Les quinze grandes batailles « belges » qui ont changé l’Europe
Du IXe au XXe siècle, près de 300 batailles et sièges se sont déroulés sur le territoire qui forme la Belgique. Pourquoi nos régions ont-elles été le » champ de bataille de l’Europe » ? Quels combats ont eu des répercussions sur l’équilibre des forces en Europe ?
Septembre 891 – La bataille de Louvain : les Vikings refoulés
Ecrasés sur la Dyle par le monarque carolingien Arnulf de Carinthie, les Vikings abandonnent nos régions.
« De la fureur des Normands, délivrez-nous, Seigneur », ajoutaient à leurs prières les populations franques du IXe siècle. En proie à des querelles internes après la mort de Charlemagne, l’empire carolingien peine à résister aux incursions des Vikings ou Normands, qui écument la mer du Nord. Ceux qui, avec leurs drakkars, remontent les fleuves et rivières de nos régions sont surtout des Danois. Le négoce de ces aventuriers va de pair avec le brigandage. Ils terrorisent le pays grâce à leur mobilité, brûlent villages et abbayes, emportent or et argent. Mais ils ne commettent pas de massacres massifs, estiment aujourd’hui les historiens.
Entre 834 et 836, trois expéditions scandinaves ont raison des places commerciales des deltas de la Meuse, du Rhin et de l’Escaut. Les Vikings s’acharnent périodiquement sur la Flandre de 850 à 880. En 881, ils atteignent quelques régions du bassin de la Meuse et endommagent le palais d’Aix-la-Chapelle. Ils refluent ensuite vers l’ouest et se livrent à de nouvelles déprédations en Flandre, en Brabant et en Hainaut. Peu de chefs locaux résistent. Des moines s’exilent en Ardenne. Mais des évêques et des paysans organisent la défense et nos régions se fortifient.
Cantonnés depuis 884 à Louvain, ville-étape sur la route médiévale Bruges-Cologne, les Vikings y gagnent une bataille contre Arnulf de Carinthie, roi de Germanie. Revanche le 1er septembre 891 : à la tête d’une nouvelle armée, le futur empereur d’Occident inflige une sanglante défaite aux occupants, toujours retranchés à Louvain. Les entreprises normandes se concentrent alors sur la Basse-Seine où, en 911, le roi de France Charles le Simple leur concède ce qui deviendra le duché de Normandie.
Mai 1213 – Damme : les Français prennent un bouillon
Mémorable mêlée entre plus de 2 000 navires français et anglais aux portes de Bruges. La partie de combat naval tourne au naufrage français. Et sauve l’Angleterre d’un dangereux débarquement.
Mai 1213. Philippe II Auguste, roi de France, est très remonté contre le comte de Flandre. Ce Ferrand qui lui tourne le dos pour se jeter dans les bras du sinistre Jean sans Terre, roi d’Angleterre, mérite une bonne correction. Sus aux Flamands, cap sur l’estuaire du Zwin. La flotte française cingle vers la vaste rade de Damme, alors « poumon marin des Flandres » et port de Bruges, aujourd’hui modeste village enfoncé à l’intérieur des terres. En fait de flotte de guerre, il s’agit d’une multitude hétéroclite, évaluée par les chroniqueurs à quelque… 1700 barques de pêche et nefs de commerce hâtivement reconverties en transports de troupes.
Le souverain anglais vole au secours de son nouvel allié flamand. Le 30 mai, 500 navires anglais tombent à l’improviste sur l’armada française au mouillage, imprudemment désertée par ses équipages occupés à chaparder dans la région. L’assaillant fait main basse sur 300 à 400 bâtiments à l’ancre, incendient une centaine d’autres navires tirés sur la plage, avant de reprendre le large face à la contre-attaque française venue de terre.
Philippe Auguste achève de transformer cette bataille indécise en une des plus belles victoires navales anglaises du Moyen Age. Agacé par cette encombrante flotte qu’il a dû secourir en levant le siège de Gand, le roi ordonne de mettre le feu aux navires rescapés, convaincu que ses sujets n’ont décidément pas le pied marin. « Les Français connaissent mal les voies de la mer », aurait-il soupiré. De fait : c’est sur le plancher des vaches qu’un an plus tard, Philippe Auguste prendra sa revanche à Bouvines. Mais l’Angleterre respire : le débarquement français projeté sur ses côtes tombe à l’eau.
Juillet 1302 – La bataille des Eperons d’or : désastre pour la chevalerie française
Toute l’Europe entendra parler de la première victoire de fantassins sur une armée de chevaliers. La bataille de Courtrai a brisé l’emprise française en Flandre. Pas pour longtemps.
La bataille de Courtrai illustre l’opposition entre la centralisation française, incarnée par Philippe IV le Bel, et la démocratie municipale des métiers, conflit qui se perpétuera bien au-delà du Moyen Age. Commencée à la mi-journée, la bataille est brève – deux à trois heures – et intense. Après un échange de flèches et de carreaux d’arbalètes, les fantassins français avancent jusqu’aux lignes flamandes. Mais les chevaliers français, impatients de récolter les fruits d’une victoire qui semble facile, passent trop tôt à l’attaque. Armées de longues piques, les milices communales résistent aux assauts le long d’un fossé en demi-lune bordé par la Lys et des marécages. Embourbés, les chevaliers français sont désarçonnés et massacrés. Les Flamands et leurs alliés zélandais et namurois n’auraient perdu qu’une centaine d’hommes. Dans les rangs français, plusieurs centaines de chevaliers et un millier d’écuyers ont perdu la vie.
