Franklin Dehousse
Les lourds dommages de Publifin
Dans un éditorial interpellant, Th. Fiorilli souligne qu’on doit finalement aussi se réjouir du scandale Publifin. Dans un sens, on le comprend. Comme il l’indique, il y a eu des journalistes, des juges, des administrateurs (très peu) et un gouvernement (très tard) qui ont fait leur travail. Malheureusement, cela reste exceptionnel.
D’abord, la grande majorité des administrateurs et des politiciens concernés n’ont PAS fait leur travail, et pendant à peu près une décennie. Ensuite, les entreprises concernées ont subi une profonde déstabilisation, nuisible pour leur personnel, et aussi pour les contribuables, qui les ont financées. De plus, cette longue saga laissera un climat de suspicion énorme autour des initiatives publiques, alors que les défis nouveaux de la période risquent de les rendre parfois nécessaires. Enfin, et surtout, même si certains parlementaires ont fait preuve de courage, la confiance du public dans le système politique a subi une blessure profonde, encore gangrénée par la découverte d’indemnités de sorties secrètes et totalement indécentes, pour des gestionnaires saignant ainsi à leur départ l’instrument dont ils avaient la charge (indemnités auxquelles il faut maintenant ajouter l’intéressement supplémentaire prévu dans la vente de Voo). Toutes choses qui, soit dit en passant, ne se seraient pas produites si on avait mis en oeuvre dès 2017 les conclusions de l’enquête parlementaire. Mais comme d’habitude le courage a manqué.
Au contraire, deux aspects particuliers frappent dans Publifin. Le premier est l’extrême longueur de ce scandale. Certes, il y en a eu d’autres, à Bruxelles ou Charleroi par exemple. Néanmoins, dans les autres cas, les corrections et sanctions ont été beaucoup plus rapides. Le deuxième aspect réside dans un sentiment d’impunité persistant. Les énormes cadeaux d’adieu récents à la clique Moreau constituent un exemple. Les attaques répétées contre les journalistes en offrent un autre. Les enquêtes publiées par Apache et Le Vif sur les connexions entre le système Publifin et OgeoFund d’une part, et l’aile affairiste anversoise de la NVA d’autre part, ont provoqué de multiples plaintes déontologiques et judiciaires (toujours en cours à l’heure actuelle). Maintenant, il faut encore ajouter à ces épisodes des filatures de sources.
Des épisodes pareils, aussi profonds et aussi longs, ne surviennent pas par hasard. Les multiples dérives de Publifin n’auraient pas été possibles sans des soutiens persistants, jusqu’à 2019, d’un nombre important de caciques politiques liégeois. Peu se tirent avec gloire de cette saga.
Comment éviter la répétition de ces dérives ? Certes, il faut des lois renforcées. Néanmoins, beaucoup existaient déjà auparavant et ont été violées avec allégresse, sans beaucoup de réactions, comme l’a constaté l’enquête parlementaire. Au-delà des lois, et plus encore, il faut des mandataires politiques et des gestionnaires responsables, prêts à combattre pour faire respecter les principes mêmes de notre démocratie. La Wallonie est frappée, comme l’Europe, par une dégradation du sens de l’intérêt général, et une démission morale de nombreux responsables (voir ce qui se passe par exemple à Malte, au Royaume-Uni, en Hongrie, ou la nomination du nouveau secrétaire général de la Commission européenne). La multiplication des lois seule ne parviendra jamais à compenser la pourriture des consciences.
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