Les experts de l’UCLouvain vous répondent: « Plusieurs indicateurs nécessaires pour une épidémie »
Les professeurs Niko Speybroeck et Catherine Legrand expliquent l’intérêt de chaque statistique: le nombre de cas, les hospitalisations, les décès et le taux de reproduction effectif.
Question d’un lecteur: Nombre d’admissions à l’hôpital, nombre d’admissions aux soins intensifs, nombre de personnes hospitalisées, nombre de cas avérés, cas guéris, cas testés. Des chiffres comme s’il en pleuvait. La question que je me pose: lequel de ces chiffres est l’indicateur le plus fiable pour qualifier l’évolution de la maladie/de l’épidémie?
Réponse de Niko Speybroeck, épidémiologiste, professeur à l’Institut de recherche santé et société (IRSS), UCLouvain et Catherine Legrand, biostatisticienne, professeure, à l’Institut de Statistique, Biostatistique et Sciences Actuarielles (ISBA-LIDAM), UCLouvain.
Une épidémie est un processus compliqué et ne peut en réalité pas se résumer par un seul indicateur. Il faut donc choisir le bon en fonction de la question d’intérêt (par exemple la saturation de notre système de santé, la propagation du virus dans la population, le coût pour la société, …).
Le nombre de cas confirmés donne une indication de l’étendue de l’épidémie et du nombre de personnes atteintes par le virus, mais cela ne représente que la face visible de l’iceberg. En effet, ce nombre ne prend pas en compte les cas non-diagnostiqués (sans ou avec peu de symptômes) ou non-testés. En pratique, cet indicateur est difficile à utiliser car la définition de cas et la stratégie de tests évoluent en fonction de la disponibilité de ceux-ci ainsi que du stade de l’épidémie. Récemment, on a vu apparaître des premières estimations de la proportion totale de personnes infectées, montrant que seulement un faible pourcentage de la population belge a été infectée par le virus. Il sera utile d’étudier l’évolution de cette proportion au cours du temps.
Deux autres indicateurs souvent cités sont le nombre d’admissions à l’hôpital et les personnes aux soins intensifs. Le premier donne aussi une idée de l’ampleur de l’épidémie tandis que le second se concentre sur la pression sur les soins intensifs. Attention que pour un même indicateur, différentes définitions peuvent être appliquées. Ces définitions peuvent être différentes d’un pays à un autre et changer dans le temps dans un même pays.
Le nombre de décès par jour dus au virus peut sembler être l’indicateur le plus fiable mais en réalité la question de la définition de cet indicateur se pose également. Comptabilise-t-on les cas « suspects » ou uniquement les décès parmi les personnes testées positives ? Que faire des cas de décès indirects, par exemple les personnes décédées d’une autre cause car elles n’ont pas osé se rendre à temps à l’hôpital de peur du virus ou de personnes s’étant suicidées ne supportant pas la solitude du confinement ? A noter que même en s’accordant sur la définition, ce nombre n’apporte que peu d’information sur l’état actuel de l’épidémie. Les personnes qui décèdent ont souvent été infectées plusieurs semaines avant. Pendant ce temps, le nombre d’infections peut avoir changé de manière significative.
Un autre indicateur est le taux de reproduction effectif (Re) qui correspond au nombre moyen d’individus qu’une personne porteuse va infecter pendant la durée de son infection. Ce Re dépend à la fois de la virulence du virus mais aussi du contexte global et notamment des mesures de confinement qui permettent de réduire les contacts. En Belgique ce Re a maintenant chuté, selon les estimations divulguées, à moins de 1. Cela signifie que chaque personne infectée infectera en moyenne moins d’une personne. Si cette estimation s’avère correcte, le nombre de nouveaux cas va diminuer jusqu’à ce que maladie disparaisse. Il faut cependant rester vigilant car ce Re pourrait ré-augmenter suite aux mesures de dé-confinement.
Outre la question de la définition de « cas », il est important de distinguer les indicateurs mesurés directement au niveau de l’ensemble de la population (e.g. le nombre d’admission à l’hôpital) des indicateurs estimés sur base d’un échantillonnage statistique ou d’un modèle épidémiologique (e.g. le nombre de cas infectés). Mesurer un indicateur ne garantit pas une fiabilité à 100%, celle-ci va en effet dépendre de différents facteurs liés notamment à des contraintes logistiques et de possibles erreurs humaines ou structurelles. La précision des estimations va quant à elle être impactée par la qualité de l’échantillonnage et/ou l’adéquation des modèles sous-jacent et c’est pour cela que les estimations doivent s’accompagner d’une mesure d’incertitude.
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