Claude Demelenne
Lettre à nos amis flamands : » les francophones ont peur. Rassurez-les »
Les francophones font un cauchemar. La Flandre scinde la Sécu, casse la solidarité et part avec la caisse. Chers amis flamands, nous avons peur de l’après-Belgique. Rassurez-nous.
Le nationalisme flamand n’est pas sympathique aux yeux des francophones. Pire, il fait peur. Il est urgent de vaincre la peur. Amis flamands, trouvez les mots qui apaisent. Pour certains francophones, les flamingants veulent asphyxier la Wallonie. Annexer Bruxelles. Saccager la Sécu. Entourer la Flandre de miradors et de fil de fer barbelés. Coiffer leurs ministres de casques à pointe. Manger tout cru les petits enfants wallons. Ce n’est évidemment pas sérieux. La plupart des Flamands ne se reconnaissent pas du tout dans ce scénario de film d’horreur.
Vos choix sont respectables
Les francophones craignent des lendemains qui déchantent, dans l’après-Belgique. Amis flamands, rassurez-les. Alors, peut-être, les francophones comprendront-ils que les revendications des flamingants ne sont pas honteuses : une Flandre autonome, des réformes économiques ultra-libérales, un tour de vis sécuritaire, une politique migratoire plus restrictive, une petite louche de climato-scepticisme… Vos choix ne sont pas les nôtres. Mais ils sont respectables. Ils ne font pas de vous le diable. Même s’ils signifient l’évaporation de la Belgique. Ce ne sera pas la fin du monde. Seulement l’avènement de deux démocraties, certes différentes, mais qui vivront côte à côte, en bonne harmonie.
Parfois, les francophones ont raison d’avoir peur. Les élus du Vlaams Belang sont des marchands de haine. Des extrémistes parmi les plus dangereux d’Europe. Les francophones, qui n’ont aucun élu d’extrême droite, sont choqués par la percée du Vlaams Belang, désormais second parti de Flandre. La perspective de voir le Belang, très populaire chez les jeunes, accéder tôt ou tard au statut de parti de gouvernement – avec la discrète bienveillance de la N-VA – fait flipper les francophones.
La Flandre reste plurielle
Au lendemain des élections du 26 mai, j’ai publié une chronique sur le site du ‘vif.be’ dont le titre était : « Si l’extrême droite arrive au pouvoir en Flandre, je fais mes valises ». J’ajoutais que, comme Liégeois vivant en Brabant flamand, je me sentais de moins en moins à l’aise dans la Flandre nationaliste. J’ai reçu de nombreux témoignages de francophones, encore plus inquiets que moi, qui me conseillaient de détaler dès à présent comme un lapin, hors de Flandre. Pour ces francophones paniqués, la Flandre, c’est une horreur. Je leur ai expliqué qu’ils se trompaient. La Flandre reste plurielle, la grande majorité des Flamands, en ce compris les flamingants, ne considèrent pas les francophones comme leurs ennemis. Quoi qu’il arrive demain, je resterai solidaire de mes amis flamands – il y en a beaucoup – qui résistent au nationalisme intolérant.
Parfois, la peur des francophones est excessive. La N-VA n’est pas un parti d’extrême droite, contrairement à ce que beaucoup pensent, au Sud du pays. Trop souvent, c’est le règne de la caricature. La Flandre est décrite comme mesquine, chauvine, repliée sur elle-même. Cette description est simpliste. La N-VA n’est pas toute la Flandre. La N-VA, ce n’est pas seulement la droite dure. Certes, il y a dans ses rangs des personnalités – à commencer par Jan Jambon – qui dans leur jeunesse ont flirté avec la droite extrême. Tout le monde a le droit de se tromper. C’est aussi le cas dans des partis de gauche radicale, comme le PTB, où certains ont défendu les pires dictatures staliniennes. Tout le monde a le droit d’évoluer.
Arrogance de nouveaux riches
Il fut un temps où la bourgeoisie francophone dominait les Flamands. La Belgique était, pour eux, inhospitalière. Niés dans leur identité, humiliés parfois, ils se sont révoltés. Le mouvement flamand a mené, et gagné, de justes combats. Hier les Flamands craignaient d’être confinés dans un statut de citoyens de seconde zone. Aujourd’hui, la peur a changé de camp. Les francophones craignent à leur tour d’être malmenés par les flamingants, dont certains font preuve d’une arrogance de nouveaux riches. Animés par une volonté de revanche, ils rêvent d’une Flandre qui, délestée du « boulet wallon », deviendrait l’une des entités les plus performantes d’Europe.
Indépendance « soft »
Alors oui, les francophones ont peur. Le scénario qu’ils craignent est le suivant : la Flandre ne déclarera jamais son indépendance, fantasmée par moins de 20% de flamingants. La crise catalane a montré que cette indépendance est pratiquement impossible. L’Union européenne ne l’acceptera pas. Par ailleurs, les Flamands perdront Bruxelles, ce qui est inconcevable, même pour les nationalistes romantiques.
Exit donc, l’indépendance pure et dure. Bonjour l’indépendance « soft ». Un scénario où les francophones seront roulés comme dans un bois. Un peu de politique fiction : la Flandre exige – et obtient – la scission des dernières compétences fédérales, la Sécurité sociale, la SNCB, la Justice, l’Intérieur, la politique migratoire… La Belgique subsiste, mais comme une coquille vide. Les flamingants l’emportent sur toute la ligne et rompent la solidarité avec le Sud du pays.
Les flamingants touchent le « jackpot ». Ils peuvent enfin gérer eux-mêmes leurs petites affaires. Et ils gardent la carte de visite belge – et bruxelloise – , bien utile notamment sur la scène internationale. Les flamingants obtiennent tous les avantages de l’indépendance (ils sont « maîtres chez eux » et gardent leur fric pour eux), sans en subir les inconvénients (la perte de Bruxelles et la mise au banc de l’Union européenne). Les francophones n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Dans cette Belgique en carton pâte, où la solidarité entre régions appartient au passé, le déclin wallon est inscrit dans les astres.
Les francophones ne se feront pas hara-kiri
Amis flamands, les résultats des récentes élections ont montré que beaucoup d’entre vous souhaitent une Flandre plus à droite, plus identitaire, plus sécuritaire. Vos légitimes aspirations ne peuvent se réaliser au détriment des francophones. Dans un avenir prévisible, nous devrons continuer à vivre dans un magasin belge avec une jolie vitrine, mais de plus en plus vide à l’intérieur. Cette cohabitation sera compliquée si certains francophones caricaturent la Flandre en une petite terre pré-fasciste.
La Flandre, c’est bien autre chose que quelques dizaines (quand même!) de parlementaires Vlaams Belang. Mais la cohabitation dans la maison Belgique sera impossible si les flamingants exigent des francophones qu’ils se fassent hara-kiri. Les francophones ont peur du nouveau visage de la Flandre nationaliste. Ils craignent que la Flandre scinde la Sécu, casse la solidarité et parte avec la caisse. Lors de la dernière réforme de l’Etat, les nationalistes ont remporté deux victoires : la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde et la régionalisation des allocations familiales. Si les flamingants ne rassurent pas les francophones, s’ils ne privilégient pas un nationalisme progressiste et inclusif, la maison Belgique tremblera sur ses bases. Même la vitrine volera en éclats. Il est à peu près sûr que personne n’y gagnera.
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