Toute l’Europe entendra parler de la bataille, première victoire d’une masse anonyme de fantassins sur une armée de chevaliers. « Cette défaite de la France, grande puissance de l’époque, fait grand bruit jusqu’en Italie et en Espagne, rapporte l’historien Luc De Vos. Le triomphe de 1302 a brisé l’emprise française en Flandre, mais il sera de courte durée. Car les Flamands sont incapables de s’unir. Leurs villes se concurrencent. Tout profit pour la tutelle française. »
Dès août 1304, la flotte de Philippe le Bel anéantit les navires flamands devant le port de Zierikzee. Une semaine plus tard, l’armée flamande perd son chef, Guillaume de Juliers, à la bataille de Mons-en-Pévèle, près de Douai. En 1305, les Français imposent au comte de Flandre, Robert de Béthune, l’accablant traité d’Athis-sur-Orge. Le comté est amputé de sa partie méridionale, la Flandre « gallicante » (Lille, Douai, Béthune) et les Flamands sont contraints de démolir les fortifications de leurs villes et de payer une lourde indemnité de guerre.
Pendant cinq siècles, la bataille de Courtrai n’occupe qu’une place marginale dans la mémoire collective. Elle commence à attirer l’attention à partir de la fin du XVIIIe siècle. Les adversaires des réformes de l’empereur Joseph II la considèrent comme une preuve de l’existence d’anciens droits et privilèges. Après l’indépendance de 1830, la victoire de 1302 fait l’objet d’études dans une perspective nationaliste belge. Le roman d’Henri Conscience, De Leeuw van Vlaanderen, fait la part belle à l’héroïsme. Il a un tel retentissement que le culte de la « bataille des Eperons d’or », appellation popularisée par l’ouvrage, éclipse celui du héros gantois Jacques Van Artevelde. La bataille du 11 juillet – date de la fête de la Communauté flamande – ne prendra une forme antibelge que plus tard, conséquence de la radicalisation du mouvement flamand.
« Dans l’imaginaire flamand, la bataille des Eperons d’or, rejet de la domination française, est un symbole identitaire fort, estime l’historien Hervé Hasquin. Les Flamands fêtent toujours l’événement, alors qu’ils semblent peu s’intéresser à la bataille de Waterloo. Et pour cause : Waterloo a fait basculer nos provinces dans le Royaume des Pays-Bas, étape vers une Belgique indépendante. »
Juillet 1453 – La bataille de Gavere : lourde défaite gantoise
Défaits par l’armée bourguignonne de Philippe le Bon, les Gantois se voient imposer des conditions de paix très dures.
Juillet 1453. La grande armée de Philippe le Bon traverse un comté de Flandre dévasté par deux ans de troubles. Le duc de Bourgogne, qui règne sur les régions de la future Belgique ou en a la tutelle, est résolu à mater les Gantois, une fois de plus en rébellion ouverte contre les mesures fiscales. Il a fait appel à la noblesse de Flandre, de Picardie, d’Artois et du Hainaut et a levé plus de 30 000 hommes. Le 18 juillet, son armée met le siège devant le château fort de Gavere, à quinze kilomètres au sud de Gand. Des mercenaires anglais figurent parmi les défenseurs de la place.
Gand mobilise alors tous les hommes valides de 20 à 60 ans. L’expédition militaire contre les Bourguignons, appelée le « Gaverse Reyse« , compte près de 40 000 miliciens. Entre-temps, Philippe le Bon a obtenu la reddition du fort et n’a pas manqué à la tradition de faire pendre ses défenseurs. L’artillerie gantoise, placée devant la troupe, cause de lourdes pertes dans les rangs adverses, qui opèrent une retraite tactique. Mais une explosion terrible secoue le convoi de poudre des Gantois. Pris de panique, ils prennent la fuite, sous les volées de flèches bourguignonnes. Les uns sont massacrés par leurs poursuivants, d’autres se noient dans l’Escaut.
« Cet affrontement montre qu’une armée disciplinée est bien plus efficace qu’une milice commandée de façon un peu anarchique, même si celle-ci est numériquement supérieure et équipée d’un armement dernier cri », note l’historien Luc De Vos. La défaite gantoise signe la fin des prétentions d’indépendance politique de la riche cité flamande.
Septembre 1604 – La bataille d’Ostende : la chute de la « Troie » protestante
Il a fallu quatre ans de siège homérique avant qu’Ostende la protestante ne tombe aux mains des Espagnols. La reddition scelle à jamais la rupture entre Pays-Bas catholiques et Provinces-Unies calvinistes.
Début XVIIe siècle : entre Pays-Bas catholiques et Provinces-Unies calvinistes, le torchon brûle depuis quarante ans déjà. L’archiduc Albert d’Autriche, qui gouverne à Bruxelles, veut en finir avec Ostende, dernier îlot de résistance protestant sur la côte flamande qui le nargue au coeur de ses possessions et tient la région sous la menace permanente d’une invasion maritime.
C’est plus vite dit que fait. Le port fortifié, facile à ravitailler par mer, a les moyens de résister. Ostende prolonge le suspense. Les chroniqueurs s’enflamment pour le sort de « cette nouvelle Troie », où s’affronte « un pot-pourri de nationalités. » Depuis juillet 1601, 17 000 Espagnols, Allemands, Bourguignons, Wallons, se cassent les dents sur la position défendue par une garnison de 6 500 hommes où se mêlent Anglais, Ecossais, Allemands, Français.
L’Angleterre précipite le dénouement, lorsqu’en 1603 le Stuart Jacques Ier succède à Elisabeth et refuse désormais son appui à la cause protestante. Les jours d’Ostende sont comptés. En septembre 1604, la ville, réduite à un monceau de ruines, rend les armes non sans qu’une capitulation honorable soit accordée aux 3 700 assiégés rescapés. 55 000 morts ou blessés côté espagnol, 30 000 victimes et 15 000 prisonniers côté hollandais : l’une des batailles les plus sanglantes de la guerre de Quatre-Vingts Ans et l’un des plus longs sièges de l’Histoire, s’achèvent par une victoire espagnole qui fait sensation.
Une page se tourne. Entre Pays-Bas méridionaux, catholiques, et Pays-Bas septentrionaux, protestants, la scission est consommée. Définitivement.
Août 1692 – La bataille de Steinkerque : une boucherie sans vainqueur
Surpris par les anglo-hollandais en Hainaut, les Français tiennent bon. Quatre ans après la sanglante bataille, Louis XIV renonce à toutes ses conquêtes.
La bataille, l’une des plus sanglantes de la « guerre de Neuf Ans », s’est déroulée le long de la Senne, au sud d’Enghien et à l’ouest de Rebecq (à trente-cinq kilomètres au sud-ouest de Bruxelles). Aujourd’hui, face aux champs qui s’étendent à perte de vue près du village hennuyer de Steenkerque (« Steinkerque », selon l’orthographe de l’époque), une plaque rappelle le souvenir de cette boucherie sans réel vainqueur ni vaincu, qui a fait près de 20 000 morts.
Les princes protestants de la Ligue d’Augsbourg, hostiles aux visées territoriales de Louis XIV et inquiets de la révocation de l’Edit de Nantes, sont alors en guerre contre la France. Commandant de l’armée française en Flandre, le maréchal de Luxembourg a remporté une victoire à Fleurus en juillet 1690, et une autre à Leuze en septembre 1691. Les Français se sont emparés de plusieurs de nos provinces. L’affrontement décisif se prépare, alors que Louis XIV a repris la route de Paris après avoir, avec l’aide de Vauban, fait capituler Mons et Namur.
A la tête d’une armée de 50 000 hommes, Luxembourg a installé son camp le 31 juillet 1692 à Enghien. A l’aube du 3 août, il se laisse surprendre : l’armée alliée, 80 000 hommes commandés par le prince d’Orange, stadhouder des Provinces-Unies et roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume III, attaque à l’improviste les Français à Steinkerque. L’assaut est si imprévu que le maréchal et les princes n’ont pas le temps de nouer correctement leurs cravates de dentelles, lançant ainsi la mode des « cravates à la Steinkerque ». Les Français fléchissent, puis se ressaisissent. Rappelés par Luxembourg, les 20 000 hommes de Boufflers, qui avaient été envoyés à Namur, achèvent la défaite alliée. Les Anglo-Hollandais battent en retraite, laissant 12 000 morts sur le champ de bataille, huit drapeaux, dix pièces de canons et 1 300 prisonniers. Luxembourg, lui, compte 8 000 tués ou blessés et n’est pas en mesure de poursuivre l’adversaire.
Rebelote un an plus tard, à Neerwinden, où l’armée du maréchal de Luxembourg défait une nouvelle fois les forces anglo-hollandaises de Guillaume d’Orange. Là encore, les pertes sont énormes. Epuisés par les combats et les mauvaises récoltes, les belligérants cessent enfin de s’affronter. Par le traité de Ryswick de 1697, Louis XIV rend la plus grande partie de ses annexions et reconnaît Guillaume III comme roi légitime d’Angleterre. « Ryswick, c’est un retour en arrière de près de vingt ans, constate l’historien Hervé Hasquin. Le Roi-Soleil a compris que son royaume avait besoin d’un répit, un souci d’ailleurs partagé par les autres souverains. »
Pendant neuf ans, la France, pays le plus puissant d’Europe, qui disposait d’un réservoir d’hommes apparemment inépuisable, s’est battue sur tous les fronts – Catalogne, Piémont-Savoie, Pays-Bas espagnols – et sur les mers. Mais ses victoires se sont révélées coûteuses et n’ont jamais mis l’ennemi à quia. « Surtout, Louis XIV arrête les frais car il tient à ménager l’Espagne, explique l’historien Jean-Michel Sterkendries. Le règne de Charles II, le dernier Habsbourg espagnol, touche à sa fin, et le roi de France ne perd pas de vue la succession au trône d’Espagne, qui donnera lieu à un conflit entre puissances européennes, de 1701 à 1714. »
Mai 1706 – La bataille de Ramillies : le désastre français
La débâcle franco-bavaroise conduit Villeroy à évacuer les Pays-Bas espagnols. La bataille fait passer la future Belgique sous domination anglo-batave.
« La plus honteuse, la plus humiliante et la plus désastreuse des déroutes. » Le commentaire du marquis de Villars, maréchal de France, sur l’issue de la bataille de Ramillies, n’a rien d’excessif. Cet engagement majeur de la guerre de Succession d’Espagne s’est achevé sur un succès retentissant pour la coalition alliée formée par les Provinces-Unies et l’Angleterre. En moins de quatre heures, le 23 mai 1706, jour de Pentecôte, l’armée franco-bavaroise du maréchal de Villeroy, beaucoup trop étirée – sur une ligne de plus de six kilomètres ! -, est totalement défaite. Elle perd plus de 18 000 hommes – 12 000 morts ou blessés, plus de 6 000 prisonniers -, pour moins de 5 000 morts et blessés dans les rangs alliés. Les désertions du côté français sont énormes.
Le champ de bataille de Ramillies constitue, avec celui de Waterloo, l’un des sites historiques majeurs de Belgique, étudié par les spécialistes en sciences militaires. Modèle de stratégie, l’affrontement qui s’est déroulé entre Jodoigne et Eghezée, dans l’est du Brabant wallon, inspirera Napoléon.
