« Les Frères musulmans sous-traitent la radicalisation »
Les mêmes orateurs extrémistes se retrouvent à l’affiche de deux rassemblements à Lille et à Charleroi, les 6 et 7 février. Ancien Frère musulman, Mohamed Louizi interpelle les autorités. Il semble avoir été entendu.
De 1991 à 2006, Mohamed Louizi, 37 ans, a été embrigadé par les Frères musulmans au Maroc, puis, dans le Nord de la France, où il a fait ses études d’ingénieur électricien. Depuis, il est revenu à l’islam spirituel de son grand-père et témoigne de l’envers du décor sur son premier blog Ecrire sans censures !, puis son second, Sous-sol obscur de l’islamisme : Art & Déco, hébergé par Mediapart, et, enfin, dans son livre Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans (1). En 2015, il a pris la défense du professeur de philosophie du lycée Averroès de Lille, qui avait dénoncé l’endoctrinement des jeunes dans cet établissement privé sous contrat avec l’Etat français, proche des Frères musulmans et financé par le Qatar.
Comment avez-vous été approché par la Confrérie ?
Mohamed Louizi : Mon père possédait une petite bibliothèque religieuse tournée vers les auteurs Frères musulmans des pays arabes, en particulier, le Qatar. J’avais 13 ans et il a voulu me protéger du décrochage scolaire et des mauvaises fréquentations en m’encourageant à rejoindre l’ancêtre du mouvement Attawihid wal’Islah et, plus tard, le PJD (NDLR : le parti de l’actuel Premier ministre marocain Abdelilah Benkirane), dont l’un de mes oncles a été député. Je ne lui en veux pas, cela partait d’une bonne intention. Au départ, nos activités étaient purement éducatives mais tout était examiné sous le prisme religieux pour justifier des choses un peu plus lourdes, par exemple, que « l’Occident était un accident », dixit Roger Garaudy (NDLR : essayiste français converti à l’islam), ou pour nous montrer des images terribles de Palestine et de Bosnie. Jamais le nom des Frères musulmans n’était prononcé. Constitué au XIVe siècle, le Maroc est très jaloux de son indépendance. Même l’USFP ne dit jamais clairement qu’il fait partie de l’Internationale socialiste. Des responsables Frères musulmans marocains se présentent désormais sous la bannière de l’Union internationale des savants musulmans pour ne pas dire qu’ils font partie du Tanzim (organisation) international des Frères musulmans.
Avez-vous prêté allégeance ?
Quand je suis arrivé en France, j’ai intégré les structures étudiantes des Frères à Villeneuve-d’Ascq. C’est là, en 2001, que j’ai fait allégeance pour la seconde fois, en présence d’Amar Lasfar, actuel président de l’Union des organisations islamiques de France. L’UOIF nie appartenir aux Frères mais elle dépend de la Fédération des organisations islamique d’Europe (FOIE), basée à Bruxelles. Son pendant belge est la Ligue des musulmans de Belgique. Je recevais 400 euros par mois, non déclarés, pour être le relais des Frères à la fac mais, au bout de dix mois, j’y ai renoncé pour garder ma liberté. Les jeunes qui votaient pour les candidats Etudiants musulmans de France (EMF) ne savaient pas que certains étaient Frères. Le mouvement est très cloisonné. Les responsables forment une petite élite qui se coopte entre soi.
