Les six présidents de partis comme rédacteurs en chef: «Certains de leurs choix sont surprenants»
Caroline Close, chercheuse au Centre d’étude de la vie politique à l’ULB, tire le bilan de la série du Vif. Elle a trouvé de l’inattendu dans les sujets que les six présidents de parti francophones souhaiteraient voir dans Le Vif s’ils en étaient désignés rédacteurs en chef.
Il y a six semaines, parce qu’on arrivait, déjà, à un an des élections européennes, législatives et régionales de 2024, mais aussi parce qu’ils se plaignaient souvent de nos choix éditoriaux, les six présidents de partis francophones étaient chargés par Le Vif d’une tâche inhabituelle: faire le plan – on appelle cela un «chemin de fer» – de ce qui serait, pour eux, le numéro idéal de notre magazine. Avec pour mission de rédiger un éditorial, de composer un dossier de couverture tabou, puis de proposer un grand reportage international, un chiffre révélateur et un grand entretien avec une personnalité.
Il y a eu Raoul Hedebouw (à lire ici), puis François De Smet (à lire ici), puis Rajae Maouane (à lire ici), puis Maxime Prévot (à lire ici), puis Paul Magnette (à lire ici), et enfin Georges-Louis Bouchez (à lire ici).
Caroline Close, politologue et chargée de cours en science politique à l’ULB (Cevipol), spécialiste des questions de «mise à l’agenda», tire le bilan de cette opération (et voudrait rappeler à Maxime Prévot qu’«il ne faut pas mélanger abstention et vote blanc, ce n’est pas la même chose!»).
Que disent les choix présidentiels de ce que sera la campagne qui commence, et qui se terminera dans un an?
Quand on étudie la communication en ligne des partis, la campagne est permanente… On ne peut donc pas dire qu’elle commence maintenant. Mais j’ai vu des confirmations, comme chez DéFI, où leur « triangle d’or »– libéral social, laïque et défenseur des francophones – est bien identifié. Ou comme au PTB, qui oppose le peuple et les élites. Et puis, certains choix m’ont surprise.
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Lesquels?
Paul Magnette a choisi des sujets de niche, pour ensuite les élargir à l’anticapitalisme. Chez Maxime Prévot, il y avait aussi cette volonté de s’appuyer sur des sujets qui font consensus: qui s’opposerait à aider les handicapés? La thématique de l’interdiction de la publicité à destination des enfants (NDLR: sujet proposé par Paul Magnette) est aussi consensuelle, mais c’est pour arriver à un sujet de fond, qui est le capitalisme et la surconsommation. Je pensais que le président du PS arriverait plus frontalement dans le débat, notamment parce qu’il a publié un bouquin à la charge idéologique très forte. Même chose pour la Palestine, alors que je m’attendais à ce que cet européiste veuille parler de construction européenne, ou des Ouïghours, pour attaquer la position du PTB sur cet enjeu… Ces deux points m’ont semblé un peu inattendus. L’entretien avec Alexandria Ocasio-Cortez, c’est nettement moins surprenant. Beaucoup ont choisi des femmes pour leur grand entretien, d’ailleurs, exceptés Georges-Louis Bouchez et François De Smet.
Il y a des présidents plus ou moins clivants comparés à leur parti. Et puis, il y a des accents personnels au sens strict.
Les enjeux des dernières années disparaissent presque: l’énergie, car les prix ont baissé, et les soins de santé, car la pandémie est passée. Ces enjeux embêtaient-ils les partis, ou ennuyaient-ils les gens et les partis se sont mis au diapason?
Oui et non, parce que la crise énergétique apparaît en filigrane de plusieurs sommaires. Raoul Hedebouw insiste sur l’opposition entre les citoyens qui ont du mal à payer leurs factures et les élites, il commence même par là. Chez DéFI, le discours sur l’Etat porte aussi sur les soins de santé. Mais ces thématiques, c’est vrai, ont un peu disparu de l’actualité ces dernières semaines, voire ces derniers mois.
Ces projets rédactionnels ont été minutieusement préparés avec leurs collaborateurs. Y trouve-t-on tout de même des choix dont on peut se dire qu’ils émanent de la personne plutôt que du parti?
François De Smet semble moyennement s’identifier à l’électorat traditionnel du FDF, mobilisé sur la question communautaire. Il n’est pas intrinsèquement très vocal sur ces sujets, ça ne l’habite pas, en tout cas moins qu’Olivier Maingain, par exemple. Mais il évoque tout de même la minorité francophone en Flandre, parce qu’il le doit: DéFI vient de là et il doit faire avec… Certains présidents sont aussi plus ou moins clivants comparés à leur parti. Et puis, il y a des accents personnels au sens strict. Maxime Prévot rappelle qu’il a été touché par le handicap dans son histoire familiale. Paul Magnette le fait avec la question palestinienne, qu’il rattache à ses parents. C’est aussi une technique de communication pour se rapprocher des gens sans en avoir l’air. Je trouve d’ailleurs qu’il y a pas mal de points communs à cet égard entre Paul Magnette et Maxime Prévot…
L’immigration n’est pas un sujet très abordé. Or, elle redevient une préoccupation très importante pour les électeurs flamands…
En 2019, on avait comparé les enjeux prioritaires pour les électeurs wallons et flamands, et l’immigration, en Wallonie, n’arrivait qu’en quatrième ou cinquième position, alors qu’elle était première en Flandre. A part sur cet enjeu, il n’y a pas tant de différences entre les priorités des électeurs d’un côté et de l’autre de la frontière linguistique, qui sont surtout socioéconomiques, et aussi environnementales. C’est plutôt lié à l’offre politique: on n’a pas, du côté francophone, de parti d’extrême droite soucieux de mettre cet enjeu à l’agenda. Mais Rajae Maouane critique, dans son interview, la petite phrase de Bernard Clerfayt sur le «modèle méditerranéen».
Et Maxime Prévot voudrait qu’on parle d’immigration, mais pour en louer les richesses…
Oui, et je me dis: est-il vraiment stratégique de parler d’immigration? Un, ce n’est pas un sujet qui intéresse tout le monde ; deux, si on parvient à le mettre à l’agenda, ce n’est pas du tout facile de convaincre les gens que l’immigration est une richesse. En général, hormis les partis très à droite, personne n’essaiera de politiser cet enjeu, pour lequel il est beaucoup plus facile de tenir un discours antimigrations que sur le «devoir de solidarité», comme il dit.
Les choix de Rajae Maouane sont plutôt consensuels. Pourtant, sur les réseaux sociaux du Vif, sa publication a suscité le plus de commentaires, très négatifs. Un paradoxe?
Il faut distinguer les attaques personnelles contre une jeune femme, dont les parents ne sont pas nés en Belgique, et celles qui s’adressent à Ecolo qui est, pour moi, le parti actuellement dans la posture la plus difficile. Il a joué beaucoup sur un statut de parti challenger, chevalier blanc sur la bonne gouvernance, mais il se retrouve au pouvoir sans vraiment amener de réformes profondes de la gouvernance. Etre, somme toute, contraint de se plier aux règles du jeu, je pense que ça peut susciter de la déception et de l’antipathie. La distance entre les promesses de bonne gouvernance et les réalisations au pouvoir, la distance entre se dire horizontal et devoir pratiquer la verticalité imposée par le pouvoir, c’est très compliqué!
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