Pascal De Sutter
Les francophones insoumis, d’affreux nationalistes ?
Parce qu’ils dénoncent les dérives flamandes ? Pas du tout ! Je respecte les ambitions flamandes mais je n’ai pas envie de m’y soumettre. Point à la ligne.
J’ai eu un patient qui avait subi une greffe d’organe. Lors d’un contrôle de routine, un médecin lui annonça que son corps rejetait la greffe et que son état allait rapidement se dégrader. Le patient se mit en colère contre ce médecin porteur de la mauvaise nouvelle. L’on observe exactement le même phénomène en constatant les réactions vives de certains francophones vis-à-vis des journalistes qui posent le diagnostic d’une Belgique gravement malade, voire moribonde. Après le mythe des politiciens à l’origine des problèmes linguistiques, voici que j’entends la fable des journalistes francophones responsables des tensions communautaires. Tous ces gens qui dénoncent certains excès des ambitions flamandes seraient de dangereux « nationalistes francophones » (je ferais partie de cette engeance) qui constitueraient l’équivalent des nationalistes flamands.
Certes, il est vrai qu’il existe de vrais fanatiques francophones qui tiennent des discours haineux contre les Flamands. Et je serais le premier à les dénoncer… Si on les entendait. Or, heureusement, j’observe qu’on ne les entend guère et certainement pas dans ce magazine. Si des nationalistes francophones exigeaient l’usage exclusif du français dans les plaines de jeux de Wallonie, je serais le premier à en arracher les pancartes. Si dans une commune wallonne ont érigeait des drapeaux « Gembloux, où les francophones sont chez eux », je lancerais une pétition pour les retirer. De plus, il me semble quand même que les « vrais » nationalistes francophones hostiles aux Flamands n’obtiennent pas la moitié des voix aux élections en Wallonie. Ils ne sont qu’une poignée sans la moindre portée électorale ou médiatique.
Comme les « vrais » nationalistes francophones sont (heureusement) une infime minorité inaudible, il faut donc en inventer. Désormais, tout francophone qui est fatigué des revendications flamandes et qui se dit que finalement une séparation à l’amiable vaut mieux qu’une union conflictuelle serait classé « nationaliste francophone ». Tout francophone qui ose se plaindre de la mainmise flamande sur l’armée, la diplomatie et l’ensemble des hauts postes de l’Etat fédéral serait étiqueté « nationaliste francophone ».
Charles de Gaulle disait : « Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. » Pour ma part, je ne déteste ni la Flandre, ni les Flamands. J’aime la Flandre et les Flamands. Et j’aimerais d’ailleurs pouvoir un jour y faire du tourisme en y étant aussi bien accueilli qu’un Français, un Britannique ou un Allemand. J’ai aimé la Belgique. J’ai eu les larmes aux yeux, au garde-à-vous, en entendant la Brabançonne. Mais la Belgique de papa n’existe plus. Et la nouvelle Belgique dominée par une majorité qui respecte de moins en moins sa minorité ne me convient pas. Ce n’est pas le délire paranoïaque d’un nationaliste francophone. C’est le constat porté par la Cour européenne des droits de l’homme, la Commission européenne et même les Nations unies sur l’attitude de la Flandre vis-à-vis de ses minorités.
Dans cette logique, je disais que les francophones qui veulent absolument conserver une Belgique unie devaient petit à petit se faire à l’idée que ce serait une Belgique à forte coloration flamande. Certes, l’on pourra toujours librement parler français à Liège ou à Namur, mais il faudra avoir un CV purement néerlandais pour accéder à une fonction de quelque importance au sein de l’Etat fédéral. Comme ce fut autrefois le cas durant la période de l’union avec les Pays-Bas. Les Belges d’alors (y compris les Flamands) étaient des individus de deuxième catégorie. Pour ma part, je n’ai tout simplement pas envie de vivre dans un pays où mes enfants n’auraient plus accès aux meilleurs fonctions de l’Etat parce qu’ils ont le malheur d’avoir été éduqués en français. Je respecte les ambitions flamandes, mais je n’ai pas envie de m’y soumettre. Je me considère simplement comme un « francophone insoumis ».
Ce n’est pas moi qui ai voulu la régionalisation, la frontière linguistique et toutes les prémisses du divorce. Mais maintenant que nous en sommes là, je suis de ces francophones qui ne tremblent pas de peur devant l’éventualité d’une séparation. Je suis certain que nous formerons d’excellents voisins. Comme la Norvège s’est bien entendue avec sa voisine quand elle s’est séparée de la puissante Suède qui voulait la dominer.
Je voudrais vivre dans une Belgique unie, harmonieuse et sans conflits linguistiques. Mais pas en me soumettant à toutes les ambitions flamandes. Je ne suis pas un nationaliste. Je suis un francophone insoumis. Je préfère le défi d’une autonomie qui demandera de se retrousser les manches à une soumission prolongée, mais rien ne vous oblige à penser comme moi…
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