Dans votre livre, vous expliquez que la pensée militaire d’Hassan al-Banna, fondateur de la confrérie, est enseignée aux jeunes impétrants de l’UOIF…
Quand j’ai démissionné de l’UOIF, j’ai découvert que L’Epître des enseignements d’ Hassan al-Banna, que j’avais apprise à Villeneuve-d’Ascq avant de prêter serment, était destinée aux « frères soldats » de la branche armée des Frères musulmans, au temps de la colonisation britannique de l’Egypte. Ce n’était pas une allégeance générale mais bien militaire. Comme L’Epître du djihad, écrite en 1938, elle est enseignée officiellement aux jeunes Français, filles et garçons, qui veulent intégrer les structures associatives de la galaxie UOIF. Je l’ai traduite entièrement en français pour montrer le versant djihadiste des Frères. Je leur reproche d’instrumentaliser la religion pour prendre le contrôle du pourcent de jeunes qu’ils estiment nécessaire pour réaliser, à long terme, leur prise de pouvoir ou Tamkine. Savez-vous quel a été le sujet de la première formation dispensée à Château-Chinon (NDLR : centre de formation des Frères) à une soixantaine de jeunes de l’Union islamique des étudiants de France ? La planification stratégique. J’ai des archives. La plupart de ces étudiants sont devenus des responsables associatifs ou de mosquées. Qui sait où ils seront en 2035… Leur formateur était un certain Hicham Yahya Al Taleb, un Irakien qui représente les Frères dans l’Etat de Virginie, aux Etats-Unis, et qui a été reçu par l’adjoint de Barack Obama en 2012, deux mois avant l’accession au pouvoir de Mohamed Morsi en Egypte. Il est aussi membre fondateur de l’Institut international de la pensée islamique, le think tank des Frères.
Quel rôle joue le très médiatique Tariq Ramadan dans cette configuration ?
C’est un prédicateur exécutant. Celui qui donne les impulsions est Jassim Sultan, un médecin qatari formé en Egypte. Il n’est plus identifié comme Frère musulman. En 1999, la branche qatari des Frères musulmans, jusqu’alors organisée de façon pyramidale, s’est autodissoute, étrangement… Elle a contribué, depuis plus d’un demi-siècle, à l’édification d’un Etat qatari moderne grâce à ses liens avec la famille royale. Jassim Sultan a remplacé l’organigramme rigide des Frères par une diffusion idéologique en forme d’étoile de mer, plus souple et adaptée au travail d’influence (voir ci-contre un croquis issu d’une capture d’écran, de la main de Sultan). Exemple : quand l’EMF, la branche étudiante de l’UOIF, est attaquée, c’est l’association Coexister qui prend sa défense au nom de la diversité des convictions. Jassim Sultan a été aussi le conseiller stratégique de la chaîne de télévision qatari Al-Jazeera et c’est le fondateur de la maison d’édition Tamkine. Celle-ci diffuse la pensée de l’Institut Ennahda à laquelle certains de nos jeunes Français qui fréquentent l’enseignement privé musulman (35 établissements en France) sont exposés lors de leurs voyages à Doha.
La Muslim Expo de Charleroi et la 9e Rencontre annuelle des musulmans du Nord, à Lille, ont des invités en commun, dont Abouzaïd Almoqri al-Idrissi. Qui est ce dernier ?
Je le connais personnellement. Je l’ai accueilli à Lille. C’est un député du PJD, membre de l’aile dure du mouvement Attawihid wal’Islah. Il est connu pour ses diatribes contre Israël et les Juifs. C’est un ardent supporter du Hamas. Il a participé à la dernière flottille pour Gaza en 2015. « Tout juif est un projet de sioniste », a-t-il écrit, en 2001, dans son livre arabe La Palestine et le conflit des volontés. En l’invitant, lui et d’autres, les Frères musulmans sous-traitent la radicalisation à des internationaux. On sait bien qu’ils tiendront des propos soft à Lille et à Charleroi mais les inviter revient à valider les écrits et les vidéos où ils s’expriment de façon plus violente. J’ai écrit une lettre ouverte au Président, au Premier ministre, à la maire de Lille… On est à trois mois des attentats du 13 novembre, en plein état d’urgence, et voilà les figures que l’UOIF met en avant pour illustrer son thème des « jeunes musulmans » ! L’Etat doit réagir.
(1) Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans, par Mohamed Louizi, Michalon, 2016, 330 p.
Un orateur interdit de parole à la « Muslim Expo »
L’échevine déléguée de Charleroi Françoise Daspremont a décidé de prendre un arrêté interdisant la prise de parole à la « Muslim Expo » d’un orateur considéré comme radical, Abouzaid El Mokrie El Idrissi, qui y était prévu.
Finalement, ce dernier a annoncé renoncer à participer à la Muslim Expo de Charleroi. Il souhaite de la sorte mettre fin à la polémique suscitée par sa venue.
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