Lettre de Fatima Zibouh, doctorante en sciences politiques et sociales, à Paul Magnette: « Faites de la démocratie participative le fil conducteur d’une solution politique partagée »
Cher Monsieur Magnette,
Cela fait quelques mois que nous sommes repartis pour des longues discussions en vue de former notre prochain gouvernement à l’échelle fédérale.
Le scénario se répète avec surenchères verbales et exclusives politiques, en ramenant le débat sur une coalition avec tel ou tel parti. Le citoyen assiste résigné, lassé, parfois médusé face cette cacophonie où chacun est appelé à »prendre ses responsabilités » pour créer un gouvernement fédéral qui semble être inextricable. Les conséquences sont nombreuses et le gouvernement actuel, en affaire courante, alourdit chaque jour la facture du citoyen, sans parler de l’image du pays dans une Europe qui se cherche aussi. A chaque élection législative, c’est la même chanson et il va sans dire que le script risque de se répéter de façon encore plus aigüe lors des prochains scrutins. Dans cette Belgique qui se polarise et qui se clive entre le nord et le sud du pays, sans tenir compte de la réalité spécifique de Bruxelles : Comment anticiper ces risques ? Comment gouverner un pays où les protagonistes de la bonne gouvernance se regardent en chiens de faïence ?
Il est peut-être temps de questionner notre modèle de démocratie représentative qui permet de confier aux élus, une fois les résultats des urnes connus, les commandes de l’Etat… surtout si ces derniers n’y arrivent plus ! Il va sans dire que ce modèle présente des limites car, comme dans plusieurs pays, la formation du gouvernement a de plus en plus de difficultés à se former. A cela s’ajoutent les questions liées à la « représentativité » de nos démocraties lorsque l’on sait par exemple que lors des dernières élections, près de deux électeurs sur dix n’ont pas été voté : soit 1,4 million d’électeurs, ce qui constituerait à lui seul le premier parti de notre pays ! Ce chiffre est par ailleurs en augmentation constante à chaque élection… ce qui doit nous interroger. Ajoutons à ce constat ceux qui ne disposent pas du droit de vote. A Bruxelles, un habitant sur trois est concerné. Dans un contexte où la déconnexion – voire la méfiance – est grandissante entre les citoyens et les élus (même si les marches pour le climat, le mouvement contre les violences faites aux femmes « Me Too » et les gilets jaunes mettent en avant des formes originales de mobilisation citoyenne), il est temps de saisir cette occasion des négociations en vue d’un gouvernement fédéral pour réfléchir à la façon dont on peut mieux impliquer les citoyens, les citoyennes mais aussi les acteurs de la société civile. Bref, il s’agit de réoxygéner un modèle de démocratie, vers plus d’interaction, vers plus de délibération, vers plus de participation.
Ce nouveau paradigme va donc à l’encontre de la proposition d’un gouvernement composé d’experts issus de différents secteurs, voire même d’un gouvernement coquelicot avec quelques partis majoritaires et des acteurs de la société civile. Non, il s’agit d’aller plus loin dans l’innovation démocratique en créant un modèle alternatif de gouvernance qui tient mieux compte de la voix des citoyens et des citoyennes. Aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de demander l’avis des citoyens tous les cinq ans par le biais des urnes, il faut créer des espaces d’échanges et de rencontres pour mieux les impliquer dans les prises de décisions publiques. Ils font partie de la solution. Comment ? Il y a plusieurs pistes qui ont été proposées notamment à travers le mécanisme du tirage au sort. Certains proposaient même que le Sénat devienne cette antichambre délibérative, une agora citoyenne, pour discuter des enjeux tels que le climat, les pensions ou l’immigration. Pourquoi pas ? Mais il faut aller plus loin que le tirage au sort pour veiller à ce que ce modèle soit le plus inclusif possible et tenir compte des voix des citoyens qui viennent, par exemple, de milieux populaires ou des plus jeunes… leur voix compte aussi et ils ne sont pas toujours pris en considération. Remettre à l’ordre du jour de l’agenda politique, la mise en place de la circonscription fédérale pourrait aussi permettre d’avoir un espace pour créer un lien entre tous les citoyens du pays en traçant un horizon commun, car ce qui nous manque profondément, c’est aussi cette vision commune dans cet espace partagé qu’est la Belgique. On peut encore réfléchir à d’autres pistes innovantes en matière de démocratie participative pour renforcer l’efficacité et la légitimité de nos institutions. Les études montrent qu’investir dans l’inclusion et dans la diversité renforce le sens mais aussi les performances des entreprises. Ces résultats pourraient être partagés pour réfléchir une meilleure gouvernance pour notre pays.
Il y a huit ans, en novembre 2011, mille citoyens s’étaient réunis lors du G1000 pour réfléchir à l’avenir de leur pays dans un contexte où la Belgique battait à l’époque le record du monde d’absence de gouvernement. Ces citoyens ont apporté une véritable bouffée d’oxygène en permettant à leur façon de réenchanter la démocratie. J’ai pu voir de mes propres yeux les multiples conséquences positives de ce type de démarche, il faudrait pouvoir institutionnaliser cette innovation démocratique car plus que jamais, notre pays a besoin d’espace d’échanges et de discussions avec des citoyens jeunes, âgés, hommes et femmes, issus d’horizons sociaux et culturels divers pour renforcer une vision commune pour notre pays qui mérite d’aller au-delà de ces sempiternelles questions communautaires. Un destin partagé, une vision commune, une méthode participative pour une société à la fois plus unie, et plus inclusive. »
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