Les experts de l’UCLouvain vous répondent: retourner aux urnes après la crise, une bonne idée?
» Il semble qu’en cette période de crise, les citoyens aient tendance à se tourner ou à se retourner vers les partis politiques dits traditionnels (exemple : dans le Monde, un article récent mentionnait qu’en Allemagne, la CDU était montée de 26 à 36% d’intentions de vote dans un sondage). Dès lors, serait-il judicieux de songer à organiser de nouvelles élections fédérales dans l’immédiate période d’après-crise, dans l’éventualité d’enfin débloquer la situation politique au niveau fédéral ? «
Réponse de Christoph Niessen, doctorant en sciences politiques et sociales à l’UCLouvain et l’UNamur (Boursier FRESH du F.R.S.-FNRS).
Il est vrai que la CDU d’Angela Merkel a actuellement le vent en poupe en Allemagne, notamment parce que la gestion de la crise sanitaire de la Chancelière est appréciée par une partie importante de la population. Si on compare les dernières estimations de la CDU (autours de 38%) avec son score aux élections fédérales de 2017 (32.9%) on voit que l’augmentation est nette. Son partenaire de coalition, la SPD, est par contre en baisse (de 20.5% en 2017 aux alentours de 16% maintenant) et se fait talonner par les verts qui sont l’autre parti en hausse (de 8.9% en 2017 aux alentours de 16% maintenant). Les populistes de droite de l’AFD perdent quelques pourcents (de 12.6% en 2017 aux alentours de 10% maintenant) mais restent le quatrième plus grand parti – devant le parti de gauche Die Linke (de 9.2% en 2017 aux alentours de 8% maintenant) et les libéraux de la FDP (de 10.7% en 2017 aux alentours de 6% maintenant).
Est-ce qu’on peut donc parler d’une tendance des électeurs à se (re)tourner vers les partis traditionnels ? Même si on maintient l’exemple allemand, l’affirmation n’est que partiellement confirmée. La SPD perd en effet presqu’autant d’intentions de vote que la CDU gagne. Les verts (si on les considère désormais comme parti traditionnel, ce qui se discute) sont certes en hausse, mais il ne faut pas oublier la perte des libéraux.
Quand on essaie de faire le raisonnement pour la Belgique, l’exercice reste difficile. D’un côté, parce qu’il y a des différences avec l’opinion publique sur la crise en Allemagne et qu’on ne peut pas comparer la perception de la Première-ministre belge à celle de la Chancelière allemande. De l’autre côté, parce que le dernier sondage belge date de début mars 2020 et relève donc plutôt de l’avant-crise (ou du moins du début). Dans celui-ci, les résultats en Wallonie restent largement identiques aux élections de 2019 – avec des gains pour le PTB et des pertes pour le cdH (PS : -0.6%, MR : -0.9%, PTB : +4.8%, Ecolo : +0.6%, cdH : -3.2%, Défi : +1.0%). En Flandre, c’est le Vlaams Belang et la PVDA qui étaient en montée (VB : +9.3%, N-VA : -4.8%, CD&V : -2.5%, OpenVld : -3.2%, sp.a : -1.2%, PVDA : +3.7%, Groen : -1.0%).
Maintenant, imaginons qu’une hausse des intentions de vote pour les partis traditionnels devrait être observée dans les mois à venir. D’un point de vue purement instrumental, on pourrait alors songer à de nouvelles élections parce que certaines coalitions seraient plus faciles à former. D’un point de vue démocratique, par contre, il reste questionnable de faire dépendre le moment d’une élection des intentions de vote anticipées. De l’intérêt de qui fait-on alors dépendre ce moment ? Une question qui ne peut être tranchée de manière impartiale. Plus fondamentalement, cela ne résout pas la question de la polarisation politique à plus long terme.
Une autre raison existe pour de nouvelles élections, mais elle est indépendante des résultats anticipés. Etant donné que les partis n’ont pu s’accorder pendant bientôt plus d’un an sur un gouvernement stable, revoter permet aux citoyen·ne·s d’exprimer leur opinion sur la gestion politique du pays depuis les dernières élections.
Si cela résout la question de la justification pour de nouvelles élections, la question de la polarisation politique persiste et appelle à des réflexions plus fondamentales sur notre système fédéral et démocratique. Différentes pistes existent : l’instauration d’une circonscription fédérale qui oblige tant les partis du nord que du sud du pays à s’adresser à l’ensemble de la population belge, la mise en place d’une formule magique à la Suisse où le gouvernement est formé d’office avec les plus grands partis du pays, et l’introduction plus systématique de dispositifs de participation et délibération citoyenne.
Résumons : (i) Est-ce que les citoyens ont tendance à se retourner vers les partis traditionnels en cette période de crise sanitaire ? Sur base des chiffres actuels, on ne peut pas l’affirmer avec certitude. (ii) Si on devait assister à une montée des partis traditionnels dans les mois à venir, serait-ce une bonne justification pour de nouvelles élections fédérales ? D’un point de vue instrumental, peut-être. D’un point de vue démocratique, non. Mais il y a une autre bonne raison pour des élections anticipées après la crise : faute d’accord entre les partis sur un gouvernement stable, cela permettrait aux citoyen·ne·s d’exprimer leur opinion sur la gestion politique du pays depuis les dernières élections. (iii) Pour adresser la question de la polarisation politique de notre société, une réflexion plus fondamentale sur notre système fédéral et démocratique est nécessaire.
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