Les trésors de l’Institut des sciences naturelles en péril (info Le Vif)
Vétuste et truffé d’amiante, le bâtiment scientifique de l’Institut des sciences naturelles sera «déshabillé» ou rasé. Inquiétudes sur le sort de son mobilier précieux et les conditions de stockage des collections pendant le chantier.
L’avenir du patrimoine de l’Institut royal des Sciences naturelles (IRSNB) se joue ces jours-ci. La direction de l’établissement fédéral et la Régie des bâtiments, gestionnaire immobilier de l’Etat, planchent sur le sort de l’immeuble de la rue Vautier (à côté du parc Léopold, du Parlement européen et de la chaussée de Wavre, à Bruxelles), lieu de travail de quelque 250 biologistes, taxonomistes, paléontologues, géologues, océanographes… Fin mars, il leur a été annoncé, lors d’une assemblée générale du personnel tenue en visioconférence, que le bâtiment, vétuste et truffé d’amiante, serait démoli. « A plusieurs reprises, la directrice a prononcé les mots strip off, ‘‘déshabiller’’ l’immeuble », confie l’une de nos sources internes. Un powerpoint diffusé ensuite sur l’intranet de l’institut (puis retiré) mentionne l’intention de construire un « nouveau bâtiment ».
Nous avons ici trente millions de spécimens, dont un grand nombre d’exemplaires d’animaux disparus de la surface de la Terre.
L’immeuble actuel est double : l’une des tours, appelée « la banane » en raison de son plan courbe, abrite, sur 13 étages, les bureaux vintage des scientifiques et leurs laboratoires. Inondés de lumière grâce à leurs hautes fenêtres, ils sont équipés d’armoires et autres meubles en bois d’essences précieuses, petits trésors de style art déco et moderniste.
L’autre bâtiment, recouvert d’une façade réalisée en 1958 – où est située l’actuelle entrée du musée des Sciences naturelles -, compte 17 niveaux, dont deux en sous-sol. Il regroupe les « conservatoires », où sont entreposées les collections de vertébrés, d’insectes, de coquillages… « Nous avons ici plus de 30 millions de spécimens, dont un grand nombre d’exemplaires d’animaux disparus de la surface de la Terre », signale Jeroen Venderickx, technicien scientifique et notre guide dans les coulisses de l’institution.
Une architecture totale
Non accessibles au public, les deux immeubles, conçus dans les années 1930 par l’architecte Lucien De Vestel et achevés après la Seconde Guerre mondiale, sont reliés par un escalier monumental en marbre rouge du Hainaut, roche utilisée aussi dans le château de Versailles.
« Architecte de génie, De Vestel s’est occupé de l’ensemble du projet, du gros œuvre au parachèvement et au mobilier, explique le biologiste Olivier Pauwels, responsable des collections de vertébrés récents. Tout a été pensé avec le souci du détail : le design des poignées de portes, la forme originale des tiroirs, les porte-manteaux ingénieux, le carrelage élégant… Le mobilier a été dessiné de sorte qu’il n’y ait pas d’espaces perdus. La combinaison du bois noble et du métal donne tout son charme au lieu. C’est un plaisir de travailler dans de telles pièces, reflets d’une architecture totale et du savoir-faire artisanal belge. »
Non classés, ces espaces sont-ils condamnés ? « On évoque un début de chantier à l’horizon 2026 », nous glisse l’une de nos sources, précédé d’un déménagement du personnel et des collections en 2025. Les salles d’exposition ne seront pas touchées par ces grands travaux. L’accès au musée et à ses fameux squelettes d’iguanodons se fera par une nouvelle entrée, le hall actuel étant situé juste en dessous des conservatoires. Des scientifiques s’inquiètent du sort du mobilier art déco et moderniste. En 2017, deux étages de bureaux, le 10e et le 12e, ont été entièrement rénovés. Les meubles et la décoration d’origine sont passés à la trappe. Les couloirs ressemblent désormais à ceux d’un hôpital.
Un déménagement à risques
Autre inquiétude des scientifiques : les risques de perte, casse et vol de spécimens et matériel lors du déménagement. « Nous avons dans nos collections zoologiques des spécimens irremplaçables », prévient le conservateur Olivier Pauwels.
Se pose aussi la question de la maintenance de ces collections si elles sont stockées dans des lieux peu accessibles pendant les travaux. « Les peaux et animaux naturalisés doivent être protégés des insectes et nous devons aussi régulièrement réalimenter en alcool les bocaux en verre des vertébrés et invertébrés pour compenser l’évaporation », explique Olivier Pauwels. L’une de ses collègues craint que les travaux mettent en sommeil la recherche scientifique pendant une longue période. Les collections sont visitées chaque année par de nombreux chercheurs belges et étrangers.
La Régie des bâtiments a déjà une feuille de route de gros chantiers chargée, qui comprend la restauration d’autres établissements scientifiques fédéraux. Le Musées royaux des Beaux-Arts, le Musée Art et Histoire du Cinquantenaire (MRAH) et l’Institut du patrimoine artistique (IRPA) devaient être les premiers à connaître un profond lifting, mais l’Institut des Sciences naturelles s’ajoute à ces priorités. Car des fibres d’amiante (cancérigènes) ont été détectées dans la ventilation du bâtiment scientifique. « Nous avons coupé la ventilation, obstrué des bouches d’aérations et mis en place un monitoring de l’air », remarque Patrick Semal, conservateur en chef de l’Institut. Les salles d’exposition ne sont pas concernées par les risques d’amiante. »
L’immeuble souffre aussi d’autres maux, dont la vétusté de ses châssis. « Mais nous ne pouvons les remplacer étage par étage, car cela déstabiliserait tout l’immeuble », indique Patrick Semal.
Le bâtiment sera-t-il démantelé ? « Nous lançons une étude de faisabilité qui orientera le scénario, répond Johan Vanderborght, responsable de la communication de la Régie des bâtiments. Le cahier de charge est en préparation. Nous sommes conscients de la complexité d’un déménagement des collections, en particulier des bocaux d’alcool. L’Institut des Sciences naturelles nous dit son souhait de conserver la structure du bâtiment. Nous ne pouvons affirmer, à ce stade, que c’est acceptable. Rénover l’immeuble tout en maintenant les activités dans certaines zones aurait inévitablement des conséquences sur le budget et le planning des travaux. »
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