Les experts de l’UCLouvain vous répondent: « Les infections confirmées ne sont que la partie visible de l’iceberg »
À ce stade le pourcentage de cas détectés est encore faible, indiquent les professeurs Catherine Legrand et Niko Speybroeck. Évaluer la contamination réelle de la population nécessite de pouvoir collecter des données précises sur les cas avérés, c’est-à-dire confirmés par un test sérologique performant, dans un échantillon aléatoire et représentatif de la population.
Question de lecteurs. Statistiques. Comment peut-on évaluer la contamination réelle de la population et donc la suivre ? Une étude allemande parle de seulement 2 à 6% de cas détectés selon les pays. Ne faudrait-il pas organiser des échantillonnages réguliers sur un groupe représentatif de la population de ce pays ?
Réponse de Catherine Legrand, biostatisticienne, professeure, à l’Institut de Statistique, Biostatistique et Sciences Actuarielles (ISBA-LIDAM), UCLouvain et Niko Speybroeck, épidémiologiste, professeur à l’Institut de recherche santé et société (IRSS), UCLouvain
À ce stade le pourcentage de cas détectés est en effet encore faible mais nous savons bien que les infections confirmées ne sont que lapartie visible de l’iceberg. Parmi les personnes infectées par ce virus, une certaine proportion est asymptomatique ou ne présente que des symptômes faibles. Sans test systématique de la population, ces « cas » ne sont en général pas identifiés. La proportion que représente les cas détectés n’est pas connue pour la Belgique mais une estimation très approximative et accompagnée de nombreuses hypothèses indique que pour le moment les cas détectés pourraient représenter entre 5 à 10 % de l’ensemble des cas mais il s’agit d’une estimation qui évolue.
Évaluer la contamination réelle de la population nécessite de pouvoir collecter des données précises sur les cas avérés, c’est-à-dire confirmés par un test sérologique performant, dans un échantillon aléatoire et représentatif de la population. Un tel échantillonnage requiert de disposer de tests fiables, rapides, dans l’idéal peu couteux et non-invasifs puisqu’ils seraient alors utilisés sur des personnes « saines ». Une étude de l’Université d’Anvers, sur base d’un échantillon collecté vers fin avril, signale que 6 % de la population belge présentaient les anticorps contre le virus.
Un tel échantillonnage à grand échelle pose des questions d’organisation pratique et probablement aussi éthiques : « comment contacter les personnes échantillonnées, les faire tester sans encombrer nos systèmes de santé tout en maintenant les mesures de confinement et de distanciation physique ? » et probablement aussi éthiques : « peut-on réaliser de tels tests sur des jeunes enfants ne présentant aucun symptôme ? », « la participation se fait-elle sur consentement ou par obligation ? ». C’est pour ces raisons qu’un échantillon de commodité est parfois la seule option même si celui-ci n’est en général pas représentatif de l’entièreté de la population.
Une autre possibilité est de partir des cas connus et de modéliser l’évolution de l’épidémie dans la population de façon à pouvoir faire des prédictions sur le nombre total de cas (symptomatiques ou pas). Cependant, une telle modélisation se base sur des hypothèses liées à la propagation du virus de façon générale, comme le taux de transmission ou la période d’incubation, mais aussi au contexte actuel (nombre moyen de contacts d’une personne avec d’autres, port du masque, etc.). Toutes les informations pour établir de façon très précise un tel modèle ne sont pas encore disponibles.
La procédure de tracing actuellement mise en place par le gouvernement va collecter, pour les personnes infectées, le nombre de personnes rencontrées au cours des dernières semaines. Cette démarche sera clairement une source d’information importante pour affiner de tels modèles.
Réponse de Docteur Angel Rosas, épidémiologiste, chargé de recherche FNRS à UCLouvain
Il est clair que les échantillonnages réguliers permettront de surveiller la proportion de personnes exposées au covid-19 et assurer ainsi une meilleure prise de décisions pour contenir l’épidémie. La discussion porte sur la façon de les mener à bien de manière opérationnelle : type d’échantillonnage (aléatoire ou de commodité), échelles (région, province, commune), tests diagnostiques à utiliser, procédures sur le terrain à suivre, etc. Il y a moins de discussions, par exemple, sur la méthodologie à utiliser pour les échantillonnages dans des populations à haut risque, tels que les travailleurs (soignants ou pas) dans les hôpitaux (qu’ils présentent ou non des symptômes). C’est vraisemblablement nécessaire de combiner deux types de tests dans ces populations afin d’identifier les individus porteurs actuels du virus à partir de prélèvements nasopharyngés et les tests identifiant les individus ayant eu une exposition antérieure au virus par la détection d’anticorps, sérologie. Les résultats obtenus permettront non seulement de prendre des mesures pour prévenir la transmission dans les hôpitaux, mais ils donneront également une idée d’une limite maximale de contamination de la population. Il est peu probable que la contamination générale soit supérieure à celle de la population à risque.
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