Les politiques inspireront-ils à nouveau confiance? (débat)
Le lien de confiance entre les gouvernants et les citoyens s’étiole-t-il avec la crise sanitaire? Pour le philosophe Mark Hunyadi, nos démocraties intègrent la possibilité de la défiance tandis que pour le chercheur au Crisp, Benjamin Biard, si la mobilisation est moins intense que dans d’autres pays, les mouvements critiques des mesures sanitaires se multiplient en Belgique.
Mark Hunyadi, philosophe: « Le problème n’est pas tellement la défiance mais plutôt ce que l’on en fait. »
Le lien de confiance entre les gouvernants et les citoyens s’étiole-t-il avec la crise sanitaire? Pour le philosophe Mark Hunyadi, auteur de Au début est la confiance (Au début est la confiance, par Mark Hunyadi, Le Bord de l’eau, 234 p.), nos démocraties intègrent la possibilité de la défiance. Le danger réside dans le refus de la recherche coopérative de la vérité, qui peut mener aux excès vus aux Etats-Unis.
De quelle nature est la confiance qu’un citoyen a envers un gouvernement?
Je suis assis sur une chaise. Je fais le pari qu’elle va se comporter d’une certaine manière, qu’elle va soutenir mon poids. C’est la même chose pour les personnes et pour les institutions. Elles incarnent des attentes de comportement. On attend de la politique et de ceux qui l’exercent qu’ils servent le bien commun, qu’ils tiennent leurs promesses électorales… Ce qui choque, c’est qu’un politique ne soit pas à la hauteur des attentes de comportement qu’on nourrit légitimement à son égard. Celles-ci peuvent être qualifiées de normatives parce qu’elles sont liées à des devoirs réciproques.
Si la défiance se répand, une société peut-elle être en péril?
Les Etats démocratiques modernes intègrent institutionnellement la possibilité de la défiance de leurs citoyens. Ceux-ci ont la possibilité de ne pas réélire les mêmes représentants. Les parlementaires ont le loisir de démettre un gouvernement via une motion de défiance. La presse, les associations exercent un contrôle continu sur les institutions, etc. Le problème n’est pas tellement la défiance mais plutôt ce que l’on en fait. On en a eu un exemple extraordinaire avec l’assaut du Capitole à Washington le 6 janvier dernier. Le danger, en l’occurrence, a été que ces jusqu’au- boutistes ont traduit leur défiance envers la nouvelle administration présidentielle dans une action de guérilla non démocratique. Le fanatisme des militants de Donald Trump est alimenté par la politique du mensonge. Ce phénomène éclaire un pilier de la démocratie: la recherche coopérative de la vérité. La démocratie repose sur cette idée fondamentale qu’il n’y a pas de vérité absolue, que personne n’a un accès direct à la vérité et que par conséquent, on doit chercher la meilleure solution possible. Mais cela présuppose une disposition à coopérer pour la vérité, avec un petit v. Si on remet en question la recherche coopérative de la vérité comme cette minorité l’a fait aux Etats-Unis en contestant le résultat des élections que plus de 60 juges, dont certains nommés par Trump, avaient validé, la démocratie est vraiment en danger.
Ce n’est pas parce qu’une mesure a une incidence sur nos libertés que l’on peut dire qu’elles sont attaquées.
La confiance doit-elle impérativement être réciproque?
La réciprocité est très importante dans la confiance que l’on a dans les autorités. Un exemple général. pour les impôts. L’institution fiscale fixe les attentes de comportement: qui doit payer quoi. Ce n’est pas seulement technique. C’est aussi moral. En retour, les contribuables doivent avoir confiance en ce que fait le gouvernement avec cet argent. S’il était dilapidé ou servait la corruption généralisée, l’adhésion du citoyen à l’impôt serait infiniment moindre. Avec la vaccination, l’actualité nous donne un exemple très intéressant et assez complexe sur la réciprocité, qui est une question d’éthique politique fondamentale. Comment les gouvernants s’adressent-ils aux gouvernés? Si les autorités avaient rendu la vaccination obligatoire pour leurs administrés, on aurait été en droit de dire qu’elles les infantilisent et les utilisent comme un « simple moyen » au service d’une politique de santé publique. Si les autorités laissent le libre choix aux citoyens, elles les responsabilisent. Les deux positions sont éthiquement diamétralement différentes. Il est tout à fait clair que la responsabilisation des citoyens est aussi une garantie de meilleure adhésion de la population aux mesures. Dans le cas de la vaccination, un élément complexifie un peu plus la situation. On voit ici ou là une tendance à la privatisation de l’obligation de se faire vacciner, de la part d’Etats, de compagnies aériennes et pourquoi pas? de telle entreprise ou de tel commerce. Le phénomène est singulier parce qu’il consacre un déplacement du paternalisme: le marché l’endosse alors que l’Etat ne veut plus l’assumer. On est face à un paradoxe de l’éthique libérale. En bon libéral, l’Etat refuse le paternalisme qui est endossé par le marché. Et on n’aura pas le choix.
Certains considèrent que la population belge est docile face aux mesures sanitaires. Est-ce le signe d’une confiance latente dans le pouvoir des autorités?