« Plus que jamais, John Churchill, duc de Marlborough, y a excellé dans la guerre de mouvement, apprécie Hervé Hasquin. Il s’est brillement joué de Villeroy et de Maximilien-Emmanuel de Bavière. » Rarement bataille aura été aussi décisive. Car la retraite franco-bavaroise se mue en déroute. Incapable d’arrêter l’effondrement, Villeroy évacue Louvain, Bruxelles, Alost, Gand, Bruges. La forteresse de Menin capitule le 22 août, après un siège coûteux. Termonde cesse de résister le 6 septembre. Ath, prise le 2 octobre, est la dernière conquête de 1706. A l’issue de la campagne, Marlborough a privé la France de presque toutes les villes de nos régions. Maximilien-Emmanuel de Bavière, gouverneur des Pays-Bas espagnols, est contraint d’évacuer définitivement Bruxelles et de se réfugier à Mons, puis en France.
Conséquences de la débâcle française : non seulement le Brabant et la Flandre, les deux provinces les plus riches des Pays-Bas espagnols, sont tombées – avec une partie du comté de Hainaut – aux mains des coalisés, mais, dès la fin mai, les alliés anglo-hollandais pressent les états de Brabant de se soumettre à l’autorité d’un nouveau souverain : l’archiduc Charles, fils aîné de l’empereur Léopold, qui depuis 1704 mène la vie dure aux troupes hispano-françaises dans la péninsule ibérique. « Léopold avait renoncé en sa faveur à ses droits à la couronne d’Espagne, rappelle Hasquin. L’Angleterre et les Provinces-Unies l’avaient reconnu en qualité de roi d’Espagne sous le nom de Charles III. »
Après la campagne de Ramillies, un profond désaccord oppose les Alliés sur le sort à réserver aux Pays-Bas. Les Autrichiens veulent y nommer un gouverneur. Les Hollandais, qui ont fourni la majeure partie des troupes et des fonds pour assurer la victoire, réclament le gouvernement de la région jusqu’à la fin de la guerre et le droit de renforcer leurs garnisons dans les forteresses « belges ». Marlborough, médiateur entre les deux parties, favorisera la position hollandaise. « Ramillies fait passer la future Belgique sous domination anglo-batave, résume Jean-Michel Sterkendries. L’issue de cette bataille amorce les préliminaires de l’occupation hollandaise du pays. »
Juillet 1708 – La bataille d’Audenarde : un succès allié retentissant
Vendôme et le duc de Bourgogne battus par le prince Eugène et le duc de Marlborough, la route de Lille est ouverte aux coalisés.
Après les cuisantes défaites de l’armée de Louis XIV à Blenheim, sur le Danube, en 1704, et à Ramillies, dans le Brabant, en 1706, le désastre d’Audenarde, en Flandre, le 11 juillet 1708, ternit pour de bon l’éclat militaire du Grand Siècle français. Deux ans après la débâcle de Ramillies, le Roi-Soleil, qui a fêté ses 70 ans, tente à nouveau d’occuper nos provinces, avec une armée de plus de 100 000 hommes. Mais il commet l’erreur de placer à la tête de ses forces deux rivaux qui ne cesseront de se quereller : le duc de Vendôme, général expérimenté, et le duc de Bourgogne, petit-fils du vieux souverain, qui montre peu d’habileté à la guerre. Côté allié, l’association de deux des plus grands capitaines de l’histoire va se révéler efficace : le duc de Marlborough, généralissime des forces anglo-hollandaises, et le prince Eugène de Savoie-Carignan, commandant de l’armée du Saint-Empire… et cousin de Vendôme. Les Français perdent 15 000 hommes (dont 8 000 prisonniers) dans la bataille d’Audenarde, les coalisés, moins de 3 000.
Les troupes françaises se replient sur Gand, tandis que le prince Eugène porte le combat sur le territoire français. Le maréchal de Boufflers parvient à défendre Lille jusqu’en août, puis se replie dans la citadelle, où il capitule le 28 octobre. Marlborough et Eugène se retournent alors vers Gand et s’emparent de la place fin décembre. Les Français évacuent les Flandres et le Hainaut.
Septembre 1709 – La bataille de Malplaquet : rendez-vous européen
Sortis affaiblis de cette terrible boucherie, les Alliés victorieux doivent renoncer à s’enfoncer vers Paris.
Etrange bataille que celle de Malplaquet, au sud de Mons, sur l’actuelle frontière franco-belge : les Alliés victorieux y subissent plus de pertes que les Français vaincus. De l’avis des contemporains et des spécialistes, l’affrontement du 11 septembre 1709 est le plus meurtrier du règne de Louis XIV. Les effectifs engagés sont gigantesques : 60 000 fantassins et près de 20 000 cavaliers sous les ordres du maréchal Villars ; 70 000 fantassins et près de 30 000 cavaliers sous ceux duc de Marlborough et du prince Eugène de Savoie-Carignan, commandant de l’armée impériale. Sur les quelque 175 000 hommes engagés, 35 000 au moins sont mis hors de combat.
