Leur vie est un feuilleton: Steven Laureys, en pleine conscience
Chercheur acclamé à l’international, neurologue de renom, bekende Vlaming, mais aussi père de famille comblé : Steven Laureys fait mentir la croyance qui veut qu’on n’utilise qu’une toute petite partie de son cerveau. Il vit sa vie en pleine conscience. Notamment grâce à la méditation, discipline à laquelle il consacre son dernier livre.
« Docteur Laureys ? Mon appel risque peut-être de vous surprendre, mais mes sources me disent que vous allez quitter Liège, et j’aimerais savoir ce qu’il en est. » Au bout du fil, l’éclat de rire est franc et fait écho à celui, quelques heures plus tôt, du chargé de communication du CHU de Liège. C’est que pour l’hôpital universitaire, Steven Laureys n’est pas simplement un médecin ou un chercheur parmi tant d’autres brillants cerveaux. Célébré bien au-delà des frontières belges pour son travail sur les états de conscience et le coma, il serra la main du pape François et tutoie le dalaï lama, est auréolé de prix scientifiques, dont le prestigieux prix Francqui, et il contribue à l’aura internationale de l’hôpital et de l’université. Une réputation étincelante qui ne manque pas de faire de l’ombre à certains de ses confrères, ce qui expliquerait pourquoi en ce début d’été 2019, une rumeur aussi persistante qu’infondée lui attribue sa démission. » C’est clair que ce n’est pas facile tous les jours « , concède-t-il, » mais pour moi, ce n’est pas dans les médias qu’il faut aller parler de ce genre de problèmes. » D’ailleurs, il est en consultation, alors vraiment, ce n’est pas le moment.
A un moment, mon prof de religion en a eu marre de mes questions.
Mais plus tard, peut-être, la sortie de son nouveau livre, La Méditation, c’est bon pour le cerveau (1) offrant le prétexte parfait à un entretien de longue haleine ? Il ne dit pas non, demande un temps de réflexion, s’avère finalement impossible à joindre, et juste au moment où le reportage semble condamné, revient avec sa réponse. » Je me suis demandé pourquoi faire ça… Sachant qu’on n’est pas toujours apprécié quand on se livre à ce genre d’exercice, donc ce serait plus facile de dire : « Je n’ai pas le temps ou ça ne m’intéresse pas. » Mon papa est mort, ma maman est flamande et ne lit pas Le Vif/L’Express, donc ce n’est pas à eux que ça va faire plaisir. Mais je pense que c’est quand même intéressant d’essayer, parce que c’est important pour moi d’être inspirant. »
La rhétorique peut sembler pompeuse, d’autant que peu de personnes ont l’opportunité d’inspirer vraiment les autres, mais il n’en est rien. Tout en étant conscient de sa renommée et de ce qu’elle implique, Steven Laureys fait preuve d’une humilité déroutante, qui trouve probablement racine dans le milieu agricole dans lequel il a grandi. Flamand devenu célèbre à Liège, fils d’ouvrier ayant atteint les plus hautes sphères intellectuelles, chercheur dévoué mais aussi père aimant d’une fratrie de bientôt cinq enfants, scientifique féru de méditation… Steven Laureys est à l’image des IRM et autres scans qu’il passe sa vie à analyser : contrasté.
ÉPISODE 1 – Un si brillant cerveau
Steven Laureys voit le jour en 1968 à Hoeilaart, une commune paisible en bordure d’Overijse. » Pile sur la frontière linguistique « , comme il le souligne d’un français qui a depuis longtemps perdu toute trace d’accent flamand. Tout juste s’il n’emprunte pas à son épouse quelques intonations québécoises, mais à ce stade du récit, il ne parle pas : il vient de naître. Un 24 décembre, et si sa naissance finit heureusement en véritable miracle de Noël, la venue au monde de Steven Laureys ne s’est pas faite sans fracas. C’est que le soir du réveillon, les médecins sont comme tout le monde : ils préfèrent être en famille qu’à la clinique, et l’hôpital de Louvain est en effectif réduit. » Maman a perdu beaucoup de sang et a bien failli mourir, d’ailleurs, elle a vécu une expérience de mort imminente « , raconte celui qui est aujourd’hui devenu un expert mondialement reconnu de ces pertes de conscience tout à fait particulières. Une expérience traumatique qui sera également fondatrice pour le jeune Steven Laureys : » Je suis né par césarienne, et ma maman m’a toujours dit que si j’étais là, c’était grâce à la médecine, et que je me devais donc d’aider la médecine. Je ne me suis jamais vraiment posé la question de savoir ce que j’allais faire plus tard. Maman était très ambitieuse et elle m’a encouragé dans cette voie. » Sans pour autant renier ses racines.
