Montasser AlDe'emeh
« Les USA créent leurs propres ennemis : chaque bombe ne fait que renforcer l’État islamique »
« La décapitation du journaliste James Foley par un djihadiste britannique est un message clair de l’État islamique (EI) à l’Occident : ‘même dans une société libre et démocratique, les jeunes musulmans sont réceptifs à notre idéologie' », affirme Montasser AlDe’emeh, qui étudie la radicalisation islamique.
Enlevé en novembre 2012, James Foley a donné sa vie pour montrer au monde la souffrance du peuple syrien. La décapitation de Foley a définitivement enterré la révolution syrienne.
Après la révolte en Syrie, la population locale a attendu en vain une aide qui aurait pu mettre fin au carnage. Les Syriens attendent toujours le moment où les leaders du monde enterreront leurs intérêts stratégiques et prendront leurs responsabilités morales. On n’aurait jamais dû abandonner à son sort la population civile sans défense.
Dès le début des protestations, l’Occident s’est trouvé face à un choix primordial. Chasser Bachar el-Assad et briser ledit croissant chiite ou soutenir les groupes de rebelles syriens qui à long terme pourraient représenter un danger pour le maintien de l’État d’Israël.
La lutte a continué à cause de ce dilemme et l’Occident a perdu de vue le désespoir de nombreux Syriens privés de liberté. De plus en plus de musulmans ont perdu confiance en la communauté internationale, ce qui a augmenté le soutien en Occident aux hommes d’al-Baghdadi (le leader de l’EI).
La mauvaise politique des États-Unis
Foley n’était pas n’importe quel journaliste. Il prenait ses responsabilités pour aider les Syriens. « J’appelle mes amis, ma famille et les êtres que j’aime à s’opposer à mes véritables meurtriers, le gouvernement américain », avait déclaré Foley.
En 2003, les États-Unis ont attaqué l’Irak sous de faux prétextes. On n’a jamais trouvé d’armes de destruction massive ou de liens avec Al-Qaïda ou des milices djihadistes. Cependant, en réponse à l’invasion américaine, l’Irak est devenu un bastion de l’EI, le mouvement djihadiste le plus violent que le monde islamique ait jamais connu.
Il est clair que la politique étrangère américaine au Moyen-Orient a échoué. Avec ses drones lancés au Pakistan, en Afghanistan et au Yémen, les États-Unis n’ont fait que renforcer le mouvement djihadiste international.
Jamais encore les djihadistes n’avaient occupé autant de territoire. Ils peuvent d’ailleurs frapper l’Occident à tout moment. Pourtant, l’injustice au Moyen-Orient ne peut jamais justifier la dépersonnalisation, la déshumanisation et la décapitation d’un journaliste innocent.
Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses personnes croyaient que l’humanité avait retenu définitivement les leçons du passé. Pourtant, depuis lors des millions de personnes ont perdu la vie suite à de guerres injustes.
La déshumanisation de l’ennemi
L’État islamique traite ses ennemis de la même façon que les nazis traitaient les juifs. Lorsque les djihadistes capturent leurs victimes, ils commencent par les dépouiller de tout ce qui a trait à leur identité. Les victimes sont « bombardées » de paroles humiliantes et ils perdent même leurs noms. Elles sont également menacées de mort en permanence.
Les nazis voulaient fonder le troisième Reich, alors que l’EI désire rétablir le califat transfrontalier. Tous ceux qui s’y opposent sont considérés comme des obstacles qu’il faut éliminer. Les ennemis de l’État islamique ne sont plus considérés comme des personnes. Les djihadistes de l’EI déshumanisent leurs ennemis.
Après la dépersonnalisation et la déshumanisation, ils exécutent leurs victimes. Un jour, les nazis ont reçu l’ordre d’accélérer l’extermination de juifs dans un village pour assister à temps à la messe. Les membres de l’EI aussi assassinent les gens avant d’aller prier calmement. Après la décapitation de Foley, le djihadiste britannique s’est adressé au Dieu miséricordieux.
Comment est-ce possible ? Le bourreau a dressé une barrière entre l’acte atroce de décapiter Foley et son espace de vie personnel. Inconsciemment, ce djihadiste britannique s’est fragmenté en plusieurs parties. Cette séparation dans sa tête lui permet de tuer et de faire l’amour avec sa femme immédiatement après.
Le mois passé, je résidais à Alep auprès des djihadistes belges. Là aussi, j’ai remarqué que les djihadistes (les Britanniques aussi) faisaient des courses, étaient aimables avec leurs femmes et leurs enfants, tout en étant capables de tuer leurs adversaires au front.
Message à l’Occident
La décapitation de Foley envoie un message clair à l’Occident. L’EI désire montrer que même dans une société libre et démocratique les jeunes musulmans sont réceptifs à leur idéologie, comme le djihadiste élevé au Royaume-Uni qui a décapité Foley.
Les récents bombardements américains en Irak n’ont fait que renforcer le soutien à l’État islamique, notamment parmi des centaines de jeunes musulmans occidentaux qui éprouvaient déjà un sentiment anti-américain. Les États-Unis créent manifestement leurs propres ennemis.
Que souhaite l’État islamique ?
L’EI sait qu’une intervention américaine ne fera qu’augmenter le soutien à l’égard de son organisation. « Nous avons rétabli le califat pour faire en sorte que contrairement à l’Occident, vous puissiez vivre selon vos valeurs et normes. Mais voyez qui s’attaque à votre rêve. L’Occident vous opprime et lorsque vous émigrez, il bombarde vos maisons », diront-ils. C’est là la stratégie de l’EI: pousser les musulmans frustrés à bout jusqu’à ce qu’ils commettent un attentat à Bruxelles, Paris, Londres, Amsterdam, Berlin ou New York.
L’État islamique désire également attirer l’Occident dans le guêpier irakien et syrien pour le combattre. Ils pourront utiliser cet argument pour jeter encore plus d’huile sur le feu. « On vous massacre en Syrie depuis des années. Personne ne s’en soucie. Mais quand nous voulons vous protéger, nous sommes attaqués », diront-ils. Nous verrons un djihad armé très fort durant les dix années à venir à cause de l’échec de la politique étrangère, surtout celle des États-Unis.
Donnez leurs droits aux sunnites
Après le retrait des troupes américaines d’Irak, on n’a pas tenu compte des sunnites pour l’organisation administrative. Les sunnites se sont révoltés, mais ont également été abandonnés par l’Occident. Ces frustrations ont alimenté la montée de l’État islamique.
On n’arrivera jamais à arrêter l’État islamique (EI) en lâchant des bombes. Au contraire, chaque bombe qui tombe ne fera que les renforcer.
Il vaudrait mieux que l’Irak devienne une sorte de confédération composée de trois parties: une pour les Kurdes, une pour les sunnites et une pour les chiites. Après, les tribus sunnites d’Irak devront résoudre le problème.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici