Luc Delfosse
Les potiches de la démocratie
On sait depuis Mathusalem -qui en connaissait forcément un bout sur la question-, que le pouvoir est l’aphrodisiaque suprême. Deux ou trois ans plus tard, Henry Kissinger, le très cynique Prix Nobel de la Paix, formulera ouvertement ce précepte. Hélas, ce n’est parce que nous vivons (encore) dans le pays le plus modeste et le plus joyeusement auto-dérisoire de la planète, que notre classe politique échappe à cet empire des sens.
Pour les citoyens lambda que nous sommes, ce délire de puissance est palpable jusqu’à la caricature à deux grandes occasions : la formation des gouvernements et les élections locales. Dans le premier cas, toute honte bue, le temps d’une courte nuit, on voit les chefs qui ont pourtant perdu l’élection, faire feu de tout bois pour être de la coalition au prétexte de se sacrifier au nom du bien commun. Lors des élections communales, c’est étrangement plus subtil. Et pour tout dire plus déviant. Car enfin que voit-on, qu’entend on ? Des hommes et des femmes revendiquant haut et clair un mandat de bourgmestre qu’ils ne pourront pas remplir puisqu’ils occupent une fonction de ministre fédéral ou régialo-communautaire. Seuls l’un ou l’autre (Paul Magnette et Sabine Delruelle cette fois) promettent de démissionner de l’exécutif où ils siègent pour exercer le maïorat. Les autres, c’est tout nouveau, revendiquent le statut de « bourgmestre empêché » ou pire de « bourgmestre en titre » .
Ah ! le confondant aveu: les électeurs choisiront « en âme et conscience » un candidat réputé indisponible. Lequel, en attendant son retour sur le terrain après un clash gouvernemental, un remaniement ou une disgrâce, promet d’oeuvrer, « en partenariat » pour reprendre l’extraordinaire expression de Laurette Onkelinx. « OEuvrer » avec qui au juste ? Dame : avec le ou la bourgmestre « faisant fonction »
Or, patatras, la désignation de cet étrange « partenaire » est laissée à l’entière discrétion du ministre. Ce miraculé du suffrage universel n’est ni celui qui aura fait le deuxième meilleur score, ni même une personne désignée urbi et orbi avant le scrutin. C’est au sens littéral et sans préjuger de la valeur intrinsèque de ces f.f., l’homme ou la femme de paille du ministre. Lundi matin, un auditeur de La Première résumait merveilleusement la question : C’est comme si vous réussissiez un examen de recrutement, mais que vous déléguiez à votre nouvel employeur la personne de votre choix.
En poussant ce déni de démocratie jusqu’à son paroxysme, on pourrait… légitimement s’interroger sur la nécessité d’organiser encore des élections communales dans les places fortes tenues par les membres des gouvernements quitte à jouer aux dés la répartition des sièges entre les partis en présence. On pourrait même étendre la technique à l’élection des présidents de parti encore que les esprits bougons et les rares ennemis du brave Thierry Giet objecteront que c’est déjà chose faite.
Cette pratique de l’agent d’exécution ou, dit plus brutalement, de la potiche ministérielle n’est évidemment pas de nature à réconcilier les citoyens avec la politique. Les élites seraient donc bien inspirées de cesser de donner l’impression qu’elles confondent les élections communales avec une sorte de prime de risque, une poire pour la soif, une rente de situation, un acquis. Bref une dose d’aphrodisiaque .
Ou alors, il faudra cesser de pleurnicher en constatant que le populisme, cette maladie honteuse qui frappe inexorablement les puissants qui tolèrent les petits arrangements entre amis et les passe-droits, croît partout de façon exponentielle. Sauf à jurer bien sûr que le nuage contagieux s’arrêtera à la frontière linguistique.
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