Les Syriens de Belgique hésitent sur un retour au pays: «On ne peut pas choisir entre sa mère et sa femme»

Sylvain Anciaux

Les Syriens de Belgique n’ont pas perdu une miette de la chute du dictateur Bachar Al-Assad, ce week-end. Tous assurent vouloir fouler à nouveau leur terre natale, mais n’imaginent pas abandonner la Belgique.

«Quand j’ai appelé ma mère après la chute du régime, elle a dit qu’elle voulait que je prenne le premier avion qui quitte la Belgique pour la Syrie. J’ai promis de lui rendre visite, mais avant tout j’ai décidé de profiter du moment. Aujourd’hui, je me demande quel est mon rôle», pose Basel Adoum, un réfugié syrien arrivé à Bruxelles il y a huit ans. Depuis son arrivée, il a entamé une thèse à l’ULiège sur les carrières migratoires des réfugiés syriens à Bruxelles et occupe désormais un poste de médiateur socioculturel dans les communes du ring. Aujourd’hui, comme beaucoup d’autres Syriens, Basel Adoum voit son avenir au conditionnel. «Il est trop tôt pour penser à la question du retour définitif au pays. Mais ce qui est sûr, c’est que les Syriens d’ici vont vouloir au moins visiter la Syrie dès le moment où les aéroports seront ouverts.»

Obada Otabashi, lui, est arrivé en Belgique en 2015 et y a ouvert We Exist, un restaurant syrien visant à faciliter l’accès au travail pour les personnes qui ont fui des zones de guerre et de persécutions. «La semaine dernière, je ne pense pas qu’un seul Syrien émigré n’a eu une minute de sommeil. Les sentiments sont impossibles à décrire, mais ils étaient partagés entre le bonheur et la peur que de mauvaises choses arrivent à nos proches sur place dans les conflits.» Pour lui, et quoiqu’en disent les observateurs politiques, la situation syrienne ne peut être pire que lors des 50 dernières années. «Dans chaque pays, lorsqu’une dictature tombe, il y a du désordre.»

«J’aime la Belgique. Les personnes, leur hospitalité, comment nous avons été accueillis. Nos amis ici sont devenus notre famille. C’est donc devenu également notre pays

Obada Otabashi

Réfugié syrien et fondateur du restaurant We Exist

La question du retour au pays est pour lui la plus difficile, bien qu’il veuille y retourner quelque temps afin de retrouver ceux avec qui il n’a jamais perdu contact. «J’aime la Belgique. Les personnes, leur hospitalité, comment nous avons été accueillis. Nos amis ici sont devenus notre famille. C’est donc devenu également notre pays, et il y a un proverbe syrien qui dit en quelque sorte qu’on ne peut pas choisir entre sa mère et sa femme. Je ne veux pas construire ma vie en dehors de la Belgique, mais je ne peux pas vivre pour toujours sans la Syrie.»

Construire des ponts

Marco Martiniello, directeur des recherches au FNRS et directeur du Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations à l’Université de Liège, n’est pas étonné par ces sentiments contradictoires. «C’est difficile pour les personnes qui arrivent en Belgique ou ailleurs avec le souhait de rentrer définitivement un jour. Le coût global est souvent beaucoup plus élevé quand il s’agit de repartir, il faut souvent reconstruire tout depuis zéro.» Une analyse qui traverse toutes les histoires migratoires, du siècle passé à la guerre en Ukraine.

«Une fois mises en place, les politiques de retour ne provoquent en réalité pas une explosion des candidatures.» Elles facilitent cependant les retours de ceux qui n’ont pas encore construit de nouvelle vie sur leur terre d’accueil ou qui, plus minoritaires, sont convaincus qu’ils retourneront dans leur pays d’origine. «Ce qui diffère, aujourd’hui, c’est qu’il est plus facile de rester en contact avec son pays d’origine grâce aux nouvelles technologies d’information et de communication.» Par exemple, ce mercredi, un groupe Facebook «Collectif culturel et artistique syrien» a été créé et a rassemblé 1.300 membres en 24 heures, dont Basel Adoum. «Des gens se posent la question de la reconstruction du secteur culturel syrien depuis l’Europe», un élément relativement inédit pour le travailleur socioculturel qui avait constaté, lors de ses recherches, un faible tissu solidaire syrien en Belgique. Obada Otabashi espère lui aussi pouvoir construire des ponts, «comme on l’a fait en Belgique en connectant deux communautés avec We Exist, le défi ici est de connecter des gens qui sont sur deux continents différents».

Double absence

Désormais, la balle est dans le camp politique, prévient Marco Martiniello. L’annonce de la Secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Nicole De Moor (CD&V), de suspendre les demandes d’asile des 2.350 Syriens en Belgique est, aux yeux du chercheur, un signal dangereux. «Il y a le risque d’une double absence, le fait de n’être ni ici, ni là-bas. Vu les récentes mesures prises ici, il n’est pas étonnant que les Syriens qui ont le statut de réfugiés s’inquiètent de la suppression de celui-ci. Il faudra voir aussi ce que le nouveau régime là-bas fera. Mais cela crée un un sentiment d’extériorité pour cette communauté.»

La suppression du statut de réfugié pour ceux arrivés lors des cinq dernières années en Belgique est également ouvertement envisagée par la Secrétaire d’Etat. «Je suis moi-même passé par Fedasil, raconte Basel Adoum. Je peux imaginer le sentiment de confusion pour ceux qui sont toujours en attente et j’espère réellement plus d’explications de la part de Nicole De Moor. Sur quelle base légale gèle-t-on ces procédures ? Depuis le début, on nous dit que la question de l’asile est traitée sur des bases personnelles. Or, cette récente décision prouve le contraire.» Marco Martiniello complète en affirmant que ceux qui jouissent de la nationalité belge sont les mieux protégés légalement, mais que «pour beaucoup, on attend trop longtemps pour statuer sur la demande. Cela accroît la précarité objective, le sentiment de précarité et d’insécurité, ce qui mène inévitablement au désespoir.»

Depuis 2011, environ 35.000 Syriens ont bénéficié de la protection internationale en Belgique, dont 4.725 en 2024, pour trois demandes de retour volontaire. Pour cette communauté, les récents évènements font naître un espoir inédit ou perdu depuis longtemps. «Aujourd’hui, ma plus grande peur est de passer devant l’ambassade syrienne à Bruxelles et de constater que rien n’a changé. Il faut que les mentalités progressent et s’ouvrent. Si le même système reste et que seuls les noms changent, on ne peut pas vraiment appeler ça un changement.» Ce signal-là pourrait donc être déterminant.

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