« L’importance du recours aux mercenaires et la constellation d’Etats et de principautés impliqués dans la coalition contre la France font de Malplaquet l’affrontement sans doute le plus européen de tous les combats survenus entre 1661 et 1715, remarque Hervé Hasquin, auteur de Louis XIV face à l’Europe du Nord. Dans les rangs français, on compte des ressortissants des Pays-Bas, des Ecossais, des Irlandais, des Suisses, des Italiens ; dans les rangs alliés, des Anglais, des Hollandais, des Prussiens, des Hanovriens ; chez les Impériaux, des Danois, des Saxons, des Palatins, des Hessois et des Wurtembergeois. » Marlborough et Eugène restent maîtres du terrain. Mais leurs armées sortent trop affaiblies du combat pour s’enfoncer vers Paris, alors que l’hiver approche. Cette sanglante victoire leur livre la domination du Hainaut. « Toutefois, note Hasquin, le comportement valeureux de Villars qui, l’épée à la main, a redonné courage et audace à une armée si souvent déconfite depuis plusieurs années, a empêché l’effondrement de la France. »
Mai 1745 – La bataille de Fontenoy : un cocorico français pour rien
« Messieurs les Anglais, tirez les premiers. » Inventée par Voltaire, la formule de politesse a fait de la bataille de Fontenoy le symbole suprême d’une pseudo-guerre en dentelles. En réalité, Louis XV réussit là à transformer une retentissante victoire en un beau gâchis.
Au milieu du XVIIIe siècle, les têtes couronnées d’Europe infligent au continent une nouvelle guerre de succession, avec cette fois le trône d’Autriche pour pomme de discorde. Louis XV s’est laissé entraîner dans le camp du fauteur de troubles, le remuant Frédéric II de Prusse, qui entend faire main basse sur l’héritage de la nouvelle impératrice Marie-Thérèse.
Le roi de France veut sa part du gâteau : les Pays-Bas autrichiens. Sa campagne militaire au printemps 1745 cible la place stratégique de Tournai. Autrichiens, Anglais, Hanovriens et Hollandais se pointent en vue du village tout proche de Fontenoy, là où Maurice de Saxe, à la tête de l’armée française, les attend de pied ferme. Ce mardi 11 mai 1745, 47 000 Français épaulés par un contingent irlandais font face à 51 000 soldats alliés. Le tout sous le regard de Louis XV en personne, qui a fait le déplacement en spectateur, accompagné du Dauphin.
En l’espace d’une demi-journée, l’affrontement acharné passe d’une défaite française quasi-assurée à une victoire inespérée. Fontenoy enclenche une spirale positive : les succès de Rocourt en 1746, de Lauffeld près de Maastricht en 1747, balisent l’avance triomphale de Louis XV. Au bout de deux ans, l’ensemble des Pays-Bas autrichiens tombe sous l’emprise française. Avant que la paix, signée le 18 octobre 1748 à Aix-la-Chapelle, ne biffe d’un trait de plume les fruits de cette victorieuse campagne.
Louis XV, qui veut jouer au grand seigneur, rétrocède à l’Autriche toutes ses conquêtes sans obtenir la moindre contrepartie, alors que son allié Frédéric II n’a pas ces scrupules et garde la Silésie. Ce qui fait dire que les soldats français tombés à Fontenoy, à Rocourt ou à Lauffeld, ne s’étaient finalement battus que « pour le roi de Prusse ». Pas faux.
Fontenoy, victoire française restée sans lendemain mais pas sans suites. Alain Bonnet, historien et président de l’asbl Fontenoy 1745, témoigne de son retentissement : « Cette bataille a énormément marqué les esprits de l’époque en contribuant à restaurer le prestige de Louis XV. Elle représente le dernier grand succès militaire français avant la Révolution française et les campagnes napoléoniennes. » Elle efface du même coup la série noire des revers subis par la France sous le règne finissant de Louis XIV. Les Français ne se lassent pas de célébrer ce nouveau « Bouvines », référence à l’éclatante victoire remportée par le roi Philippe Auguste sur les Anglais au XIIIe siècle.
Même Voltaire met son grain de sel. L’illustre philosophe-essayiste achève d’immortaliser la bataille par cet échange de politesses sorti tout droit de son imagination qu’il intègre dans son « poème de Fontenoy. » « Messieurs les Anglais, tirez les premiers », aurait lancé un officier français à l’adresse de l’ennemi qui ne se serait pas fait prier pour ouvrir le feu. La formule littéraire fait mouche : la guerre en dentelles, qui n’en était pas une (14 000 victimes à Fontenoy), tient son morceau de courtoisie toute française, poussée jusqu’à l’absurde.
Fontenoy n’a pas été perdu pour tout le monde. Plantée sur le lieu de la bataille en 1907 et restaurée aux frais de l’Etat irlandais, une croix celtique rappelle le tour pendable que les régiments irlandais, alignés aux côtés des Français, ont joué aux Anglais, il y a exactement 270 ans.
Novembre 1792 – La bataille de Jemappes : le sacre des sans-culottes
Plus encore que le miracle de Valmy, la victoire arrachée par les volontaires français sur l’air de La Marseillaise à deux pas de Mons, permet à la Révolution de sauver sa tête.
Eté 1792, rien ne va plus dans le camp français de la liberté, cerné de toutes parts par les monarchies d’Europe. A la merci des armées austro-prussiennes, la Révolution n’est plus qu’un cri : « la patrie est en danger ! » Longwy puis Verdun tombent, la route de Paris s’ouvre à l’ennemi. Tout semble perdu.
Mais c’est le miracle à Valmy, où le 20 septembre la jeune République triomphe à la faveur d’une simple canonnade qui suffit, étrangement, à faire reculer les Prussiens. Le vent tourne, les volontaires français levés en masse, emmenés par le général Dumouriez, se sentent pousser des ailes et pénètrent en territoire belge. Mons, importante place du dispositif défensif autrichien, est à leur portée.
La grande explication a lieu le mardi 6 novembre, à Jemappes. Les Autrichiens, au nombre de 25 000, y ont établi de solides redoutes, sur les hauteurs. Ils comptent bien ne faire qu’une bouchée de ces 40 000 enfants de la République, bien souvent déguenillés et équipés de bric et de broc. Ils font erreur : c’est à la baïonnette, sur l’air de La Marseillaise, que les sans-culottes enlèvent les positions ennemies. L’obstination autrichienne ne résiste pas à la ferveur révolutionnaire et à l’effet de masse. 4 000 Autrichiens mis hors de combat, 2 000 Français tués ou blessés : « terrible bataille, remportée par une armée française placée dans une situation matérielle déplorable », note l’historien Jean-Jacques Heirwegh (ULB.)
Jemappes est le choc décisif entre deux mondes, celui du passé et de l’avenir. « C’est le triomphe de la nation en armes, qui a la foi, sur le mercenariat d’Ancien Régime », relève l’historien Hervé Hasquin. François Furet, le grand historien français de la Révolution, ne s’y est pas trompé : « L’importance de Jemappes dans l’histoire militaire de la Révolution dépasse celle de Valmy. Si la technique de l’attaque frontale au lieu d’une concentration des coups portés, reste routinière, la composition des troupes, où les volontaires formaient la majorité, l’enthousiasme et le nombre en font la première victoire révolutionnaire. »
Valmy a miraculeusement sauvé la Révolution. Mais c’est Jemappes qui lui donne l’élan et le goût de la conquête. » Symboliquement, cette victoire héroïque marqua, plus que d’autres événements un peu antérieurs, le début de l’expansion de la Révolution française hors des frontières de la France », poursuit Jean-Jacques Heirwegh. Quand vient le temps pour les troupes de prendre les quartiers d’hiver, la Belgique se retrouve sous bannière française. « Jemappes marque le début d’une avance fulgurante des troupes révolutionnaires qui font tomber les frontières des anciennes principautés », complète Hervé Hasquin.
L’éphémère restauration du régime autrichien dans nos régions, à la faveur de la défaite française de Neerwinden en Brabant flamand, suivie de la trahison de Dumouriez au printemps 1793, n’inversera pas l’inexorable marche en avant des sans-culottes.
Lorsque les Pays-Bas autrichiens repassent pour de bon sous domination française, à l’été 1794, le comté de Hainaut est rebaptisé département de Jemappes. Qu’un champ de bataille donne ainsi son nom à un département est un honneur exceptionnel. Jemappes sera seul à partager ce privilège sous le régime napoléonien, avec Marengo, où Bonaparte triomphe en 1800 lors de la campagne d’Italie.
La Belgique française 1792-1815, par Hervé Hasquin, Crédit communal, 1993.
Juin 1794 – La bataille de Fleurus : le berceau de la Belgique
Victoire révolutionnaire doublement décisive près de Charleroi : en faisant passer nos régions à l’heure française, elle dessine les contours de la future Belgique. Et en ôtant sa raison d’être au régime de la Terreur, elle signe à Paris l’arrêt de mort de Robespierre.
Au printemps 1794, les révolutionnaires français redressent la tête et reprennent le dessus. Ils ont dû rendre les Pays-Bas à l’Autriche un an plus tôt ? Leur reconquête n’est que partie remise.
Cette fois, plus rien ne peut arrêter la marche des armées du Nord et de Sambre-et-Meuse qui progressent dans nos régions. Charleroi est bientôt en vue. Unité, discipline, encadrement, tactique : les soldats de l’An II ont mûri depuis la campagne désespérée de 1792, mais le feu sacré les anime toujours. Le 26 juin, 80 000 révolutionnaires se déploient sur un front de trente kilomètres de part et d’autre de Fleurus, pressés d’en découdre avec 52 000 austro-hollandais.
Au bout de quatorze heures de combats acharnés sous un soleil brûlant, de cinq assauts menés par les colonnes autrichiennes et d’autant de charges repoussées au prix de pertes sévères, les Français et leur général Jourdan sortent de justesse vainqueurs de l’affrontement. L’organisation de leurs troupes et leur esprit combatif ont eu raison d’une tactique autrichienne bancale, qui privilégiait les manoeuvres offensives menées en ordre dispersé. Les révolutionnaires n’ont rien négligé pour remporter la partie : Fleurus est la première bataille à connaître l’emploi d’un aérostat militaire pour observer les mouvements ennemis. Expérience concluante : « L’Entreprenant », déployé près du moulin de Jumet à 200 à 400 mètres d’altitude, remplit à merveille sa mission.
Averti au soir de la bataille que Charleroi avait déjà capitulé la veille, le général autrichien Cobourg décide de rompre le combat. Le coup porté au moral des Autrichiens et de leurs alliés hollandais est décisif : les Alliés, qui auraient perdu 10 000 hommes dans la bataille, n’insistent plus et abandonnent les Pays-Bas aux Français.
Ce 26 juin 1794, se referme un chapitre autrichien qui aura duré 80 ans. « Il ouvre définitivement le chemin de nos régions à la France. Le régime français va entreprendre l’amalgame de cet espace politique jusqu’alors extrêmement varié en lui donnant les contours administratifs de ce qui deviendra la Belgique », souligne l’historien Hervé Hasquin.
Fleurus, premier berceau de la future Belgique, est aussi le tombeau des grandes figures de la Terreur à Paris. La victoire française conduit la République à fixer à nouveau sa frontière sur le Rhin. Elle la libère du même coup du péril extérieur. La politique de la Terreur, mise à l’ordre du jour par le Comité de salut public, perd dès lors une de ses principales raisons d’être. Comme l’observe l’historien français Patrice Gueniffey, « les victoires militaires de Charleroi le 25 juin et de Fleurus le 26 juin enclenchent un mouvement d’opinion pour demander le desserrement de la contrainte intérieure et le retour à la légalité. »
Les jours de Robespierre et de ses amis sont dès lors comptés. Il ne s’écoule guère qu’un mois entre la bataille de Fleurus, le 26 juin, et la chute brutale de l’Incorruptible, de Saint-Just et de leurs partisans qui montent à l’échafaud le 28 juillet. La Révolution française se pose.
