglomération d’entités urbaines distinctes, sans réelle cohésion. » Et puis, argue-t-il, « il faut reconnaître que le ministre wallon Jean-Claude Marcourt, qui était à l’Economie entre 2004 et 2017, lui a donné les moyens financiers de se développer. Ce dont les autres villes wallonnes n’ont pas nécessairement bénéficié. A tout le moins, ce dont elles n’ont pas tiré parti au même titre que Liège. »
C’est à Liège que les nouveaux concepts commerciaux et les commerces de nouvelle génération émergent.
Mais au-delà de sa taille et de l’attention des pouvoirs publics, la Cité ardente peut compter sur ses habitants, sans doute plus branchés, avant-gardistes et alternatifs qu’ailleurs. « L’esprit liégeois existe, c’est évident, acquiesce Jean-Luc Calonger. La preuve, c’est à Liège que les nouveaux concepts commerciaux et les commerces de nouvelle génération émergent. C’est un terreau fertile pour de nombreux entrepreneurs. »
Focus sur le digital
Ces retailers 2.0 qui ciblent Liège en priorité sont d’un tout autre genre que leurs prédécesseurs. « Ils prônent un commerce de niche, fondé sur des produits éthiques, qualitatifs ou durables et, surtout, ils sont tous acquis au digital, observe le responsable de l’AMCV, par ailleurs professeur de marketing à la haute école provinciale de Hainaut-Condorcet. Le schéma de développement est toujours à peu près identique: le porteur de projet teste d’abord son produit ou son concept en ligne, en rassemblant le plus de followers possible sur les réseaux sociaux. Facebook, Instagram, Pinterest, Twitter… Tous les canaux sont mis à profit, avec un storytelling et une communauté propres à chacun. C’est la masse des followers qui crée la valeur économique. » La suite, si le succès est au rendez-vous, c’est un e-shop. « L’avantage, c’est que jusque-là, il n’y a pas d’emprunt, pas de loyer, pas de charges. Tout est virtuel, donc en cas de coup dans l’eau, ces nouveaux commerçants arrêtent là et lancent autre chose », poursuit Jean-Luc Calonger. Si, au contraire, ils trouvent leur public, l’étape d’après est l’ouverture d’un magasin éphémère. « C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Flandre, Bruxelles et la Wallonie se sont dotées d’un bail commercial de courte durée », sourit l’expert.
Ainsi, à Liège, d’anciens quartiers commerçants délaissés sont en train de renaître sous l’impulsion de cette nouvelle vague de petits indépendants, encadrés et subsidiés par des organismes publics (Creashop, bureau du Commerce…). « On le voit très clairement dans le quartier Grand-Léopold », pointe Jean-Luc Calonger, qui cite Saperlipopette (rue des Mineurs), une enseigne familiale « dont le tout-Liège s’arrache les chouquettes, viennoiseries, pâtisseries et autres glaces » ; Watch Smell Taste & Having fun (rue du Pont), pour les amateurs de whisky, alcools rares, vins bio et bières étrangères ; Wattitude (rue Souverain-Pont), qui propose exclusivement des produits conçus, créés ou fabriqués en Wallonie, etc. « Sans oublier les restaurants vegan, les snacks, brasseries et bars à boulettes de la rue de la Casquette, dans le Carré, qui a, elle aussi, été redynamisée », ajoute-t-il.
Mauvais clients
Avec quel impact sur le marché de l’immobilier commercial? « Ces retailers issus du digital sont de très mauvais clients pour les propriétaires de cellules commerciales et leurs agents, assène le directeur de l’AMCV. Ils rejettent les baux 3-6-9, leur préférant des baux précaires. » Et de remarquer qu’outre la location, c’est bien souvent l’acquisition qui prime dans le chef des ces nouveaux venus dans le centre-ville liégeois. « La plupart du temps, ils achètent tout le bâtiment, installent leur point de vente au rez-de-chaussée et mettent les logements aux étages en location, décrit Jean-Luc Calonger. Il faut dire qu’ils s’implantent dans des rues qui ne sont pas « triple A ». Ce n’est pas le Vinâve d’Île. L’immobilier y est meilleur marché qu’ailleurs car ce sont des endroits où personne n’investissait plus depuis longtemps. »
Dans la moyenne wallonne
Dans l’étude publiée récemment par l’Association de management de centre-ville (AMCV), Liège ne figure pas parmi les bons élèves en matière de taux d’occupation des cellules commerciales, et ce, en dépit de sa première place dans le classement des centres-villes wallons les plus développés question shopping. En effet, 19,7% des 1 155 points de vente recensés sur son territoire sont vides en 2020 (contre 3,1% à Louvain-la-Neuve, 7,8% à Waterloo, 12,2% à Hannut…), ce qui place la Cité ardente à peu de choses près dans la moyenne wallonne de 19,9%. En 2019, Liège accusait 18,5% de cellules vides et en 2018, 18%. « Malgré les efforts publics consentis et sa bonne attractivité générale, la vacance est légèrement à la hausse », analyse Jean-Luc Calonger qui dirige l’AMCV. Mais ce sont des moyennes. Certaines parties du centre-ville liégeois fonctionnent mieux que d’autres. « Si l’on se penche sur les seules « high streets », les rues commerçantes les plus fréquentées, à savoir, à Liège, les rues Pont d’Île et Vinâve d’Île, le taux de cellules vides tombe à 13,8%, pointe l’expert. C’est mieux qu’en 2019, où il était à 16,7%, ou qu’en 2017, où il culminait à 18,8%. Mais 13,8%, cela reste élevé. » Namur, par exemple, est à 7,8% de cellules vides dans ses rues de Fer et de l’Ange en 2020. A l’inverse, Charleroi et son duo rue de Dampremy/boulevard Tirou sont à 20,1%. « Ce sont surtout les limites de l’hypercentre liégeois qui souffrent. Des bouts d’axes, des bouts de rues qui périclitent tandis qu’en son coeur, des noyaux se renforcent. »
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