L’histoire centenaire de la croquette aux crevettes
Durant l’été, Le Vif plonge dans l’histoire de notre patrimoine gourmand. Cette semaine, place à la croquette aux crevettes qui ravit nos papilles depuis plus de cent ans.
La croquette aux crevettes s’est fait une place de choix dans le cœur et dans l’assiette des Belges, plus gros consommateurs de crevettes grises au monde. Pour comprendre pourquoi ce mets connaît chez nous un tel succès, il faut revenir plus d’un siècle en arrière.
Selon les historiens, la croquette aux crevettes fait son apparition durant la Première Guerre mondiale, sur le front de l’Yser, près de la côte. «Les croquettes de viande devenaient chères, alors que les crevettes grises ne coûtaient pas grand-chose et étaient présentes en abondance à la mer du Nord. L’idée de les utiliser a donc germé», raconte Angus Wittevrongel , du Julia Fish & Oysterbar à Saint-Idesbald. Le chef, qui est aussi poissonnier, est issu d’une famille de pêcheurs. Tout naturellement, il s’est spécialisé dans les produits de la mer et a ouvert l’une des adresses incontournables pour déguster la célèbre croquette.
Ce sont les soldats immobilisés dans les tranchées qui décident d’incorporer les petits crustacés dans une boulette de pâte, pour mieux les conserver. La croquette aux crevettes est née et a tout pour plaire: «Bon marché, elle nécessitait peu d’ingrédients et était assez copieuse, résume l’expert. Pour les populations plus pauvres, c’était le plat idéal.»
En 1922, la préparation dorée débarque dans la capitale, à la carte du restaurant Chez François, dans le quartier Sainte-Catherine. Un établissement qui existe aujourd’hui sous le nom de Restaurant François, la légende voulant qu’encore actuellement, les tenanciers conservent la mythique recette dans un coffre-fort.
Concours et festivals
Avec les années, de nombreuses tables l’ont ajoutée au menu. «C’est devenu un classique, confirme Angus Wittevrongel. Il existe d’ailleurs clairement une compétition entre les professionnels pour proposer les meilleures.» Ce qui a poussé l’office du tourisme de Bruxelles à organiser un concours, qui, en mars dernier, a couronné les Brasseries Georges pour leur version non bisquée de la spécialité. Mais on la célèbre à la côte aussi. A Oostduinkerke, une fête de la crevette a lieu en juin tandis qu’un festival dédié à la préparation de la croquette se déroule à Ostende en octobre.
A la suite de sa popularisation, le plat s’est embourgeoisé. «Le prix des crevettes grises a flambé comparé à celui du début du XXe siècle», note le chef ouest- flandrien. Et pour espérer manger une bonne croquette aux crevettes, il faut y mettre le prix. Selon l’établissement, il peut grimper au-delà des 10 euros la pièce. Peu surprenant quand on sait que les petites grises se doivent, dans la tradition, d’être épluchées à la main et qu’ avec un kilo au départ, une fois les carcasses retirées, on obtient à peine 300 grammes de crustacés.
Selon Angus Wittevrongel, le secret de cette fameuse croquette réside dans son ingrédient phare. «La crevette grise est unique, scande-t-il. Il s’agit d’un produit du terroir et c’est ce que recherchent de plus en plus de gourmets. Du local, bien cuisiné. Elle a vraiment une saveur particulière et chaque pêche est différente. Le bateau à Ostende et celui de Nieuport ne rapporteront pas des crevettes avec le même goût. De même, la façon dont les pêcheurs les cuisent sur le bateau joue un rôle.»
En tant que descendant d’anciens pêcheurs, le chef sait de quoi il parle: «Mon père m’a toujours appris qu’il y avait de grandes différences de qualité et qu’il fallait tirer parti de ce qu’on pouvait trouver de meilleur. La vraie bonne crevette est pêchée entre 18 heures et 6 heures et doit être rapidement utilisée. Car sans crevettes fraîches, il n’y a pas de croquette valable.» Des crustacés épluchés aux Pays-Bas ou n’importe où ailleurs ne donneront pas le même résultat. Sans parler des surgelés, mais ça, c’est encore un autre débat.
Joël Geismar – Fripon
Joël Geismar a fait connaître sa cuisine de terroir au sein d’établissements bruxellois tous plus originaux les uns que les autres. D’abord au Café des Spores, puis au Garage-à-manger et dans son food truck El Camion, ce chef prend soin de travailler des produits locaux, de qualité et souvent bio. Il a également lancé le restaurant Fripon, à l’hôtel Le Berger, où il propose une version de la croquette aux crevettes avec du panko, une chapelure japonaise, en guise de panure. «Ce que j’adore, ce sont vraiment les classiques. Ce plat fait partie des incontournables de notre terroir. Il représente le côté un peu crapuleux de notre cuisine. Je veux dire par là qu’il a un côté régressif…» Pour cet amoureux de mets typiquement belges, la spécialité centenaire est pleine de souvenirs. «C’est une préparation qui est intergénérationnelle, elle est accessible tant aux tout-petits qu’aux plus âgés. Ça me ramène à mon enfance. Mais c’est aussi un souvenir d’étudiant, car c’est un plat qu’on apprend à cuisiner à l’école hôtelière.» Lorsqu’on aime tant la tradition, il n’est toutefois pas toujours évident de la modifier. «C’est tellement bon qu’on n’a pas envie de la dénaturer. C’est pour cela que j’ai décidé de garder une préparation assez classique mais en ajoutant du pastis et des zestes de citron. Ça aromatise fortement l’appareil, ça lui donne un côté anisé. Ça lui apporte juste ce qu’il faut de longueur. C’est la cuisine que j’aime.»
Fripon, 24 rue du Berger, à Ixelles. Retrouvez la recette sur levifweekend.be
Un article de Shirine Ghaemmaghami.
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