La Belgique française 1792-1815, par Hervé Hasquin, Crédit communal, 1993. La politique de la Terreur, par Patrice Gueniffey, Fayard, 2000.
Juin 1815 – La bataille de Waterloo : la face de l’Europe change
De la bataille qui voit Napoléon définitivement mordre la poussière, peut émerger un nouvel ordre européen. Où l’Angleterre impose sa domination mondiale et l’Allemagne prépare sa montée en puissance.
Aux armes, l’Aigle est de retour ! Echappé de l’île d’Elbe en mars 1815, Napoléon a repris possession de la France au terme d’un vol foudroyant qui le porte en triomphe à Paris. Mais l’Ogre de Corse n’est plus qu’un homme à abattre. Décrété hors-la-loi par les têtes couronnées d’Europe, l’Empereur n’a d’autre choix que de reprendre sans tarder le sentier de la guerre. Début juin, ses premiers pas le portent en territoire belge, où il entend fondre sur ses proies les plus proches, les Anglais et les Prussiens. Et les terrasser séparément.
Napoléon cherche l’affrontement et le trouve d’abord à Ligny face aux Prussiens de Blücher, et aux Quatre-Bras devant les Anglo-Hollandais de Wellington. Double victoire obtenue à l’arraché, mais succès trompeurs qui abusent l’empereur. Napoléon y puise la fausse certitude que la partie est gagnée et que la grande explication entre Français et Anglais, prévue deux jours plus tard, « sera l’affaire d’un déjeuner. »
Mais cette fois le stratège hors pair, capable de deviner comme personne le jeu de l’adversaire, va manquer tragiquement de flair. La morne plaine brabançonne qui va faire entrer Waterloo dans l’Histoire le 18 juin 1815, cause sa perte définitive. Waterloo, « bataille de la démesure », comme la qualifie l’historien liégeois Philippe Raxhon, mêlée homérique fertile en rebondissements qui voit s’affronter plus de 200 000 hommes et 500 canons engagés sur moins de 20 km2, hésite longtemps avant de désigner vainqueur et vaincu.
La victoire sur les Anglais de Wellington semble à portée d’un Napoléon constamment à l’offensive, lorsque l’irruption imprévue des Prussiens de Blücher sur le champ de bataille bouscule le cours des combats et tourne à la débâcle de l’armée française. Napoléon vient de trouver ses maîtres. Sa campagne de Belgique était la campagne de trop. Il reste à l’Empereur déchu à prendre le chemin de Sainte-Hélène où il va s’atteler à forger la légende de la glorieuse défaite.
En 24 heures chrono, Waterloo clôture définitivement la grande aventure napoléonienne, et dans la foulée fait émerger le nouvel ordre européen entretemps dessiné par les grandes puissances réunies en Congrès à Vienne. Le Vieux Continent y gagne pour un temps une relative stabilité politique.
» Waterloo devait arriver et cela a changé le monde », selon Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon et grand spécialiste français du Consulat et de l’Empire. « Waterloo, c’est la fin d’une ambition française de prépondérance en Europe. La France, dont son armée vient d’essuyer une des plus grosses défaites jamais connues avant 1940, ne sera plus qu’une puissance moyenne, dépendante du bon vouloir de l’Angleterre qui devient la superpuissance mondiale. » Alors que l’Anglais peut asseoir sa domination sur le monde, les germes de la montée en puissance allemande sont plantés à Waterloo. Le vainqueur prussien, en s’installant au coeur de la Ruhr, pose les premiers jalons de l’unification politique allemande. Waterloo, 18 juin 1815, mère de toutes les batailles, plus qu’un accident, est un véritable tournant de l’Histoire.
Octobre 1914 – La bataille de l’Yser : le coup d’arrêt au Kaiser
Comment l’inondation de la plaine de l’Yser, en octobre 1914, donne un coup d’arrêt décisif à l’offensive allemande sur les ports de la Manche et prépare la victoire finale de 1918.
Septembre 1914, le « miracle » français de la Marne ruine les espoirs allemands de remporter rapidement une guerre de mouvement, à moins de faire main basse sur les ports français de la Manche : Dunkerque, Calais, Boulogne. Un tel scénario serait catastrophique pour les Alliés : leurs armées se trouveraient alors coupées de toute possibilité d’être ravitaillées depuis l’Angleterre.
Remporter la course à la mer devient d’une importance vitale. L’armée belge y a un rôle capital à jouer. Repliée dans le réduit national anversois depuis septembre, elle en est délogée sous la pression allemande qui la force à lâcher prise le 10 octobre. Où se replier ? Cap sur le Westhoek, aux frontières de la Mer du Nord et de la France, avec la ferme résolution de ne pas perdre le contact avec les Français et les Anglais en résistant coûte que coûte derrière l’Yser. L’envahisseur allemand l’a bien compris : c’est du côté du front belge qu’il entend forcer la décision, persuadé que là se trouve le maillon faible du dispositif militaire allié.
18 octobre, les Allemands passent à l’offensive. 80 000 hommes, supérieurement soutenus par l’artillerie, se lancent à l’assaut d’un front d’une trentaine de kilomètres qui va de la mer du Nord à Boezinge. S’y arc-boutent 75 000 soldats belges épuisés par deux mois de combat, touchés au moral par les retraites successives. Treize jours durant, ils résistent héroïquement, jusqu’à l’extrême limite de leurs forces, épaulés par des fusiliers marins français et soutenus depuis la mer par les tirs de croiseurs anglais. Mais la pression devient insoutenable, les pertes sont sévères : 14 000 tués, blessés ou disparus en une semaine.
