L’histoire de la tarte au riz
Durant l’été, Le Vif plonge dans l’histoire de notre patrimoine gourmand. Cette semaine, entre ombre menaçante de l’Afsca et querelles autour de sa recette véritable, voici un dessert, autrefois salé, bien moins sage qu’il n’y paraît.
Quand on parle de tarte au riz, on pense forcément à Tancrémont. C’est que c’est dans ce hameau de la province de Liège, dans la commune de Theux, qu’on trouve l’établissement Au Vieux Tancrémont, et selon les puristes, les meilleures tartes au riz du royaume. Ce qui explique peut-être pourquoi, sur son site Web, la tarterie indique en lettres capitales que ses tartes «ne seront jamais vendues ailleurs» que dans l’établissement familial, fondé par le père du gérant actuel, Didier Van Hamme, en 1991.
Celui qui confie avoir appris le métier très tôt aux côtés de son papa est intarissable dès qu’on l’interroge sur les origines d’une pâtisserie indissociable des goûters chez mamy dans l’imaginaire gustatif belge: «La recette du riz au lait apparaît au Moyen Age, mais à l’époque, c’était un plat salé dans lequel on ajoutait éventuellement de la viande ou du bouillon. En Europe, on le réalisait à l’origine avec du millet, de l’orge et d’autres céréales avant l’introduction du riz au XIVe siècle. C’est avec l’importation d’un autre ingrédient, en l’occurrence la vanille, que le plat s’est peu à peu transformé en dessert sucré.»
On peut aussi bien en manger en dessert qu’au petit déjeuner.
Didier Van Hamme évalue l’apparition du mets tel qu’on le connaît aujourd’hui au XVIIe siècle, à Verviers. Une tarte que l’on désigne alors également sous le nom de «dorêye», en wallon de la région, et qui connaît aussi un joli succès dans les provinces voisines du Limbourg belge et du Limbourg néerlandais. Où elle se savoure toutefois sous d’autres formes: si à Verviers, certains pâtissiers incorporent du macaron au riz au lait, en Flandre et en Allemagne, on privilégie l’ajout de fruits rouges, tandis que dans le Brabant wallon, on substitue au riz au lait du fromage blanc mélangé à des amandes mondées. Dans le Hainaut, le macaron verviétois laisse sa place à des brisures de bernardins, des biscuits à base d’amande, sucre et cassonade originaires de la région de Chimay. Le point commun entre toutes ces variantes: une riche tradition gustative et une place de choix au panthéon des sucreries les plus nostalgiques. Ce qui n’a pas empêché l’Afsca de vouloir bousculer des siècles d’histoire, l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire ayant pointé, il y a quelques années, l’utilisation de lait non pasteurisé dans la recette traditionnelle verviétoise, mais aussi, et surtout, la conservation du produit fini hors du réfrigérateur. Pourtant, les puristes sont unanimes: c’est là la seule manière de garantir le goût et la texture authentiques.
Pas du gâteau
«Lorsque vous achetez une tarte au riz et que vous la consommez dans les deux ou trois heures, vous pouvez la laisser à température ambiante – pas à 30°C non plus –, ce qui est meilleur en termes de goût. Une tarte au riz froide ne rend qu’une partie de ses arômes», met en garde Didier Van Hamme, qui rappelle toutefois que «si vous voulez la garder plusieurs heures ou jours, il est impératif de la conserver au frigo».
Le pâtissier vient, lui aussi, d’être au cœur d’une polémique après qu’une nouvelle adresse liégeoise a laissé planer le doute sur la provenance de ses tartes au riz. «Nous avons décliné sa proposition de vendre nos tartes à Liège ; ils se sont alors tournés vers notre voisin tout en utilisant les photos de nos huitièmes de tarte pour faire la promotion de la leur. Beaucoup de clients nous ont téléphoné pour nous faire part de leur déception gustative après avoir acheté de la tarte en croyant que c’était la nôtre.»
Le secret d’une tarte au riz réussie? Pour la deuxième génération du Vieux Tancrémont, il s’agit de privilégier des produits frais, «du lait issu directement de la ferme» par exemple, de réaliser le riz au lait sans le brûler, mais aussi d’adapter la cuisson au four à la taille de la tarte. Et si, pour de nombreux Belges, la tarte au riz évoque le goûter dominical accompagné du traditionnel café chez les grands-parents, pour Didier Van Hamme, il serait dommage de la cantonner à ce seul moment de la journée. «On peut aussi bien en manger en dessert qu’au petit déjeuner, c’est un mets qu’on consomme à n’importe quelle occasion.» Un vilain défaut, la gourmandise? Parfois, il en va de la préservation du patrimoine.
Le plat revisité de…
Formée à l’art de la pâtisserie dans les cuisines londoniennes du célèbre Ottolenghi, Mélanie Kuta a réussi une savoureuse reconversion après une première carrière dans l’édition. Si la jeune femme a construit son succès étape par étape, un entremets délicat après l’autre, c’est avec appétit qu’elle évoque la tarte au riz, indissociable des dimanches chez sa belle-famille: «Mes beaux-parents commandaient toujours une tarte pour 25, alors qu’on était six à table, ainsi on repartait en kot avec des parts pour toute la semaine.» Une anecdote à la hauteur de l’image conviviale du plat dont Mélanie, alias Mimi Pâtisserie, souligne le côté délicieusement régressif. «Tout qui a 30 ans ou plus l’a trouvé à la table du goûter en grandissant», sourit celle pour qui le «quatre heures» se prête mieux à la dégustation que le dessert, «parce qu’il faut avoir de la place dans l’estomac, c’est un repas en soi». Une gourmandise consistante qui se mange forcément à température ambiante: «Si elle sort du frigo et qu’elle ne dégouline pas quand on la tranche, pour moi, ce n’est pas une véritable tarte au riz», assure Mélanie. Elle ajoute que le riz au lait, idéalement réalisé maison, doit former une petite couche «presque à la limite du brûlé». Du reste, toutes les fantaisies sont permises. Mélanie se plaît, par exemple, à l’assortir de fruits, comme dans la variante limbourgeoise aux cerises, et y ajoute dès lors des abricots. C’est mamy qui sera surprise!
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