Alain Destexhe

Lettre aux « hébergeurs » (et à quelques collègues libéraux)

Alain Destexhe Ex-Sénateur

L’humanitaire et les droits de l’homme, je crois savoir ce que c’est. J’ai passé 12 ans à MSF dont quelques années comme bénévole. Comme médecin, j’ai sauvé des vies. Comme militant des droits de l’homme, j’ai dénoncé beaucoup de régimes. Mais après 12 ans, j’ai appris, comme Marcel Gauchet avant moi, que les droits de l’homme ne font pas une politique.

Et que les solutions humanitaristes des problèmes de la planète n’existent pas. J’ai même écrit un livre la dessus (L’humanitaire impossible ou deux siècles d’ambiguïtés) qui tentait de démontrer qu’avec les meilleures intentions, l’aide humanitaire pouvait parfois aggraver le problème qu’elle prétendait soulager. Après le génocide au Rwanda et la purification ethnique en Bosnie, pour rester cohérent, j’ai décidé de quitter Médecins Sans Frontières pour faire de la politique.

Instrumentalisation de la détresse des migrants

Aujourd’hui, ceux qui se disent vos porte-paroles sont choqués par la politique du Theo Francken et du gouvernement belge. Moi, je le suis par leurs manipulations sémantiques, leur instrumentalisation du malheur de pauvres migrants et leur non-respect de la loi, du droit et de la démocratie.

Regardons les faits. Le texte sur les visites domiciliaires, validé par le Conseil d’Etat est dans le « pipeline » législatif depuis beau temps. Il n’est pas lié au Parc Maximilien. Il s’adresse à ceux qui, en fin de parcours administratif et parfois judiciaire, reçoivent un ordre de quitter le territoire (OQT). Des textes similaires sont appliqués en France et dans d’autres pays européens. Les policiers ont mieux à faire que de rester des jours, des semaines ou des mois devant une porte close avant que la personne en question quitte le lieu où elle habite pour passer de l’espace privé à l’espace public. Cela n’a pas davantage de sens d’arrêter au hasard un clandestin dans la rue lorsqu’on sait où il vit. Mais peut-être dois-je comprendre que ce sont ces OQT eux-mêmes que vous contestez ? Que vous contestez le droit de notre État de décider qui nous voulons ou pouvons accueillir ?

Les migrants que vous hébergez peuvent être pris immédiatement en charge par l’État et éviter la faim et le froid en entrant dans la procédure d’asile. Mais la plupart ne le font pas, parce qu’ils souhaitent se rendre en Angleterre, ce qui est illégal aux yeux du droit britannique, belge et européen. Par votre action, vous encouragez donc l’immigration illégale.

Le respect des lois de pays démocratiques

Le peuple et le Parlement britannique ont exprimé clairement leur volonté de stopper cette immigration illégale. Leur contestez-vous ce droit, décidé par l’une des plus vieilles démocraties du monde ? Qui êtes-vous pour vous substituer à ce peuple et décider à sa place ? En soulageant votre conscience au prix de quelques nuits d’hébergement, vous laissez ces migrants en danger dans la précarité et aux mains de filières criminelles dont vous vous faites les complices objectifs plutôt que de respecter les lois de nos pays démocratiques.

Enfin, le bien mal nommé phénomène « d’appel d’air » existe vraiment. Combien de candidats au départ vont-ils se mettre en marche, au péril de leur vie, suite à vos actions, qui leur confirment à tort que l’Eldorado européen est à leur portée ?

Assez d’hypocrisie !

Certes, je ne doute pas que nombre d’entre vous sont animés par un sentiment spontané de générosité, mais assez de mensonges et d’hypocrisie : sous le masque de l’humanitarisme et des droits de l’Homme, c’est évidemment un changement de politique qui est réclamé. Vos porte-paroles veulent ouvrir les frontières de la Belgique et de l’Europe — davantage qu’elles ne le sont déjà… — encourager encore un peu plus l’immigration, et refuser à nos États le droit de décider dans le respect de la démocratie et du droit international qui est le bienvenu chez nous et qui ne l’est pas. Ils remettent ainsi en cause la légitimité démocratique du Gouvernement, ainsi que l’ensemble de la politique d’asile et d’immigration de l’Union européenne. Ils feraient mieux de le dire clairement et de se présenter aux élections avec un tel programme ou d’appeler à voter pour les partis de gauche qui les soutiennent. Ce serait moins hypocrite et plus respectueux des règles élémentaires la démocratie, dont les règles s’écrivent au Parlement, et non dans la rue.

Votre mouvement est qualifié de citoyen, un terme repris sans réserve par les médias. C’est pourtant tout l’inverse. La citoyenneté permet à un individu d’être reconnu comme membre d’une société et de participer à la vie publique, pas de contourner des lois légitimes votées par le Parlement, ni de se substituer à la représentation nationale, à la volonté populaire et à des lois qui, quoi que vous en disiez, respectent parfaitement les droits de l’Homme.

Les derniers soubresauts de l’hégémonie culturelle de la gauche

Nous assistons probablement aux derniers soubresauts de l’hégémonie culturelle de la gauche. La technique est toujours la même. Mobiliser médias, académiques, « société civile », écrivains et artistes pour intimider, menacer et dénoncer la politique gouvernementale comme attentatoire aux valeurs, non conforme aux droits de l’Homme et, à la limite, proto-fasciste. A cet égard, la carte blanche de 72 « politologues » est une caricature du genre, bien peu rigoureuse de la « science politique » que j’ai également étudiée à Paris. Avec l’emploi de termes comme « rafles », « l’armée de l’ombre », « les Justes », on tisse un amalgame odieux entre les migrants et les Juifs condamnés à mort, ainsi qu’entre le Gouvernement belge et le régime nazi. Qu’il doit être bon de se sentir faisant partie du camp du Bien, conforté par les médias et de se comparer aux (vrais) résistants face à l’abominable duo Francken/Michel ! En termes narcissiques, c’est – j’en conviens – imbattable.

Ce type de chantage, qui a si bien fonctionné depuis la Seconde guerre mondiale, opère de moins en moins avec le réveil des peuples et le courage d’intellectuels qui osent, enfin, braver le politiquement correct.

Alain DESTEXHE

Député bruxellois – Sénateur MR

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire