L’histoire d’un comité parlementaire chargé du suivi législatif mais… qui ne suit rien du tout
Une aimable plaisanterie qui dure depuis dix ans, promise à jouer les prolongations. Même si » assurer le service après-vente n’intéresse pas les élus ».
Ils votent des lois à tour de bras. Logique, ils sont payés pour ça. Ils s’attardent nettement moins à jeter un oeil dans le rétroviseur, histoire de vérifier si ce qui a été décidé un jour ou approuvé au bout d’une nuit ne justifierait pas un retour à l’atelier pour révision. Faire et pouvoir défaire, c’est le b.a.-ba du job de parlementaire. La meilleure façon de s’épargner la malbouffe et l’obésité législatives ambiantes. Tout va tellement vite de nos jours. Pas plus tard qu’en 2016, devant un parterre de sénateurs, Yves Kreins, premier président du Conseil d’Etat, enfonçait cette porte ouverte : » Nous vivons une époque où tout doit se faire de manière presque instantanée : réseaux sociaux, informations, réactions aux informations. Cette tendance percole, y compris dans le monde politique. On a parfois l’impression que le plus important est de donner une réponse normative, le plus rapidement possible. L’effet d’annonce est essentiel et il n’est pas sûr que l’on vérifie toujours si le texte proposé est adéquat par rapport au problème qui se pose. Il y a là une difficulté fondamentale tout simplement liée à notre temps. »
Bien vu, cher président, mais les élus de la nation l’avaient capté depuis bien longtemps. Depuis le printemps 2007, lorsque députés et sénateurs, main dans la main, s’étaient offert un comité spécialement voué au suivi législatif. Soit une brigade de vingt-deux parlementaires lancés sur les traces des lois bancales aux effets inattendus, pervers ou indésirables.
Cellule dormante
Ces nouveaux croisés de la qualité législative se sont hâtés lentement. Il leur a fallu quatre ans et demi pour se donner, par consensus, un règlement d’ordre intérieur. Lequel ne disait encore rien de la méthode de travail qu’il fallait privilégier. Mais ce fut enfin l’éveil, la sortie de torpeur, la cadence presque infernale. Six réunions de travail en 2012, une rafale d’échanges de vues avec les plus hauts magistrats du pays, ces pourvoyeurs attitrés ou pressentis en relevés de lois » à problèmes » (Collège des procureurs généraux, Cour de cassation, Cour constitutionnelle, Conseil d’Etat). Sans parler de l’incontournable lancement d’un site Internet dans le courant de 2013, chargé de réceptionner, par voie électronique, toute requête qui mettrait le doigt sur des lois mal fichues ou obsolètes. Citoyens, entreprises et administrations, l’invitation générale à tuyauter les élus était lancée.
Il était temps. Une certaine impatience commençait à poindre. » Il serait souhaitable que le comité se réunisse plus souvent, compte tenu du fait qu’il ne s’est réuni qu’une seule fois depuis 2007, ce qui n’est pas très motivant « , avait osé le procureur général près la Cour de cassation, auditionné au Parlement en janvier 2012. Piqués au vif, les apprentis légistes ? Plutôt coupés net dans leur élan par les élections fédérales de mai 2014 : quatre ans et demi plus tard, pas une seule réunion de travail à se mettre sous la dent, la présidence et la vice-présidence du comité sont déclarées toujours vacantes et la dream team est en apesanteur. Bref, le déclic a fait flop.
Le comité mixte Chambre – Sénat ne comptait sans doute pas que des amis et des alliés, moins que jamais depuis que l’heure de la suédoise a sonné en 2014, que la sixième réforme de l’Etat est passée par là et que tout ce qui rappelle le Sénat insupporte la puissante N-VA. Que viennent encore faire les sénateurs dans cette galère, maintenant qu’ils sont amputés du pouvoir de légiférer ? Ouste, » buiten « , hors du comité !
Sénateurs, buiten !
Orchestrée non sans tâtonnements juridiques par la défunte majorité N-VA – MR – CD&V – Open VLD, la manoeuvre d’expulsion est en cours et a franchi le cap des députés, fin novembre dernier. Raffinement de cruauté imposé par le Conseil d’Etat, elle attend désormais des sénateurs qu’ils s’autoexcluent sans pinailler en acceptant à leur tour de liquider la loi fondatrice de 2007. Depuis l’opposition, Marcel Cheron, député Ecolo à l’ironie facile, a eu une pensée émue pour » nos amis du Sénat dont certains disent qu’ils s’ennuient beaucoup. Cela leur donnera en tout cas du travail. » A moins que dans un ultime baroud d’honneur, ils n’aient le toupet de se rebiffer en refusant l’odieux marché que leur soumettent les députés. Insoutenable suspense.
Exit les sénateurs, en piste pour un nouveau départ, pour un comité ressourcé, paré à relancer les compteurs arrêtés au bout de dix ans d'(in)existence. A ce jour, trois rapports d’activité, essentiellement garnis de tableaux informatifs (édition 2011 : 3 pages de réflexion ; cuvée 2012 : 6 pages ; édition 2013 – avril 2014 : 45 pages) ; cinq propositions d’initiative législative ; 80 requêtes réceptionnées dont 50 jugées recevables, deux évaluées de manière approfondie et deux qui ont donné lieu à une proposition de suivi. A organe fantomatique, bilan squelettique.
Cela s’appelle rater une vocation. Ou plutôt la torpiller. » L’idée d’un suivi législatif est évidemment une très bonne idée, mais si les moyens matériels, humains et financiers nécessaires font défaut, je crains que nous ne fassions pas oeuvre utile, commente le député Francis Delpérée (CDH) en contemplant le champ de ruines. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’organisation interne du Parlement mais d’une question fondamentale et d’intérêt général. » Et d’abord, d’une question de volonté politique. » Or, celle-ci semble avoir dès le début été incertaine, voire aujourd’hui être largement inexistante « , observe Camille Courtois, auteure d’une enquête sur le comité (1) pour le compte du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques), et qui a sa petite idée sur l’origine de cette apathie : » L’évaluation législative n’offre guère de bénéfice électoral pour les parlementaires qui s’y attèlent et est donc susceptible de ne susciter que peu d’intérêt et d’investissement de leur part. » Nous y voilà : » Assurer le service après-vente n’intéresse pas les élus « , confirme plus abruptement Francis Delpérée. S’autoévaluer, pire encore s’autoflageller, n’est pas trop la spécialité de la maison. Ni la vertu cardinale des gouvernements, à l’origine de 90 % de la production législative, et qui apprécient toujours modérément de voir leurs copies prises en défaut.
Le comité est mort, vive le comité ! Pas d’emballement. Promis à un enfouissement de ses statuts dans le règlement intérieur de la Chambre sans le moindre indice d’une résurrection, c’est manifestement un second enterrement qui l’attend. Il continuera à pleuvoir des lois. En veux-tu en voilà.
(1) Le Comité parlementaire chargé du suivi législatif, par Camille Courtois, Courrier hebdomadaire du Crisp n°2375, 2018.
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