Les transferts financiers Flandre-Wallonie, cet éternel noeud de la Belgique
Un livre publié en Flandre entend démonter le mythe des transferts antérieurs de la Wallonie vers la Flandre. Et repositionne le débat actuel, autour de ce montant annuel estimé entre cinq et huit milliards.
Les transferts financiers entre la Flandre et la Wallonie constituent l’un des noeuds de toute discussion institutionnelle. Chaque année, plusieurs milliards d’euros – les calculs estiment le montant entre 5 et 8 milliards – glissent du Nord vers le Sud. C’est un lien de solidarité, à travers laquelle la région la plus riche soutient la région la plus pauvre.
Mais c’est aussi un fardeau que la majorité des partis flamands souhaitent voir diminuer – voire disparaître – dans leur quête d’autonomie. Tout le monde se souvient de l’action choc menée par Bart De Wever et la N-VA en 2015, quand il avaient déversé des faux billets à la hauteur de ces transferts à Strépy-Thieu. Le président nationaliste, depuis, a regretté ce geste, mais il a contribué à sa popularité grandissante au Nord.
Le « mythe » des transferts inversés
Le sujet est sensible, d’autant qu’il s’accompagne de questions lancinantes sur la capacité de la Wallonie à se redresser économiquement. En retour, des francophones évoquent en outre le poids de l’histoire: avant le tournant des années 1960, la Wallonie aurait soutenu financièrement une Flandre durablement appauvrie.
C’est précisément ce « mythe des transferts inversés » qu’entend démonter un livre réédité par Doorbraak, la très active maison d’édition issue du Mouvement flamand. Vlaanderen betaalt reprend, dans un premier temps, une étude faite par Juul J. Hannes, ancien professeur d’histoire économique à l’UGent et président de Liberaal Archief. Pubiée en 2004, rééditée par Roularta en 2007, cette étude souligne sur base d’une analyse des données fiscales entre 1832 et 1912 que les transferts de la Wallonie à la Flandre constitueraient bien un « mythe ».
Oui, la Flandre était bien pauvre au 19e sièce, proche de la famine dans certaines régions, surtout les provinces de occidentale et orientale. « Pour le reste, peut-on trouver des traces de flux d’argent du Sud vers le Nord? Non!« , écrivait Jull J. Hannes. Ce professeur d’économie reprend les données concernant l’impôt sur les sociétés, sur les personnes physiques – qui n’étaient pas aussi développés qu’aujourd’hui -, mais aussi les taxes sur l’activité minière, l’alcool et le tabac. Résultat global? L’autorité centrale perçevait 12 milliards de francs or, dont 44% de Flandre, 30,4% de Wallonie (qui représentait 38,2% de la population) et 25,6% du Brabant encore unitaire – Bruxelles étant le siège social de nombreuses entreprises.
L’argumentation semble édifiante, mais elle s’arrête à l’heure où ces transferts étaient susceptibles de devenir plus importants et elle ne tient pas compte de transferts déguisés souvent évoqués également, comme les investissements massifs de l’autorité centrale dans le développement des infrastructures en Flandre (ports d’Anvers et de Zeebruges, aéroport de zaventem etc) qui ont contibué à son redressement. En tout état de cause, l’analyse devait être plus fine et équilibrée).
« Un combat politique »
La deuxième partie de Vlaanderen betaalt contient des analyses contemporaines, dont l’une, particulièrement intéressante, réalisée par Didier Paquot, ancien chief economist de l’Union wallonne des entreprises (UWE) et désormais titulaire du même poste à l’Institut Destrée. Reprenant les termes de l’auteur d’une étude passée sur les transferts, Damien Piron, il souligne d’emblée: la hauteur des transferts est « un combat politique, mené dans la langue de sa communauté ».
Didier Paquot recense toutefois une série d’études crédibles au sujet des montants estimés des transferts Nord-Sud, qui les fixent dans une fourchette située entre 5,2 et 7,9 milliards. Ces transferts se situent au niveau de la dotation faite par l’Etat fédéral aux entités fédérées – revue lors de la sixième éforme de l’Etat en 2011 – mais aussi des revenus personnels. Ainsi, la différence entre le « revenu primaire » flamand et wallon est de -20% au profit de la Flandre, mais cette différence diminue à -10,5% lorsque l’on parle du « revenu disponible »: la différence s’explique en grande partie par ces transferts.
Pour autant, est-ce un scandale? L’auteur francophone souligne que de tels transferts sont logiques dans un Etat fédérale – et parfois même plus importants. Pour les réduire, ajoute-t-il, cela prendra encore longtemps et cela nécessité une action vigoureuse pour développer le taux d’emploi en Wallonie, soutenue fiscalement par le fédéral. A moins d’une action plus radicale: « La réduction des transferts interrégionaux ne peut avoir lieu que via de nouveaux pas dans le fédéralisme/confédéralisme, à travers lesquels on affaiblirait ou supprimerait des mécanismes de solidarité ».
Voilà l’enjeu posé.
Vlaanderen betaalt, Doorbraak uitgeverij, 2021
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici