Les seniors sur le marché de l’emploi: tous au boulot, plus tard et plus longtemps
Le taux d’emploi des 55-64 ans n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Le gouvernement vient de valider un plan d’action pour améliorer les fins de carrière. Les seniors devront être toujours plus nombreux à travailler à l’avenir. Mais à quelles conditions? C’est le nœud du problème.
Ce sont des questions qui fâchent, comme l’ont encore démontré ces dernières semaines les débats politiques sur les fins de carrière, donc l’emploi des seniors. En Belgique, autour du projet de réforme des pensions, et en France, où la réforme des retraites nourrit abondamment l’actualité.
Les seniors du marché du travail font l’objet de toutes les attentions. Chez nous, conformément à ce qui a été décidé par la suédoise, l’âge légal de la pension reculera à 66 ans dès 2025 puis à 67 ans à partir de 2030. C’est une tranche d’âge qui sera amenée à travailler plus longtemps. Et en plus grand nombre, idéalement. La Vivaldi affiche toujours l’ambition de franchir la barre de 80% de taux d’emploi en 2030.
Le taux d’emploi des seniors augmente
Les courbes grimpent, année après année. Il faut voir d’où vient la Belgique pour mesurer l’accroissement du taux d’emploi des 55-64 ans. Il avoisinait les 25% voici vingt ans, franchissait la barre des 50% en 2018, pour atteindre 56,4% au troisième trimestre de 2022. Au même moment, le taux d’emploi global (20-64 ans) pointait à 72,1%.
Même si elle s’amoindrit, une différence de genre subsiste, chez les seniors comme ailleurs: 51% chez les femmes et 61,7% chez les hommes. Et ce n’est pas une surprise: le taux d’emploi des 55-64 ans s’élève à 58,7% en Flandre, à 52,7% en Wallonie et à 53,5% à Bruxelles.
Fin novembre, Philippe Defeyt, économiste à l’Institut pour un développement durable, livrait une étude consacrée, justement, aux travailleurs âgés et à leur état de santé. Sur la base des chiffres de l’ONSS et de l’Inasti, il y mesurait le poids de cette catégorie de travailleurs, avec quelques tendances marquantes. Ainsi, de 1999 à 2020, la proportion des 50 ans et plus dans l’emploi total est passée de 17 à 32%. Au cours de ces deux mêmes décennies, la proportion de femmes parmi les travailleurs dits «âgés» est passée de 34% à 46%, tandis que la part «d’âgés très qualifiés» a évolué de 27% à 41%. Ces augmentations résultent du vieillissement démographique, observe Philippe Defeyt, mais aussi «de la montée en puissance de la participation des femmes sur le marché du travail».
Le monde du travail a évolué, avec une mobilité accrue et de nouvelles possibilités de poursuivre sa carrière plus longtemps. Surtout, les conditions d’accès à la pension anticipée se sont resserrées, poussant logiquement les travailleurs à quitter plus tard le monde du travail.
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Philippe Defeyt note également une forte présence d’indépendants parmi les seniors, y compris au-delà de 65 ans. «Typiquement, c’est le médecin qui réduit progressivement le nombre d’heures prestées», mais il entre dans les statistiques du taux d’emploi. «On voit également des gens s’établir en tant qu’indépendant après leur pension», illustre encore l’économiste.
Les pénuries dans certaines professions pourraient constituer une explication. «Mais je ne pense pas que cela se vérifie auprès des enseignants, par exemple», tempère-t-il. D’autres, déjà pensionnés, peuvent aussi chercher à mettre du beurre dans les épinards avec un flexi-job.
Les explications sont multiples et mériteraient des analyses, secteur par secteur, région par région, presque cas par cas. Mais globalement, les 55 ans et plus pèsent: ils représentent 19,4% de l’emploi total, selon les calculs de Philippe Defeyt. Leur proportion est de 18,7% (754 000 travailleurs) parmi les salariés et s’élève à 23,3% (178 000 travailleurs) chez les indépendants.
La Belgique, mauvaise élève?
A l’échelon européen, par contre, le taux d’emploi des 55-64 ans belges figure en queue de peloton, bien que les comparaisons internationales comportent leurs limites.
Toujours est-il que pour l’année 2021, leur taux d’emploi affichait 60,5% dans l’Union européenne, mais 54,5% en Belgique. Le taux le plus faible était enregistré en Roumanie (43,8%), tandis que les pays nordiques figuraient en tête: 76,9% en Suède et 72,3% au Danemark. Hormis le Luxembourg (46,6%), les pays limitrophes obtenaient un meilleur taux: 55,9% en France, 71,4% aux Pays-Bas et 71,8% en Allemagne.
Une certaine flagellation irrite cependant Thierry Bodson. «Le taux d’emploi en Belgique est historiquement élevé. On se compare tout le temps aux Pays-Bas et à l’ Allemagne, mais il faut arrêter de dire qu’on est les mauvais élèves de la classe européenne, commente le président de la FGTB. Il suffit d’avoir travaillé très peu pour être comptabilisé. Or, ces pays sont les champions du temps partiel», surtout les Pays-Bas. Si la volonté consiste à augmenter le taux d’emploi pour financer la sécurité sociale, «en particulier les pensions, que préfère-t-on? Deux emplois de quarante heures par semaine ou trois emplois de dix heures?»
Le rapport des Belges à leur fin de carrière est néanmoins en train de vivre un changement, selon l’économiste Vincent Vandenberghe (UCLouvain). «Nous devons désapprendre à partir tôt à la retraite, résume-t-il. Jusqu’aux années 1970, grosso modo, il était normal de travailler jusqu’à 65 ans. Puis les choix politiques ont encouragé les travailleurs à partir tôt», en vertu de la lutte contre le chômage des jeunes. Une part des réticences à l’allongement des carrières s’explique par cette approche bien ancrée, selon l’économiste. Le mouvement s’est inversé à partir des années 1990. «Le taux d’emploi monte, mais on vient de loin. Les pays du nord de l’Europe, eux, n’ont pas opéré ce mouvement par le passé.»
Qu’est-il arrivé? «En favorisant les départs anticipés, on n’a pas obtenu les résultats escomptés», observe Vincent Vandenberghe. Et la contrainte du taux de dépendance des personnes âgées s’est imposée. «C’est la dégradation du ratio entre le nombre de cotisants et le nombre de bénéficiaires», tout simplement.
Selon l’économiste, dans l’intervalle, «on a tué l’idée d’un marché du travail au-delà de 50 ans», jusque dans les mentalités. «A partir d’un certain âge, il devient compliqué de se dire qu’on peut encore changer de job, évoluer, avoir de nouvelles perspectives professionnelles», bien qu’il faille se garder de trop généraliser. «Notre rapport au travail est ambigu ; deux visions se croisent», les travailleurs se rattachant plutôt à l’une ou à l’autre. «La vision de type marxiste, qui voit dans le travail une forme d’aliénation. Et une autre tradition, qui considère que tout travail est une forme de réalisation de soi.»
Le plan du gouvernement pour les seniors
Ouvrir de nouvelles perspectives pour les seniors, telle est l’ambition affichée par le gouvernement fédéral. En septembre 2021, le ministre de l’Economie, Pierre-Yves Dermagne (PS), convoquait une première Conférence sur l’emploi axée sur «les fins de carrières harmonieuses». Il en est ressorti un plan d’action en onze volets, validé le 17 février dernier par le conseil des ministres. «En 2021, nous étions arrivés à la conclusion que les travailleurs âgés devaient pouvoir ralentir le rythme et souffler, en particulier pour certains métiers lourds», explique-t-on au cabinet Dermagne.
Parmi les mesures annoncées, la création de fonds au sein des secteurs «pour travailler sur le problème du nombre excessif de travailleurs de plus de 55 ans qui quittent prématurément le marché du travail». Les partenaires sociaux seront invités à s’entendre sur leur fonctionnement. Sans accord, «il est prévu que le fonds soit financé par les entreprises dont le nombre de travailleurs tombant malades ou ayant des accidents est exceptionnellement élevé».
Il s’agit d’alléger les conditions de travail face à la pénibilité. Au moyen, par exemple, de congés supplémentaires ou de réductions du temps de travail.
Le plan d’action prévoit, en outre, l’actualisation de plusieurs conventions collectives de travail: sur les crédits-temps, sur l’introduction de nouvelles technologies et sur le plan pour l’emploi des personnes âgées.
La formation tout au long de la carrière, une meilleure politique de prévention, l’adaptation des conditions de travail ou encore des efforts en matière d’ergonomie figurent aussi dans le plan. Les initiatives qui instaurent le tutorat des jeunes travailleurs par les plus anciens seront encouragées, de même que la lutte contre les discriminations. La loi «jobsdeal» d’octobre 2022 met en place au SPF Emploi une cellule chargée de suivre la question de la diversité. Des fiches seront réalisées sur la structure de l’emploi au sein des secteurs et, le cas échéant, ils seront tenus de s’expliquer sur telle ou telle discrimination, dont éventuellement un faible nombre de travailleurs âgés.
Où travaillent les seniors?
Chaque secteur connaît ses propres réalités, qui peuvent expliquer la présence plus ou moins importante de travailleurs âgés. Mais parmi eux, quelques-uns sont des poids lourds en matière d’effectifs. Dans son étude, Philippe Defeyt a épluché les quantités de travailleurs de cette tranche d’âge présents dans les différents secteurs, subdivisés en fonction du code Nace, la nomenclature des activités économiques.
Avec 80 000 travailleurs de 55 ans et plus, c’est l’administration générale, économique et sociale qui emploie le plus de seniors, lesquels y représentent 25% de l’emploi total. Suivent, dans le classement, les activités hospitalières (47 000 travailleurs âgés – 21,1% de l’emploi total) et les activités de nettoyage (31 500 travailleurs âgés – 19,7% de l’emploi total).
On retrouve dans le haut du classement, par exemple, la fabrication de produits chimiques (6 300 travailleurs âgés – 23,6% de l’emploi total). C’est typiquement un de ces secteurs qui a pu garder une part importante de seniors, illustre Vincent Vandenberghe, au moyen notamment d’un fonds visant à améliorer les conditions de travail. «A l’inverse, historiquement, c’est plutôt dans le secteur public qu’on quitte plus tôt, même s’il y a une grande hétérogénéité.»
Parmi les secteurs comptant au moins 5 000 travailleurs âgés, certains comportent une proportion particulièrement importante de seniors. En tête, le secteur «culture et élevages associés», avec 36% de travailleurs âgés. Une demi-douzaine de secteurs dépassent les 25% de seniors, dont les médecins et dentistes, l’action sociale pour personnes âgées et dans le handicap, les agents immobiliers.
Travailleurs, mais invalides
Il est une autre réalité que les chiffres du taux d’emploi ne traduisent guère: une augmentation des situations de maladie de longue durée. Selon les économistes et responsables syndicaux interrogés, elles s’apparentent de plus en plus à une substitution aux départs anticipés d’autrefois. Or, les personnes invalides, donc en maladie depuis plus d’un an, peuvent toujours être sous contrat de travail et reprises dans les statistiques de l’emploi. Là aussi, l’étude de l’économiste Philippe Defeyt apporte un éclairage intéressant.
De manière très sensible, la part de salariés invalides augmente avec l’âge: de l’ordre de 7% pour les 50-54 ans mais de plus de 18% pour les 60-64 ans. Selon une estimation de l’Institut pour un développement durable, quelque 12,9% des seniors (55-64 ans) chez les salariés sont en situation d’invalidité. Parmi les grands pourvoyeurs d’emploi, certains secteurs sont particulièrement concernés: 26,1% de seniors invalides dans la construction, 24% dans l’action sociale sans hébergement pour personnes âgées et personnes avec handicap moteur, 21,3% dans le commerce de détail, etc.
Les chiffres sont présentés de manière un peu froide, mais traduisent sans doute la difficulté dans certains secteurs de poursuivre sa carrière jusqu’à un âge avancé. «L’ archétype de ces métiers qui usent les gens, on le retrouve dans les titres-services, où je ne vois pas bien comment on peut atteindre l’âge légal de la retraite», commente Philippe Defeyt.
«On se trouve aujourd’hui dans un système trop binaire, quand on parle d’emploi. C’est on/off, vous êtes dedans ou dehors, déplore Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC. Un des enjeux principaux, c’est un système plus flexible, moins dogmatique, qui correspond mieux aux attentes. Beaucoup de gens ont envie de continuer à travailler, mais il faut permettre une modulation de la durée et du type de travail. D’autre part, il faut comprendre que les situations et les attentes sont différentes d’une personne à l’autre.» La problématique de la pénibilité reste criante, selon la syndicaliste. L’échec des discussions à ce sujet entre partenaires sociaux, sous le gouvernement Michel, fut «un rendez-vous manqué».
Décrocher en douceur, bénéficier de plus de mobilité professionnelle, voir l’environnement de travail plus adapté aux seniors, miser davantage sur la prévention, l’ergonomie, la formation, la transmission entre générations: autant de sujets qui mériteraient plus d’attention pour adapter le marché du travail à la réalité des seniors, soutiennent également Vincent Vandenberghe et Philippe Defeyt.
Une place pour les seniors sur le marché de l’emploi?
C’est que le marché du travail ne leur fait pas toujours de cadeaux, malgré l’impression dégagée par les statistiques.
La délicate question de l’ancienneté et des salaires, mise en parallèle avec celle de la productivité, refait surface dès que l’on aborde le sujet. «Le coût du travail, il faut arrêter avec ça, balaie Marie-Hélène Ska. A un moment, soit on donne un salaire de base à tout le monde, soit on reconnaît qu’un travailleur plus âgé a de l’expérience, un savoir-faire, etc.»
Sur le marché de l’emploi, les chiffres favorables concernent surtout les seniors qui ont conservé leur emploi. Pour ceux qui se sont retrouvés au chômage ou en inactivité, la tâche est plus ardue. C’est ce que démontrait, en mai 2022, le SPF Emploi à travers son évaluation continue de la politique relative à la fin de carrière.
Les 55 ans et plus obtiennent de moins bons résultats que les tranches plus jeunes tant en matière de taux de recrutement que de taux de retour à l’emploi après chômage ou inactivité, de taux de sortie vers l’incapacité de travail et de taux de mobilité professionnelle. Ils pratiquent aussi, soit dit en passant, davantage de temps partiel: 33,9% en 2019, alors qu’on en comptait 21,6% chez les 25-54 ans. Chez les seniors, les femmes (53,5%) sont beaucoup plus nombreuses que les hommes (17,6%) à travailler à temps partiel.
Le ratio du nombre de recrutements par rapport au nombre de demandeurs d’emploi diminue à mesure que l’on avance dans les tranches d’âge. Les derniers chiffres disponibles à la Banque Carrefour de la sécurité sociale datent de 2018: ce ratio était de 81,7% chez les 45-49 ans, de 62,1% chez les 50-54 ans, de 32,3% chez les 55-59 ans et de 18% chez les 60-64 ans.
Les chances d’être recruté au-delà de 50 ans ont augmenté ces dernières années, mais elles restent moindres pour les femmes que pour les hommes et sensiblement plus faibles en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre. «Les personnes de 55 ans et plus qui cherchent à nouveau du travail après une période de chômage ou d’inactivité sont bien obligées de constater qu’il n’existe pas de marché pour elles», concluait cette évaluation.
«Je ne me suis jamais senti obligé de travailler»
Entré comme «petit ingénieur» chez Boël en 1968 avant de gravir les échelons, Serge, 77 ans, n’a fait ses adieux à ses collègues qu’en 2013. Il aurait pu prendre sa retraite trois ans avant mais il fait partie de ces personnes qui aiment tant ce qu’elles font qu’elles se lèvent avec plaisir. «Au début, je suis surtout resté pour former celui qui allait me remplacer. Comme j’avais des contacts avec certains clients depuis plus de trente ans, il valait mieux assurer la transition en douceur. Je n’étais pas le seul dans le cas. L’un de mes anciens collègues a presque 80 ans aujourd’hui. Il est passé consultant. Un autre, qui assumait un poste similaire au mien mais pour la France et le Benelux, en a 75. Dans le milieu de la sidérurgie, c’est assez courant de travailler au-delà de l’âge de la pension, d’autant qu’on traite beaucoup avec l’Allemagne où les seniors sont nombreux sur le marché du travail. Par ailleurs, je voyais autour de moi des personnes arrivées à la pension et qui en faisaient presque une dépression. Et d’autres, prépensionnées à 50 ans, qui se sont empressées de trouver un boulot dans une autre firme pour assurer la continuité de leurs revenus.»
A la fin de la période de transition, Serge n’est pas parvenu à décrocher. «Même après tant d’années, ce boulot me plaisait toujours. Je ne me suis jamais senti obligé de travailler. D’autant qu’au niveau financier, je m’y retrouvais bien.» La vie qu’il menait, entre la France, l’Allemagne et l’Angleterre, n’était pourtant pas de tout repos. Et elle l’éloignait des siens. C’est ce manque qui l’a finalement décidé à lever le pied. «Les petits- enfants sont arrivés et ma compagne commençait à se sentir seule, ça a facilité les choses.»
Rétrospectivement, l’ingénieur estime qu’il a pu faire carrière si longtemps parce qu’ «à l’époque, les caisses étaient pleines, même celles des pensions…» et qu’il évoluait dans un secteur florissant, bien que rude. «Certains jeunes ingénieurs restaient un an puis repartaient. D’autres comme moi sont restés jusqu’au bout.»
«Sortir du marasme matériel et retrouver ma dignité»
Quand il a posé sa candidature auprès d’une entreprise de pompes funèbres, Jean-Claude Cerisier n’avait aucune expérience dans le métier. «Je me suis dit que s’il y avait bien un milieu où on trouve des personnes d’un certain âge, c’était celui-là.» Il avait vu juste: huit ans et deux employeurs plus tard, le septuagénaire aime toujours autant apporter du réconfort aux familles endeuillées. Une reconversion réussie pour celui qui a travaillé dans le secteur de la technologie de pointe et dans la programmation tout en donnant des cours du soir en mathématiques. «Puisque avec un graduat en électronique et en automatisation je ne pouvais prétendre au titre d’ingénieur, j’ai commencé au bas de l’échelle avec les ouvrières. Ce fut une expérience très enrichissante sur le plan professionnel et humain.» Promu au service de recherche et développement, Jean-Claude est satisfait de ses fonctions. Mais une séparation et un burnout vont le fragiliser sur le plan psychologique et financier. En 1998, «alors que les sociétés commençaient à liquider les travailleurs de plus de 50 ans qu’elles ne jugeaient plus aptes», il se retrouve prépensionné. Il a 48 ans. «C’est toujours mieux que le chômage mais ça fait mal quand même.» Pour payer les études de ses enfants, il enchaîne les contrats ALE jusqu’à ses 60 ans et travaille comme huissier administratif à l’Institut de formation judiciaire à Bruxelles. «Entre 60 et 65 ans, je pouvais m’appuyer sur ma pension et mon épargne pension pour tenir le coup. Mais j’avais perdu tout ce que je possédais et je suis passé par la médiation de dettes. J’ai vécu cela comme une humiliation. Je me suis dit “tant que j’ai la santé, je continue à travailler”. J’avais aussi besoin de me sentir utile et de sortir du marasme matériel. De retrouver une certaine dignité. C’est ainsi que je suis arrivé dans le secteur des pompes funèbres. Et à 73 ans, je suis toujours aussi heureux d’y être.»
«Le contact humain m’aurait trop manqué»
Fabrice Santi, 68 ans, n’a pas eu «une» mais «des» vies professionnelles. Diplômé d’une école hôtelière et formé à la gestion d’entreprise, il a aussi suivi des cours de langue en tant qu’élève libre. Tour à tour, il fut cadre dans une société de vente de vêtements, traiteur, patron d’un magasin de décoration et fleuriste aux côtés de son compagnon, qui pratique toujours cette activité à titre principal. «J’ai été diplômé en juin 1975 et j’ai commencé à travailler dès juillet. Sur toutes ces années, j’en ai presté dix comme salarié et près de trente comme indépendant. Je n’ai été inscrit au chômage qu’un seul mois. Quand, à 62 ans, on m’a dit que je pouvais prendre ma retraite, j’ai accepté pour avoir la garantie d’un revenu fixe, mais il n’ était pas question d’arrêter toute activité. Je savais que continuer à travailler m’obligerait à me lever, à m’habiller, à respecter les horaires d’une journée structurée.» C’est donc en tant qu’indépendant et patron de sa propre société que Fabrice Santi mène aujourd’hui sa barque. Ayant de bonnes notions en comptabilité, il collabore avec deux maisons de repos et une résidence de soins, ainsi qu’avec un avocat qu’il aide à archiver ses documents et à gérer ses appels téléphoniques. Régulièrement, il met son tablier de fleuriste pour aider son conjoint lors des jours de fête et assure les livraisons toute l’année. «Pour lui, je travaille évidemment à titre gratuit. Ça me permet de le voir et de revoir une partie de la clientèle que j’avais lorsque j’étais traiteur et que je gérais mon magasin de déco. Si j’avais tout stoppé, le contact humain m’aurait trop manqué. Je ne perçois aucun supplément sur ma pension, qui n’est pas gigantesque. Je facture tout au nom de ma société, dont mon compagnon est également administrateur, mais j’en retire bien sûr des avantages. Je ne vois pas pourquoi je continuerais à payer des cotisations sociales alors que je n’en retirerai aucun bénéfice sur le plan de ma pension.»
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