Je ne trouve pas que les Belges soient plus dociles que d’autres. Ils ont quand même été assez indociles pendant les vacances. De manière plus générale, on a tout à fait tort d’approcher cette question en matière de libertés individuelles. Cette attitude repose sur une confusion philosophique élémentaire: ce n’est pas parce qu’une mesure a une incidence sur nos libertés que l’on peut dire que nos libertés sont attaquées. Il devrait être évident pour tout le monde que la santé individuelle n’est pas la seule en jeu dans cette pandémie. Dire « si je veux tomber malade, cela ne regarde que moi » est erroné. On contamine les autres et on surcharge le personnel soignant. Dans une société comme la nôtre où le système de sécurité sociale est fort, on doit penser collectivement. Il est moralement scandaleux de vouloir faire exception pour soi-même. Deuxième élément, le bon registre à envisager pour cette crise est celui de l’état d’urgence, qui n’est pas l’état d’exception. L’état d’urgence signifie que l’on a un problème à régler, en l’occurrence un problème vital. La seule véritable question à se poser est: « Quelles sont les bonnes mesures à prendre? » On peut discuter celles-ci. Mais le débat n’est pas de savoir si on attente à mes libertés ou pas. On confond la question de la liberté avec celle du confort. On a perdu en confort, c’est sûr. Mais nos libertés ne sont pas attaquées. Elles sont entamées par la situation d’urgence. Il faut bien sûr être vigilant à propos, par exemple, de la politique numérique qui est mise en oeuvre à cette occasion. Et il faut veiller que l’état d’urgence ne soit qu’un état de parenthèse.
> Lire aussi: Comment la méfiance envers les autorités influence l’adhésion à la vaccination
Benjamin Biard, chercheur au Crisp: « La crise de la démocratie représentative risque de s’accroître »
Si la mobilisation est moins intense que dans d’autres pays, les mouvements critiques des mesures sanitaires se multiplient en Belgique, met en garde Benjamin Biard, chercheur au Crisp.
La confiance envers les autorités publiques a-t-elle fortement diminué à l’occasion de la crise sanitaire?
Premier élément d’analyse: qu’entend-on par le terme de confiance? C’est la légitimité que les citoyens accordent d’une part aux décideurs publics au sens large, représentants, ministres, partis… et, d’autre part, aux décisions adoptées. Avec la particularité du rôle et de la légitimité des experts dans ce processus. Deuxième élément: la temporalité. La confiance des citoyens a évolué au cours de l’année 2020. Une étude comparée au niveau européen tout de suite après le premier confinement indiquait que la confiance dans les responsables politiques n’était pas tellement altérée. Certaines études, dont un sondage pour La Libre Belgique publié le 22 décembre 2020, signalent cependant qu’elle s’est étiolée au cours de l’année. C’est surtout la crise de la démocratie représentative observée avant l’épidémie qui risque de s’accroître en conséquence de la crise sanitaire, économique et sociale. Il y a donc un terreau qui contribue à accroître encore cet écart sans cesse croissant entre les représentants et les représentés.
Cette crise sanitaire peut aussi être une opportunité pour les autorités publiques de regagner la confiance des citoyens.
Les citoyens peuvent-ils continuer à nourrir une certaine confiance dans les décisions politiques tout en se montrant de plus en plus méfiants par rapport à ceux qui les prennent?
Peu d’études s’intéressent à la fois aux deux éléments. Mais il y a tout de même un élément intéressant à souligner: la confiance dans le processus décisionnel. Cette crise sanitaire peut aussi être une opportunité pour les autorités publiques de regagner la confiance des citoyens, par exemple via des innovations démocratiques. C’est d’ailleurs dans ce sens que la Région wallonne se dirige lorsqu’elle met en oeuvre son plan Get up Wallonia! afin d’associer davantage les citoyens pour préparer ce que l’on pourrait appeler « le monde d’après ».
Ce n’est pas vraiment le cas dans la gestion de la crise sanitaire. On reproche même au gouvernement de contourner le Parlement. Cela peut-il nuire à l’adhésion citoyenne?
Cet élément risque de renforcer encore la méfiance du citoyen à l’égard du fonctionnement démocratique au sens large. Certaines caractéristiques fondamentales de l’Etat de droit et de l’équilibre des pouvoirs ont connu des tensions au cours de cette année avec la délégation de pouvoirs spéciaux par les parlements aux exécutifs, au fédéral et dans certaines entités fédérées par exemple. Avec les garde-fous, tout de même, du vote pour déléguer ces pouvoirs spéciaux, de leur ratification par le Parlement… Mais effectivement, même si ce n’est pas un phénomène nouveau, on a vu un retour en force des exécutifs par rapport aux parlements. Par ailleurs, on voit tout de même un accroissement de mouvements (collectifs dans le secteur de la santé, de la culture, ou groupe « Pour la messe libre » en faveur du retour à des messes à l’assistance non limitée) et un succès grandissant des mobilisations qui soulignent cette mise sous tension face à ce que d’aucuns appellent « un confinement des libertés fondamentales ». Ces initiatives visent à défendre un secteur d’activités ou parfois à demander qu’un mouvement soit associé au processus décisionnel.
Il n’y a néanmoins pas d’opposition massive aux dispositions édictées. Est-ce à dire que la population belge se montre docile dans cette crise sanitaire?
On observe malgré tout que les réactions citoyennes se sont multipliées ces derniers mois. Mais il est vrai que, comparativement à d’autres pays européens, on n’a pas vu de manifestations d’ampleur pour s’opposer aux confinements comme cela a été le cas aux Pays-Bas, au Danemark, en Autriche… La mobilisation en Belgique se traduit par des actions dans la rue, sur les réseaux sociaux ou par la publication de cartes blanches dans les médias, mais de façon relativement moins intense.
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