» Je viens d’une famille de paysans, pas d’intellectuels. Hoeilaart, c’est la région des raisins, chaque mètre carré était recouvert de serres, et papa et mon grand-père étaient eux-mêmes serristes. C’est un travail très intense, mon père a quitté l’école à 13 ans pour rejoindre l’activité familiale, et puis quand le prix du charbon et du pétrole a augmenté et que chauffer ses serres est devenu trop cher, il a décidé sans formation de se lancer dans la réparation de pneus. Je l’ai toujours connu noir de crasse de la tête aux pieds, avec ses grandes mains de travailleur, en train de se démener pour gagner sa vie. » Steven Laureys alterne entre l’atelier paternel et la boutique de vêtements de sa maman – » Tout noir d’un côté, et puis tout propre et tout joli de l’autre » – et à 11 ans, l’équilibre familial est à nouveau bouleversé avec l’arrivée d’un petit frère inespéré.
» J’ai été comme un petit papa pour lui, j’ai changé ses couches, je l’ai accompagné à des réunions de classe… Onze ans, c’est une grande différence d’âge, et je pense que ça a été plus difficile pour lui que pour moi. » Forcément, les comparaisons avec ce grand frère accompli, destiné à un avenir brillant dès son plus jeune âge, ne sont pas faciles, et Steven Laureys en a bien conscience. Si son petit frère a choisi quant à lui de suivre une voie artistique, il ne trouve pas leurs carrières respectives si éloignées que ça, soulignant que la science demande aussi énormément de créativité. » Aujourd’hui, il vit près de Namur et je trouve qu’on ne se voit pas assez. Mais j’ai quatre enfants, le cinquième est en route, et je veux être un bon mari, un bon papa, un bon médecin, un bon chef de labo… J’ai plusieurs casquettes, et ce n’est pas toujours facile de jongler. »
Un quotidien à mille à l’heure, à mille lieues aussi de celui de ses parents, dont il confie avoir toujours su qu’il ne vivrait pas leur vie. Même si ses ambitions n’ont pas toujours été encouragées : à l’école primaire, » une école ancienne méthode où on pratiquait des punitions corporelles « , il fait l’erreur de répondre » médecin » à un prof qui demande à la classe ce qu’ils veulent devenir plus tard. Et se voit rétorquer aussi sec qu’aucun élève de sa classe n’ira à l’université. » C’est là que j’ai appris que la motivation était plus forte que tout. » Une leçon qui allait lui être précieuse au gré des années.
ÉPISODE 2 – Cinquante nuances de gris
Comment un » bon Flamand catholique « , ainsi qu’il se décrit, finit-il par rejeter la religion et choisir de s’inscrire à la VUB ? Parce que ses interrogations sont restées sans réponses. » Je me posais beaucoup de questions au collège, sur mon futur, mais aussi de manière plus vaste, sur ce qu’on faisait là. A un moment, mon prof de religion en a eu marre de mes questions, il m’a dit : « Tu te tais, c’est comme ça, les voies de Dieu sont impénétrables ». Pour moi, cette réponse était inacceptable. Je m’étais d’abord inscrit à la KULeuven, la meilleure université du pays, mais j’ai fait le choix très conscient d’aller dans une université athée (NDLR : la VUB) qui rejette tous les dogmes et remet tout en question en permanence, et ça m’a beaucoup plu. » D’ailleurs, aujourd’hui encore, il est le premier à rejeter les dogmes qu’on voudrait lui imposer, à commencer par la croyance que lui-même est forcément un si brillant cerveau, d’une intelligence rare.
» Jacques Brel disait que le talent, c’est de vouloir faire quelque chose. Moi, je ne pense pas être particulièrement intelligent, j’ai une intelligence pragmatique de paysan, comme mon papa l’était. » Et de souligner à quel point ses parents ont été formidables, l’ayant toujours soutenu » bien que n’ayant pas les moyens de l’aider « . Si aujourd’hui, Steven Laureys s’inquiète et affirme ne surtout pas vouloir que ses enfants deviennent des fils à papa, lui lance en riant qu’avec un père qui a arrêté l’école à 13 ans, cela n’a pas été difficile de dépasser son record. Même si le chemin vers la réussite n’a pas été un long fleuve tranquille. » Au collège, je n’étais pas exactement le premier de la classe, parce que c’était « cool » de ne pas travailler, mais à l’université, je savais que je n’avais pas de deuxième chance : j’avais une bourse, et si je doublais, je la perdais. Quand on passait en voiture devant l’usine près de la maison, mon père me disait : « Il n’y a pas de souci, si tu rates, tu peux travailler là ». Ça m’a motivé à bien étudier. »
S’il fait son baptême étudiant, Steven Laureys ne fait pas pour autant la fête tous les week-ends, confie devoir beaucoup travailler pour rattraper son retard dans certaines matières et lutter en permanence contre une certaine tendance à la distraction. Qui lui a notamment valu d’arriver trois heures en retard pour un examen de physique qui n’en durait que quatre. » Quand j’étais petit, j’oubliais beaucoup de choses, et je me faisais gronder, mais aujourd’hui, c’est facile, on se dit juste que je suis le cliché du professeur distrait. C’est mon côté nonchalant. » Nonchalant, peut-être, mais pas en toutes circonstances : la seule seconde session de sa vie, en physiologie, s’est soldée par l’arrivée de la sécurité pour le faire sortir du bureau du prof, contre l’injustice duquel il s’offusquait. » J’ai toujours eu ce côté pas brillant, distrait, rebelle, mais quand il fallait travailler, je savais rester derrière mon bureau et fournir le travail nécessaire pour avoir des grades. Je n’étais pas le meilleur, à l’époque, personne n’aurait dit que j’étais extrêmement brillant, j’ai dû beaucoup étudier pour y arriver. »
Car le jeune Steven Laureys ne veut pas simplement être médecin, il vise la spécialisation, mais aussi et surtout la recherche ; les chercheurs constituant pour lui l’élite de l’intelligence. C’est ainsi qu’il se retrouve à conjuguer spécialisation en neurologie et recherche en laboratoire, un quotidien prenant qu’il décrit lui-même comme schizophrène, entre opération des rats le matin et visite des patients l’après-midi. En dernière année, son chef de service l’envoie à Liège, où il ne pense rester qu’un an, et où il travaille toujours aujourd’hui. Le coma ? Pas de hasard, mais bien un prolongement de son côté rebelle et des questionnements de l’adolescence : la frustration de ne pas comprendre ce qui se passe dans le cerveau d’un comateux, et l’envie de remettre en question les vérités établies. Même si la recherche est une maîtresse capricieuse et imprévisible, particulièrement dans le domaine choisi par Steven Laureys. » On parle beaucoup de faux espoirs, du fait qu’il ne faut pas en donner aux patients, mais il y a aussi de faux désespoirs, et c’est important d’en parler. Quand j’ai commencé mes recherches dans les années 1990, la recherche sur le coma était un peu comateuse elle-même, et on m’a reproché de venir bouleverser tout ça, mais c’est important : on a considéré énormément de gens comme étant dans un état végétatif permanent, alors qu’ils pouvaient récupérer. Je déteste ce terme d’état végétatif, c’est horrible, on ne compare pas les êtres humains à des plantes. » Même si parfois, cela complique ses recherches.
Là où certains confrères dédient leur carrière à un but précis, Steven Laureys, lui, refuse de se laisser enfermer et fait preuve d’une extrême prudence quant à la définition de son travail. Après tout, Christophe Colomb n’a-t-il pas affirmé à qui voulait l’entendre qu’il mettait le cap sur les Indes, qu’il n’aura finalement jamais rejointes, découvrant plutôt l’Amérique au passage ? » Je pense que c’est très important d’avoir un rêve. En tant que capitaine du navire, je dois identifier le cap, mais aussi laisser à mon équipe la liberté de chercher. On cherche quelque chose et on trouve autre chose, c’est difficile à accepter et à promouvoir. Le FNRS et les institutions européennes devraient plus s’inspirer des Etats-Unis et financer des personnes plutôt que des projets. » Toujours ce côté rebelle, qui ne l’empêche pas de se conformer aux règles, et d’être devenu, de son propre aveu, excellent dans l’art de rédiger des demandes de financement qui disent aux organismes concernés précisément ce qu’ils veulent entendre.