Les Belges sont à deux doigts de décrocher, en dépit des objurgations du commandement français qui les adjure de tenir coûte que coûte. C’est alors qu’émerge l’idée d’user d’une arme qui a fait ses preuves dans la région par le passé : ouvrir les écluses pour inonder le territoire. Libérées avec précautions à partir du 25 octobre, les eaux ont besoin de quatre jours pour atteindre le niveau suffisant pour arrêter l’assaillant. Une éternité pour l’armée belge qui, stoïque, s’accroche avec l’énergie du désespoir.
Dans la nuit du 29 au 30 octobre, 700 000 mètres cubes d’eau se déversent enfin dans la plaine. La nouvelle offensive d’envergure que viennent de déclencher les Allemands entre Nieuport et Lille est enrayée d’extrême justesse par cette soudaine crue. Le 2 novembre, la partie est gagnée : la zone est sous eau. « Ce fut, de la mer du Nord jusqu’en Suisse, la fin de l’avancée allemande », souligne l’historienne Sophie de Schaepdrijver. Et le début d’une interminable guerre de tranchées dans laquelle s’enlisent les belligérants.
Le coup d’arrêt est décisif. La bataille de l’Yser, observait un officier de l’armée belge au lendemain de la Grande Guerre, « ferme la porte du nord à l’invasion allemande » et maintient les ports de la Manche hors d’atteinte des troupes du Kaiser. Le soldat belge y puise un réconfort moral que ne parviendront pas à entamer les longs mois passés dans la boue et le froid des tranchées. « Il sait maintenant qu’il a vaincu le guerrier allemand et que celui-ci n’est pas invulnérable », poursuit l’officier, « l’armée belge ne devra plus que durer. » Elle fera son devoir jusqu’à l’offensive de 1918 et la victoire finale.l
La Belgique et la Première Guerre mondiale, par Sophie de Schaepdrijver, P.I.E – Peter Lang, 2004.
Hiver 1944-1945 – La bataille des Ardennes : le coup de poker d’Hitler
L’offensive allemande a mis les Ardennes à feu et à sang. Elle a aussi facilité la progression soviétique en Europe et aura des répercussions sur les accords de Yalta.
Depuis l’écroulement du front de Normandie, début août 1944, les chefs militaires du Troisième Reich préparent, sur ordre d’Hitler, une réédition de l’offensive de mai 1940 dans les Ardennes. L’effet de surprise est total quand, le 16 décembre 1944, l’armée allemande attaque sur un front allant de Monschau à Echternach. « Dwight Eisenhower, commandant en chef des forces alliés en Europe, ne s’attendait pas à une opération d’une telle envergure, reconnaît l’historien Jean-Michel Sterkendries, chef du département d’étude des conflits à l’Ecole royale militaire. Mais il a réagi vite et bien. Il a engagé d’emblée sa réserve. »
La résistance des troupes américaines à Saint-Vith, noeud routier stratégique, tient jusqu’au 21 décembre. Ce jour-là, l’encerclement de Bastogne, défendu par 18 000 Américains, est une réalité. « La Bataille des Ardennes est l’un des rares épisodes de la Seconde Guerre mondiale où les forces déployées par les Etats-Unis se sont retrouvées en grande difficulté, relève le Pr Luc De Vos. Les rigueurs de l’hiver et la symbolique de Noël renforcent encore l’image d’une confrontation hors normes. » Le 24, la 2e Panzer Division a atteint Celles, à huit kilomètres de Dinant. Les Allemands n’iront pas plus loin. L’amélioration du temps permet alors aux Alliés de faire jouer leur suprématie aérienne. Ils bombardent les troupes allemandes – mais aussi, par erreur, la ville de Malmedy, faisant des centaines de morts – et parviennent à ravitailler Bastogne par les airs.
« Bastogne fait figure de ville emblématique des affrontements, d’autant que la plupart des correspondants de guerre y étaient concentrés, mais cela ne doit pas faire oublier les combats importants qui se sont déroulés ailleurs dans les Ardennes », remarque Jean-Michel Sterkendries. Face à l’ultime attaque allemande sur Bastogne, le 3 janvier 1945, les Alliés engagent toutes leurs forces en hommes et en matériel. Le 9 janvier, Hitler finit par ordonner le retrait de ses troupes. Le 12, après trois mois d’arrêt, les Soviétiques lancent une nouvelle offensive, obligeant le Führer à déplacer des unités vers le front de l’Est.
Le 17 janvier, la Bataille des Ardennes est virtuellement terminée. Elle a coûté aux Allemands plus de 100 000 hommes (morts, disparus, blessés et prisonniers), tandis que les pertes américaines (plus de 75 000 hommes, dont 11 000 tués) sont nettement supérieures à celles du débarquement en Normandie (10 000, dont 2 500 tués). Le 31 janvier, 4 millions de soldats alliés sont aux portes de l’Allemagne. « La dernière tentative d’Hitler de renverser la vapeur a échoué, commente Luc De Vos. La bataille a des conséquences militaires majeures pour le Troisième Reich, qui y a épuisé ses meilleures unités. L’affrontement n’aura pas allongé la guerre, il l’aura raccourci. »
Surtout, en attaquant sur le front occidental, Hitler a fait le jeu de Staline. L’Armée rouge a lancé une grande offensive qui l’amènera sur l’Oder, l’Elbe, et bientôt à Berlin. Repoussées ou bloquées de décembre 1944 à janvier 1945, les troupes alliées, elles, n’ont guère progressé. « Cet avantage mettra Staline en position de force à la conférence de Yalta, où se règlera le sort de l’Europe après la défaite allemande », conclut Sterkendries. Un partage des zones d’influence qui débouchera sur la guerre froide.
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