» In fine, l’objectif de nos recherches est de comprendre la conscience humaine, mais ça va très loin. Il faut que les politiques et les organismes de financement arrêtent de demander à quoi ça va leur servir de financer la recherche, parce que la vérité, c’est qu’on ne sait pas avant d’avoir trouvé à quoi ça sert, par contre, on constate que chaque euro investi dans la recherche revient. » Parce que les vrais chercheurs ne sont jamais, selon lui, que des explorateurs de l’inconnu, que quasi toutes les grandes découvertes dont on se souvient aujourd’hui n’étaient pas planifiées, mais aussi et surtout parce qu’à l’heure actuelle, » la matière première de la Wallonie, ce n’est plus le charbon ou le métal, c’est la matière grise « .
D’un gris nuancé, ainsi que l’ont démontré les travaux de Steven Laureys, qui affirme dans un sourire avoir rejeté l’erreur historique voulant que la conscience, ce soit tout ou rien, et avoir prouvé plutôt qu’il y avait » cinquante nuances de gris « . Un gris parfois nébuleux, aux allures de brouillard, dont émergent des découvertes majeures pour qui a la persistance nécessaire. » Je suis fier d’avoir participé à prouver que c’était faux qu’on ne pouvait rien faire pour les patients dits « végétatifs ». Certes, le diagnostic est difficile, mais ce sont des personnes qui méritent des soins et dont l’état peut s’améliorer. » Autre dogme rejeté par Steven Laureys et son équipe ? L’idée persistante selon laquelle la conscience était partout et nulle part à la fois, et était donc impossible à déceler dans le cerveau. Faux : on a identifié aujourd’hui deux réseaux de la conscience, la conscience perceptuelle et la conscience de soi. Une découverte importante du point de vue scientifique, traduite vers la clinique par l’équipe du Coma Science Group, dont le professeur Laureys est à la tête au sein du centre de recherche Giga de l’ULiège. Accessoirement, il vient également de créer le Centre du cerveau au CHU de Liège.
» C’est un travail d’équipe, c’est moi qu’on interviewe, mais il y a toute une équipe qui travaille derrière « , ainsi qu’il aime à le rappeler. Une équipe qui lui est dévouée, comme le raconte la docteure Charlotte Martial, une chercheuse en charge des études sur les expériences de mort imminente au Coma Science Group. » C’est un boss très inspirant, hypercurieux, intéressé par beaucoup de choses, surtout par les thématiques moins étudiées. Il est très dynamique, il saute sur toutes les occasions qui se présentent, et trouve du positif dans tout ce qu’on lui propose et donc souvent ça amène d’autres opportunités. C’est particulier, on ne retrouve pas ça chez tous les chercheurs. » Atypique, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans sa manière de procéder à ses recherches, mais aussi dans sa gestion des médias : habitué aux spotlights depuis la remise de son prix Francqui, il aurait pu en profiter pour maîtriser la langue de bois. Il n’en est rien, la sienne serait plutôt bien pendue, et il s’exprime avec véhémence sur les sujets qui lui tiennent à coeur. Quitte à froisser quelques plumes au passage.
ÉPISODE 3 – Jusqu’à la moëlle
Lors des premiers entretiens téléphoniques en vue de ce reportage, les dernières élections fédérales sont encore fraîches dans les consciences. Bien sûr, l’angle est facile, mais impossible de ne pas lui demander à lui, le Flamand établi de longue date à Liège, ce qu’il en pense. L’occasion pour lui de revenir sur sa jeunesse à la frontière linguistique, et ses copains membres du Taal Aktie Komitee, opposés aux francophones. Mais aussi de ses visites à la capitale, en tant que fils de fermier flamand, traité comme un paysan par les Bruxellois. » Personne ne peut effacer le mépris auquel j’ai dû faire face parce que je parlais flamand. A l’époque, j’avais même un autocollant « Je suis Flamand et j’en suis fier », ce qui est complètement con. » Peut-être, mais quarante ans plus tard, la question de l’identité et des langues auxquelles elle se rattache continue de le préoccuper. Parce qu’il constate avec inquiétude que la Flandre, comme la Belgique, est en plein repli sur elle-même. Mais aussi parce qu’en vivant à Liège, il est confronté quotidiennement à la barrière de la langue.
» Si je regarde mes équivalents en Wallonie, je constate qu’ils ne parlent pas le néerlandais, tout comme certains ministres d’ailleurs, et je trouve ça honteux. J’en ai parlé avec le roi Philippe, qui est d’accord avec moi : on aurait dû, et on peut toujours, décider d’investir vraiment dans l’apprentissage des trois langues nationales. La Belgique est un artefact de l’histoire, et pour un pays harmonieux, il aurait fallu imposer le bilinguisme. » Faute de décisions gouvernementales en ce sens, la mesure est d’application dans la famille Laureys, où le petit dernier de 2 ans seulement est déjà bilingue, tandis que sa fille de 20 ans parle cinq langues. » Ce sont les erreurs historiques du point de vue du bilinguisme qui font que néerlandophones et francophones sont devenus étrangers. Quand vous avez le Vlaams Belang et la N-VA en Flandre qui disent que tout est de la faute des Wallons, c’est facile comme message, alors ils récoltent beaucoup de voix. Mais en Wallonie, ce n’est pas mieux : au début, quand je suis arrivé à Liège, la secrétaire riait devant moi en disant que je parlais vraiment comme un Flamand. On peut en rire, mais c’est triste fondamentalement qu’il y ait ce mépris réciproque. »
Un sentiment que Steven Laureys veille à éviter à tout prix : s’il déplore les résultats des élections, il tient à souligner que déclarer que tous ceux qui ont voté pour les partis nationalistes sont des imbéciles, c’est » une insulte à la démocratie « . Et d’ajouter que quelque part, nous sommes tous responsables de ces votes.
Enfant d’ouvrier ayant atteint les plus hautes sphères intellectuelles, Steven Laureys porte un regard critique sur la situation politique actuelle en Wallonie, tout particulièrement ses implications sur l’enseignement. Se décrivant comme un » libéral solidaire et écolo « , il regrette que la politique socialiste installée de longue date en Wallonie ait impacté négativement l’initiative personnelle, même s’il lui reconnaît de belles avancées solidaires. » Je suis allé dans une école à l’ancienne, où on disait clairement qui était le premier. Dans la classe de mes enfants, on osait à peine féliciter les meilleurs élèves. Mais en parallèle, on pousse les jeunes à faire des études, alors que c’est un fait : tout le monde n’est pas fait pour aller à l’université. L’école doit attiser la motivation et la curiosité de ses élèves, et pour ça, la société doit beaucoup plus valoriser les enseignants, parce que c’est un poste très important, mais incroyablement sous-apprécié « . Et tant pis si ses opinions bien tranchées lui attirent le courroux de certains pairs…
ÉPISODE 4 – La tête dure
Pour Steven Laureys, s’il dérange certains de ses confrères, la raison est triple. D’abord, l’essence même de ses recherches, centrées sur des patients » polyhandicapés, négligés par la société et la médecine. Certains peuvent porter un jugement de valeur et se dire « à quoi bon » « . Autre grief : le caractère évanescent de la conscience, et le fait que » certaines sciences se permettent d’être au-dessus des autres « . Et puis forcément, sa présence médiatique, inévitable, et pas au goût de tout le monde : » Ça provoque peut-être de la jalousie et de l’envie, d’autant qu’avec la rédaction de mes livres grand public, j’essaie de toucher le plus grand nombre. » Lui affirme ressentir une obligation de dire aux médias ce qu’il fait avec de l’argent public. Même si, ce n’est pas toujours apprécié, ni sans danger. » Il y a de moins en moins de médias nuancés, il faut être sensationnel, sexy et simple pour faire vendre, et on perd toutes les nuances. »
Comme en 2009, lorsque l’affaire Rom Houben fait la Une partout dans le monde : resté vingt-trois ans dans le coma, ce Limbourgeois aurait toujours été conscient, pire, capable de communiquer. Sauf qu’en réalité, la communication en question était facilitée par son accompagnatrice, et l’équipe du Coma Science Group s’est retrouvée bien malgré elle associée à une polémique d’ampleur internationale. » Il y a eu une première vague où j’étais le « médecin miracle », et puis une autre où j’ai été accusé d’être un imposteur. C’est très compliqué, parce qu’il a fallu protéger la famille de Rom, et puis encaisser moi-même toutes les critiques, parce que c’est ça le rôle du chef aussi. » » C’est quelqu’un qui polarise beaucoup, il ne suscite jamais de réponse tiède, sourit la docteure Charlotte Martial. Souvent ce qui est chouette aussi c’est que peu importe où on va, les gens connaissent son nom, c’est impressionnant. » Mais pas forcément toujours facile à vivre pour autant.
» Le milieu académique est extrêmement dur, et pour moi, ce n’est pas nécessaire « , déplore Steven Laureys. Même chose pour le milieu hospitalier, dont la structure pyramidale rigide est loin de lui plaire. » Il y a une structure très napoléonienne, avec un chef tout-puissant au-dessus de tous, je trouve ça dommage. Il peut y avoir beaucoup d’arrogance de la part des médecins, qui ont tendance à se prendre pour Dieu, et sont parfois désagréables avec leurs patients, mais pour moi, c’est inexcusable. Le médecin est un soignant comme un autre, qui est pressé comme un citron pendant sa formation, certes, mais de là à prendre sa revanche une fois diplômé, c’est à éviter. »
ÉPISODE 5 – Etre heureux
» Vous méditez ? « . Dans son spacieux bureau du Giga, où les photos de familles voisinent avec les posters de congrès scientifiques, et où le vélo avec lequel il se rend au travail est rangé dans un coin, Steven Laureys fait preuve d’un enthousiasme communicatif. C’est qu’après le succès commercial et critique de son premier ouvrage, Un si brillant cerveau, il propose son deuxième livre en français, La Méditation, c’est bon pour le cerveau. Un livre de vulgarisation, écrit » pour que les copines de ma mère et de ma fille le comprennent « , afin de vanter les vertus d’une discipline » trop souvent vue comme mystique et méprisée, alors qu’elle est excellente pour le cerveau « . Et bien plus encore : pour lui, méditer s’est avéré salutaire à une période très compliquée de sa vie. » Après ma triste séparation en 2012, je me suis retrouvé père célibataire de trois enfants. Je me suis retrouvé à un moment de grande crise personnelle, j’ai commencé à fumer alors que je suis asthmatique, je ressassais le passé, j’avais peur du futur, je m’anesthésiais à l’aide d’alcool, de somnifères et d’antidépresseurs… Jusqu’au jour où j’en ai eu assez, et où j’ai réalisé que pour être un père inspirant pour mes enfants, je ne pouvais pas me réfugier dans les paradis artificiels. »
Commence alors l’apprentissage du yoga, une révélation, et puis en 2013, c’est la rencontre avec le moine bouddhiste Matthieu Ricard, qui l’initie aux bienfaits de la méditation. » En tant que médecins, on nous apprend à prescrire des médicaments, mais on ne nous apprend pas le rôle incroyable que la méditation peut avoir sur le bien-être et la santé mentale. » Une discipline thérapeutique, que Steven Laureys prescrit aujourd’hui régulièrement à ses patients, et tente de pratiquer avec régularité. Même si, » comme le dit ma femme, c’est plus facile pour Matthieu d’être zen, parce qu’il n’a pas d’enfants en bas âge et qu’il ne doit pas faire ses courses au Colruyt. » Heureux papa de quatre enfants, avec un cinquième prochainement, Steven Laureys est débordé, certes, parfois même dépassé, mais fondamentalement heureux. Grâce au succès professionnel, bien sûr, mais pas uniquement. » C’est quoi la réussite ? Est-ce que j’ai réussi ma vie ? J’ai une certaine notoriété, bien sûr, mais ça ne m’a pas empêché d’être très malheureux à une époque. Je l’ai compris aujourd’hui : réussir sa vie, c’est être heureux. »
Par Kathleen Wuyard.
Appel à témoins
Afin de continuer ses recherches sur les états de conscience modifiée, l’équipe de Steven Laureys est à la recherche de personnes ayant vécu une expérience de mort imminente. Un phénomène qui se caractérise notamment par une décorporation, le fait de voir son corps de l’extérieur, d’apercevoir une lumière aussi. Des expériences qui peuvent être vécues dans des situations où la vie n’est pas en danger, lors du sommeil par exemple, mais aussi en cas de commotion ou de prise de drogues. C’est votre cas ? Envoyez un mail à : nde@uliege.be
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